© iStock

La beauté cachée de la maladresse

Muriel Lefevre

Tout le monde, ou presque, a déjà connu un grand moment de solitude. Un de ceux où la gêne perle par tous les pores. Sauf que l’embarras est une bonne chose selon De Standaard.

La maladresse et la honte sont deux choses très communes. On salue quelqu’un qui ne nous a pas fait signe, on fait une remarque trop spontanée, on se prend une porte en verre, on marche dans une crotte, on ressort des toilettes avec sa jupe coincée dans sa culotte ou encore on dit une vacherie alors que la personne est juste derrière nous. Les moments de gêne sont innombrables puisqu’il est souvent honteux d’être humain. Il y a pourtant beaucoup à apprendre des situations inconfortables et ces moments peuvent être d’une grâce incroyable, dit la journaliste américaine Melissa Dahl.

Qu’est-ce que la gêne ?

Qu’est-ce qui est la cause de ce sentiment d’embarras ? Les humains construisent leur identité à travers les autres. Nous faisons toutes sortes de choses pour transmettre et confirmer l’image que nous avons de nous-mêmes. En termes simples, une situation embarrassante survient lorsque cette image explose. C’est donc une forme, même passagère, de perte d’identité.

Le sentiment d’embarras est aussi une chose très volatile, car si personne ne relève le moment gênant, il ne se passe rien. Il disparaît aussi vite qu’il aurait pu apparaitre. La maladresse ne sort au grand jour que lorsque celle-ci ne peut être balayée par un petit mensonge ou une omission de circonstance. Un sentiment d’inconfort a donc autant à voir avec vous-même qu’avec l’autre personne qui la remarque, ou a décidé de le faire remarquer.

Ces moments embarrassants sont surtout ceux où l’on est confronté à un fossé infranchissable. Celui qui représente l’écart entre la façon dont on se perçoit et celle dont les autres nous voient.

Les personnes qui ont un certain talent pour les maladresses sont aussi souvent des personnes qui ont trop conscience d’elles-mêmes. Avoir l’impression que tout le monde vous regarde augmente les chances de faire quelque chose d’embarrassant, de même que penser trop paralyse. Un bel exemple est la théorie du Explicit monitoring. Celle-ci est surtout de mise dans le monde du sport et veut que lorsqu’on est particulièrement doué pour une chose, et que l’on se concentre à l’extrême, c’est à ce moment qu’on est contreproductif. En gros, lorsqu’on se concentre trop sur une chose, on la fait moins bien.

L’Explicit monitoring pourrait être élargi au contexte social selon Sian Beilock, spécialiste des sciences cognitives dans De Standaard: « se tracasser à propos d’une performance, ou essayer de faire comme si ce n’était rien, exige tellement de votre cerveau qu’il vous reste trop peu de capacité pour rester concentré sur votre tâche « .

Cela explique pourquoi lorsque vous êtes particulièrement désireux de faire bonne impression, dans un entretien d’embauche où lors d’un premier rendez-vous, vous enfilez les bourdes par le simple fait que vous n’avez pas toute votre attention.

Projection, cape d’invisibilité et cringe

Si, par ce qu’on appelle un effet de projection, nous surestimons souvent l’attention que les autres portent à notre comportement ou à notre apparence, il y a aussi ce que les psychologues qualifient de « cape d’invisibilité ». Ce mécanisme cognitif peut se résumer par l’idée contradictoire que les gens s’observent en public tout en pensant que personne ne les observe eux. La réalité étant probablement quelque part entre les deux : Tout le monde ne vous regarde pas, mais il y aura bien quelqu’un pour vous voir.

La gêne n’est pas que déplaisante, elle peut même être source d’humour. Rire des maladresses d’autrui est même une forme d’humour particulièrement prisée. En anglais, ils appellent ça le cringe. Un mécanisme scénaristique qui fait d’ailleurs le bonheur de nombreuses séries.

Le pouvoir de connexion de la gêne

En plus d’une bonne tranche de rire, les recherches ont aussi montré que vivre la honte par procuration, et donc d’en rire, est aussi une réaction très empathique. Il y aurait donc un pouvoir de connexion dans la gêne. Nous ne faisons qu’un lorsque nous rions de notre condition d’être faillible. Le ridicule en moi respecte le ridicule en toi.

On notera aussi, en guise de conclusion, que certaines maladresses sont particulièrement touchantes. Comme celles qui révèlent de tendres sentiments que l’on aurait préféré cacher.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire