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« L’alimentation saine devrait être un droit pour tous »

Des publicités où des superwomen vantent les mérites de tel yaourt, des magazines qui vous mitraillent de régimes… En matière d’alimentation saine comme en toute chose, il faut savoir raison garder !

Avouons-le : les informations que nous recevons quotidiennement sur une alimentation saine ne sont pas toujours cohérentes… Et pourtant, on pourrait se tourner très simplement vers un modèle dont les bienfaits ont été prouvés : le régime méditerranéen tel qu’il était pratiqué dans les régions rurales de Crète et de Grèce avant les années 1960. C’est cette alimentation destinée initialement à une population pauvre que Patrick Mullie, professeur à la VUB et chercheur de l’iPRI (International Prevention Research Institute, Lyon), prône, comme bon nombre de scientifiques sensés.

Modèle méditerranéen

Si le régime méditerranéen a acquis une telle notoriété, c’est dû non seulement à sa valeur historique, mais aussi aux recherches actuelles qui ne cessent de démontrer ses vertus dans la lutte de l’homme moderne contre toutes sortes de maladies dites de civilisation. L’alimentation des Grecs et des Crétois se composait à l’époque de ce qu’ils cultivaient et trouvaient à portée de main : céréales complètes, légumineuses, riz, maïs et pommes de terre, complétés par une abondance de légumes, de fruits et de noix. Le tout était agrémenté d’une multitude d’aromates (sauvages) et préparé à base d’huile d’olive. Le fromage, le poisson et les oeufs étaient consommés avec modération, le poulet, les sucreries et la viande rouge avec parcimonie.

Patrick Mullie souligne cependant que l’obsession du « bien manger » peut mener à des comportements inadéquats. Et se baser uniquement sur la valeur des aliments n’est pas tout ! Par exemple, il insiste sur le fait que le poids peut grimper en flèche lorsqu’on a ingurgité une montagne de légumes crus, sources de beaucoup de liquide et de nutriments utiles mais de peu d’énergie. Il suffit d’uriner pour perdre ce poids derechef ! Quiconque se focalise uniquement sur les chiffres et ne sait pas ce qu’ils cachent risque d’attraper le tournis de cette valse de fluctuations.

La malbouffe subsidiée par nos impôts !

Mais sommes-nous vraiment maîtres de notre alimentation ? Quel rôle jouent dans ce domaine l’industrie alimentaire et les pouvoirs publics ? Concernant la première, Patrick Mullie ne mâche pas ses mots :  » L’industrie alimentaire ne fera de la prévention que si cela ne porte pas atteinte à ses intérêts. Elle ne deviendra jamais une organisation de santé. Elle ne produira des produits sains que s’il est certain qu’ils génèrent un profit substantiel… et que cette offre ne concurrence pas l’offre existante moins saine, génératrice de bénéfices.  »

Son opinion est donc claire : la solution ne viendra pas de l’industrie. Et le citoyen se retrouve bien démuni face à l’avalanche de désinformation qu’elle veille à diffuser. Il est dès lors clair que c’est aux pouvoirs publics d’intervenir, selon Patrick Mullie. S’il ne s’étend pas sur la manière dont cela devrait se faire, il soulève néanmoins le problème rencontré dans des situations anormales : le sucre blanc (aliment contenant peu de nutriments) reçoit des subsides publics, de sorte que son prix est inférieur à celui d’aliments plus sains. Cherchez l’erreur…

Sucre qui est au coeur des préoccupations. Patrick Mullie prend pour exemple les céréales. L’une des marques phare du secteur propose ainsi une marque présentée comme un merveilleux moyen de garder sa ligne par une femme mince, élégante et rayonnante de bonheur ; céréales qui contiennent tout de même 23 grammes de sucres ajoutés par 100 grammes. À côté de cela, ses cornflakes « de base », qui ne sont pas « vendus » comme un moyen de rester minces, ne contiennent « que » 7 grammes de sucres ajoutés par 100 grammes. Qu’importe : le consommateur est conquis par la version « régime » plus chère ! Les producteurs séduisent leurs clients au moyen de messages sirupeux et, en attendant, nous vendent du sucre que nous, citoyens, sponsorisons par le biais de nos impôts. C’est ainsi que Patrick Mullie plaide pour que les pouvoirs publics jouent leur rôle de meneur de jeu, notamment en prenant des mesures financières pour réduire la malbouffe. Augmenter le prix des matières premières malsaines et rendre les saines plus abordables, voilà qui devrait pousser tant le consommateur que l’industrie dans la direction d’une alimentation plus adaptée à ses besoins.

Faut-il dès lors taxer davantage les aliments qui ne sont pas bons pour la santé ? D’aucuns refusent cette mesure, la considérant comme asociale, vu que ce sont les plus démunis qui consomment le plus d’aliments gras et sucrés. Patrick Mullie n’est pas de cet avis, entre autres parce que tout le monde contribue déjà actuellement, via ses impôts, à subsidier une alimentation malsaine. Une alimentation saine devrait être un droit pour tous, affirme-t-il, et rendre une alimentation saine plus abordable créerait selon lui une situation beaucoup plus juste.

Où sont les vrais experts ?

Mais plus fondamentalement encore, Patrick Mullie fustige l’offre limitée de formations de nutritionnistes dignes de ce nom dans notre pays. En matière d’alimentation et de santé, la Belgique compte trop peu de spécialistes s’exprimant avec l’autorité et l’indépendance indispensables (bien que cela soit dû en partie à la manière dont la presse malmène régulièrement leurs messages, consciemment ou non). La communication relative à une alimentation saine est de ce fait presque entièrement dévolue à des experts autoproclamés, parmi lesquels de nombreux auteurs d’ouvrages diététiques populaires qui ne tiennent pas la route.

Nous ne pouvons malheureusement pas non plus en attendre davantage des médecins. Au cours de leur longue formation, ils ne reçoivent que quelques heures de cours de diététique qui ne leur permettent pas d’émettre des opinions suffisamment fondées… Aussi, leurs conseils et opinions ne valent guère mieux que les recommandations prônées dans les médias.

Quant aux diététiciens, ils reçoivent une formation essentiellement pratique, moins axée sur des analyses approfondies des questions de nutrition saine. Le problème est que beaucoup d’entre eux continuent à répandre les infos pratiques apprises jadis sans se rendre compte que le monde autour d’eux ne cesse d’évoluer. Une formation permanente et plus approfondie est également à encourager de ce côté.

Le consommateur se tourne alors vers internet, ou les rares informations scientifiques sont parasitées par des charlatans et les messages erronés de l’industrie agro-alimentaire. Et le tri n’est pas facile à réaliser…

Par Jan Etienne / C. Maillard

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