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« Harry Potter et Blanche-Neige sont les modèles à copier pour surmonter les traumatismes »

Barbara Witkowska Journaliste

Comment rebondir après le traumatisme ? En s’entourant, professe le psychopédagogue Bruno Humbeeck. En s’entourant de liens affectifs. En s’inspirant, donc, de Blanche-Neige et de Harry Potter, préconise-t-il. Très sérieusement.

Spécialiste de la résilience, Bruno Humbeeck est psychopédagogue, responsable de recherche au sein du service des sciences de la famille et chargé de cours à l’UMons. Cette approche à la fois théorique et pratique lui permet d’avoir une vision particulièrement pertinente et convaincante du concept de résilience. Dans son livre De Blanche-Neige à Harry Potter – des histoires pour rebondir, il explique comment remanier ses émotions pour affronter et surmonter les traumatismes. Par les temps qui courent, c’est précieux.

Le Vif/L’Express :Pourquoi la résilience est-elle si importante, à vos yeux ?

Bruno Humbeeck : Le terme, emprunté à la physique, désigne la résistance au choc d’un matériau. En psychologie cognitive, ce concept est une métaphore et se traduit par l’art de rebondir, c’est-à-dire par la capacité de produire un néo-développement au-delà d’un traumatisme. Le traumatisme, ce n’est pas un choc, mais la représentation que l’on s’en fait. Il faut donc prendre conscience de ce choc pour développer une série de mécanismes qui permettront d’y faire face. La résilience est un concept fondamentalement humain. Elle pose la question de savoir comment intégrer le malheur survenu dans une vie et continuer quoiqu’il arrive à se développer. Tout le monde doit avoir un contrat minimum de résilience. On y est tous exposés. Il y a deux traumatismes principaux qu’on ne peut pas contrôler : l’amour et la mort. L’amour, parce qu’il implique la part de l’autre que l’on ne maîtrise pas. La mort, parce qu’elle va nous arriver à tous, on ne sait pas quand ni comment.

Pourquoi faites-vous référence aux contes de fées pour expliquer la résilience ?

On peut en faire un concept ardu à lire. C’est ce que j’ai fait il y a quelques années en écrivant Les ressources de la résilience, aux éditions PUF. Dans ce nouveau livre, j’ai voulu rendre le contenu très accessible en faisant appel à des dialogues, à des illustrations, à des métaphores et à des images. L’être humain vit d’images et d’histoires. Nous nous racontons des histoires que nous mettons en images. Prenons l’exemple de Blanche-Neige, l’histoire d’une jeune fille rejetée. Walt Disney était un très bon pédagogue mais un mauvais baby-sitter. Il n’a proposé que deux échappatoires, la fugue et la beauté : « Sois belle et casse-toi ». Or, si on rentre dans le personnage de Blanche-Neige, dans sa consistance humaine, on découvre son aptitude à s’attirer des personnes susceptibles de l’aider qui alimente sa résilience et la rend possible. Blanche-Neige nous montre qu’il ne s’agit pas seulement de se faire aider mais d’apprécier et de se faire apprécier par les personnes qui nous aident. Elle fait preuve d’amabilité, de charme, d’estime de soi stable et d’optimisme intelligent. Elle nous révèle sur quelles qualités affectives on peut s’appuyer pour surmonter le traumatisme.

Votre livre s’adresse aux adolescents. En quoi peut-il être utile aux adultes ?

J’ai pris pour support les ados, mais la résilience concerne tout le monde. Ce n’est pas un état, c’est un processus. « La capacité de se tirer de l’embarras sans se tirer de l’affaire », comme disait Louis Scutenaire, écrivain surréaliste belge. La résilience suppose de trouver le sens de l’être humain et de cheminer par des voies affectives ou cognitives vers notre destinée d’homme. On construit jusqu’au bout. Si Blanche-Neige est une championne en ressorts affectifs, Harry Potter est le spécialiste de la résilience cognitive. Celle-ci réunit l’intuition et l’indépendance de l’esprit, l’aptitude à rêver et la créativité. Nous avons tous des ressources affectives et cognitives, internes et externes qui peuvent être stimulées. Je propose des clés pour les activer. Mais on ne peut pas imposer la résilience. On n’est pas résilient, on fait preuve de résilience.

Comment utiliser l’humour pour faire de la résilience ?

L’humour est un vecteur de résilience car, par nature, il est bienveillant et créateur de liens, il est un renforçateur social. Il permet de mettre à distance, prendre du recul, s’affranchir du désespoir et rebondir. La moquerie, en revanche, est un vecteur de désilience. Après les attentats du 11 septembre à New York, la résilience s’est organisée très vite, suggérée par Bush lui-même : Retournez au théâtre, allez vous amuser au spectacle. Le profil bas, ce n’est pas un truc d’Américains ». Je pense que la France, qui a connu un vrai traumatisme, avec de vraies images, a mieux géré l’après-attentats du 13 novembre. Tout le monde a été sécurisé, on a cherché à dépasser l’anxiété. Cela dit, le divertissement qui favorise la capacité de rêver est revenu relativement vite dans les médias. En Belgique, on a généré l’angoisse, sans vraies images, mais avec des messages supposant « ce qui aurait pu se produire et ce qui pourrait se passer ». Le niveau d’angoisse maximale était présent tout le temps, les enfants ont eu peur très vite. Aujourd’hui, on doit apprendre à traverser des émotions négatives. On est dans une reprise de développement. On sait que la menace existe, elle sera toujours là, mais je dois vivre avec. La résilience est un concept rond qui permet de jouer avec ses blessures pour faire des arguments plus flottants, plus liquides, moins heurtants. Il faut introduire de la souplesse dans la manière dont on se représente le trauma. Les gens sont à la recherche de ces petits leviers pour se relever.

Dans le livre, vous détaillez différentes composantes de la résilience telles l’estime de soi, l’intelligence créative ou l’innovation. Quelles sont celles dont nous avons le plus besoin ?

Des résiliences affectives. Il faut s’entourer de liens. La résilience peut se construire avec des tuteurs de résilience, avec l’aide des autres. Nous sommes aussi en quête de sens et le sens ce sont des explications et des éclairages. Comment dois-je parler à mes enfants ? Comment se préoccuper de la peur et du développement de ceux qui nous entourent ? On est entré dans une troisième guerre. Elle n’est pas solide, mais « liquide ». On n’en sortira pas vite. Il faut s’adapter à une réalité telle qu’elle est, moins « fun », car la menace existe. Il faut puiser dans ses ressources individuelles et collectives, la faculté de résilience va se développer petit à petit. Cela dit, il ne faut pas brutaliser les personnes, nous avons tous des temporalités différentes.

Où trouver l’énergie pour rebondir ?

Dans les émotions. Elles sont au nombre de cinq : la peur, la colère, la tristesse, la joie et le dégoût. Il faut accueillir et accepter chaque émotion comme un moteur, ne pas chercher à la dénier ou à la contredire. On a le droit d’avoir peur, on a le droit d’être en colère. Le moteur permet d’avancer, il va se transformer peu à peu en motivation et en mobilisation. Il est nécessaire de cultiver son intelligence émotionnelle. L’émotion, c’est le carburant.

De Blanche-Neige à Harry Potter – des histoires pour rebondir, par Bruno Humbeeck, aux éditions Mols.

Le Rebond, documentaire sur la résilience de Bertrand Guerry et Thibaut Ras avec de multiples interventions de Bruno Humbeeck.

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