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Je ne mange rien et pourtant je grossis !

Il y a pourtant bien une explication. Petite enquête avec un spécialiste.

 » Docteur, je ne mange rien et pourtant je grossis ! » Voilà bien une phrase que le Pr Jean-Paul Thissen, endocrinologue aux Cliniques universitaires St-Luc (Bruxelles) entend régulièrement. Mais qui ne suscite pas chez lui l’incrédulité habituelle :  » L’injustice ressentie face à ce constat est bien réelle, aussi serait-il très maladroit de hausser les épaules. Mais je m’attelle alors à identifier avec la personne ce qui, dans sa vie quotidienne, fait pencher à son insu la balance du mauvais côté. « 

Car déjà faut-il s’entendre sur ce que signifie  » ne rien manger « . La première surprise vient souvent du calcul de la densité énergétique des repas. Pour la même quantité de 600 calories, on aura l’impression de n’avoir  » rien  » mangé (250 g) ou d’avoir  » bien  » mangé (700 g). Le questionnaire des pièges (voir encadre) apporte aussi son lot d’explications. Car de petites entorses élevées au rang d’habitudes quotidiennes finissent par représenter quelques kilos au bout d’un an.

Et si vraiment rien ne semble anormal, Jean-Paul Thissen conseille de tenir un carnet alimentaire : noter tout – absolument tout ! – ce que l’on mange, à quel moment et dans quelles circonstances (coup de stress, ennui, télévision…)  » Cette simple auto-observation permet parfois déjà au bout d’une semaine de perdre un petit peu de poids !  » Et en tout cas de mieux cerner les causes du problème.  » Je pense à une jeune fille dont l’alimentation était effectivement constituée de ‘riens’ : pas de légumes, pas de fruits, et de nombreuses petites ‘crasses’ tout au long de la journée. Mais au bout du compte, ces ‘riens’ pesaient bien lourd.  » Cette sous-estimation des apports caloriques est la cause la plus fréquente des excès de poids  » inexpliqués  » mais aussi, heureusement, la plus facile à corriger.

Stress et plaisir

Une deuxième grande cause, souvent intriquée à la première, est le stress. Plusieurs études montrent qu’il réduit la prise alimentaire lors des repas –  » ça me coupe l’appétit  » – mais qu’il augmente la consommation impulsive entre les repas. Conséquence : moins de légumes (il est rare qu’on grignote une carotte) et davantage de snacks sucrés ou salés. Ce comportement est également observé chez l’animal de laboratoire. Il semble que l’ingestion de sucres rapides et de graisses permette de diminuer le stress et de lutter contre l’anxiété. Un autre mécanisme fort proche du stress est celui de la recherche de plaisir. La régulation de notre comportement alimentaire ne répond pas seulement aux besoins énergétiques exprimés par notre corps, mais aussi aux besoins de bien-être psychologique. Ainsi, on a pu voir qu’une dilatation artificielle de l’estomac (expérimentale) mimant l’effet de l’ingestion d’un repas, stimule certaines zones du cerveau impliquées dans le plaisir et la dépendance aux drogues. Il est dès lors possible que, dans certaines circonstances, cette  » régulation hédonique  » prenne le pas sur la  » régulation énergétique  » et favorise des comportements de grignotage compulsif.  » Certaines personnes me disent que manger est pour elles un plaisir qu’elles ne trouvent pas ailleurs, continue le Pr Thissen. Il faut bien reconnaître aussi que, de toutes les formes de paradis artificiel, la nourriture est la plus socialement acceptée, et même encouragée, au vu de toutes les publicités que nous devons assimiler chaque jour.  » Publicités qui portent rarement sur des fruits ou légumes…

Ah, la famille !

Avec ce qui précède, on parvient généralement à trouver les explications à la prise de poids dans 9 cas sur 10. Pour le dixième restant, le Pr Thissen se penche alors sur les antécédents familiaux.  » Familial ne veut pas encore dire génétique, insiste-t-il. Il y a des familles où tout se joue autour de la table. L’obésité est alors culturelle.  » Culturelle ou… économique :  » Il ne faut pas sous-estimer le coût d’une alimentation saine. Perdre du poids coûte de l’argent et du temps. Il est troublant de constater que les aliments les moins chers sont aussi très souvent ceux dont la densité énergétique est la plus élevée. En d’autres mots, chaque calorie achetée coûte moins cher.  » Un argument de poids en ces temps de crise, mais qui existait déjà avant : la part de budget consacrée par le Belge moyen à son alimentation n’a fait que décroître au cours des 30 dernières années. Et l’obésité est statistiquement plus marquée dans les classes sociales défavorisées.

La sédentarité est aussi, très souvent, une caractéristique familiale : des parents sportifs ont rarement des enfants oisifs. Le contraire est hélas vrai : des enfants sportifs, quand ils ne sont pas encouragés par l’entourage familial, finissent bien souvent par s’affaler dans le canapé au moment de l’adolescence… Mais alors, la génétique ?  » L’obésité due à un seul gène est vraiment exceptionnelle. Par contre, la présence de plusieurs anomalies génétiques – chacune exerçant un petit effet – est probablement assez répandue. Mais le rôle de ces gènes dans l’augmentation de la masse grasse représente tout au plus 30 à 50 % du problème. Car pour que cette éventuelle propension à l’excès de poids se manifeste, il faut tout de même que l’on mange (un peu) plus que ce que notre organisme demande. On en revient toujours au même point. « 

Les pistes à explorer

Si ce qui précède ne vous satisfait pas, il reste encore quelques pistes que les chercheurs explorent activement. Le manque de sommeil (nous sommes passés de 9 heures en moyenne à moins de 7 heures au cours de ces dernières décennies) est clairement en cause dans les modifications de l’appétit et de la satiété. Le rôle de la flore intestinale semble de plus en plus se profiler comme décisif, les bactéries intestinales des obèses semblant capables d’extraire davantage d’éléments nutritifs de l’alimentation que celles de personnes minces. Sans parler de l’importance des premières années de vie et du rôle de l’allaitement maternel voire peut-être même de l’alimentation de la maman pendant la grossesse.

En conclusion, l’excès de poids est souvent ressenti comme une injustice, mais la plupart des facteurs de risques, notamment génétiques, ne peuvent se manifester qu’en présence d’un  » environnement obésogène « . Ce qui est somme toute une bonne nouvelle : cela veut dire que nous pouvons agir !

Par Karin Rondia

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