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Garder un cerveau éternellement jeune, c’est possible !

Le Vif

Bonne nouvelle ! Contrairement aux idées reçues, le cerveau fabrique des neurones à tout âge. A condition de le stimuler, de continuer à apprendre et d’être curieux. Bref, la solution est dans l’émerveillement perpétuel.

Pierre-Marie Lledo dirige le laboratoire de recherche « Perception et mémoire » à l’Institut Pasteur à Paris. Il est aussi président de la Commission scientifique en neuroscience du Fonds de la recherche scientifique (FNRS) de Belgique. Dans Le Cerveau sur mesure, ouvrage passionnant rédigé avec Jean-Didier Vincent (1), son ancien mentor, il nous apprend que notre cerveau n’est pas un organe figé et qu’il évolue tout au long de la vie. Rencontre à l’Institut Pasteur.

Le Vif/L’Express : On nous a toujours dit que notre cerveau perdait 100 000 neurones chaque jour. Selon vous, c’est un mythe. Pourquoi ?

Pierre-Marie Lledo : Le singe naît avec un cerveau « fini », déterminé par l’héritage des gènes de l’espèce à laquelle il appartient. Chez l’homme, en revanche, le cerveau est inachevé à la naissance et continue à se construire grâce à l’environnement. Comme disait Kant, l’homme naît deux fois, à la naissance puis avec son apprentissage. Dans les années 1970, les pédopsychiatres Françoise Dolto et Jean Piaget ont décrit l’acquisition des fonctions mentales par paliers. Ainsi, de 0 à six mois, on apprend à mouvoir ses membres, à partir de six mois commencent les babillements, etc. Selon les pédopsychiatres de l’époque, durant l’enfance, le cerveau passe par des phases critiques. S’il n’est pas stimulé, l’enfant ne parlera pas. Ce phénomène a été très bien raconté dans le film L’Enfant sauvage, de François Truffaut, tiré d’une histoire vraie. A l’issue de cette période critique, on a prétendu que les circuits nerveux impliqués dans une fonction mentale précise (langage, calcul, etc.) se figeaient car ils avaient atteint leur maturité. A partir de 25 ans, non seulement il ne produisait plus de neurones juvéniles, mais notre cerveau commençait à les perdre. Or c’est un mythe. Je vais vous le prouver avec un exemple que je donne souvent : le cerveau de Glenn Gould, le célèbre pianiste canadien, décédé en 1982. Ecoutez bien ces deux enregistrements, très différents, des Variations Goldberg de Bach [ pendant quelques minutes nous regardons et écoutons le pianiste]. Le premier enregistrement date de 1959. Gould a 27 ans. Il regarde la partition et joue avec son cerveau d’expert, son geste est planifié et précis comme celui d’un horloger suisse. Dans son jeu intervient le cortex, l’une des trois couches du cerveau, où est logée, notamment, la planification du geste. Le second enregistrement date de 1981. La durée a doublé, le jeu est plus lent, plus profond, plus coloré et plus intériorisé. Pour cela, Gould va chercher de l’information dans son système limbique, une autre couche du cerveau placée sous le cortex, siège entre autres de nos émotions. Qu’est-ce que cela signifie ? Que notre mode de vie et nos expériences s’inscrivent plus ou moins durablement dans les connexions et les contacts de nos neurones. Plus on utilise de circuits, plus le nombre de contacts augmente. Dans le cerveau des pianistes, les aires qui commandent les doigts ont bien plus de contacts et sont plus développées que les mêmes régions corticales des non-mélomanes.

D’où votre thèse que le cerveau adulte est doué d’une neuroplasticité ?

Oui, le cerveau évolue, les circuits se modifient. Nos circuits nerveux à l’instant où je vous parle ne sont pas les mêmes que ceux d’il y a une heure. Quand on connaît la capacité du cerveau adulte, quel que soit l’âge, à se reconfigurer, on est conscient du fait qu’on doit chercher à le stimuler. La neuroplasticité ouvre de nouveaux champs à la stimulation sensorielle. Faire face à la nouveauté, s’enrichir, rechercher le bien-être et le plaisir, stimuler les systèmes de récompense qui libèrent la dopamine, le neurotransmetteur du plaisir, c’est excellent pour le cerveau ! Stimulé en permanence, le cerveau devient malléable, souple et flexible, de plus en plus reconfigurable. Dans certaines structures cérébrales, on produit de plus en plus de neurones et de contacts. Regardez Stéphane Hessel, 95 ans, le philosophe Michel Serres, 82 ans ou l’écrivain Jean d’Ormesson, 87 ans. Les gens qui sont stimulés, et en permanence dans le bien-être, restent jeunes mentalement tout au long de leur vie. A l’inverse, les individus qui entrent dans la routine très tôt, qui n’ont pas de surprises et n’ont aucune motivation dans la vie, perdent la plasticité de leur cerveau. Le cerveau d’un dépressif est figé. Aucun jeune neurone n’a pas été décelé chez les suicidés souffrant d’une dépression chronique depuis des années. Il y a donc une corrélation directe entre le nombre de contacts, de stimuli et le nombre de neurones. Les personnes qui ont une extraordinaire capacité de s’adapter au monde qui change en permanence sont celles qui montrent une plus grande faculté de neuroplasticité.

Quelles sont les conditions pour produire de nouveaux neurones ?

Les stimulations nouvelles, le plaisir, la curiosité et l’émerveillement. Cela dit, tous les plaisirs n’ont pas le même degré du bénéfice. Quand on lit un livre, l’imaginaire s’emballe et on engage 85 % de son activité mentale. Quand on regarde un film, en restant passif, seulement 15 % de l’activité mentale est en action. Pauvre cerveau dans ce cas…

Que faire pour maintenir son cerveau en forme ?

Dans ma « boîte à outils », il y a cinq remèdes. Tout d’abord, il faut stimuler son cerveau en permanence, ne jamais cesser d’apprendre, quels que soient l’âge et les disciplines. Ensuite, il faut savoir juguler la pollution sonore et visuelle. Nous sommes soumis à une overdose d’informations et d’images. C’est un véritable tsunami. Quelqu’un qui est scotché en permanence à Internet pour être au courant de tout ce qui se passe dans le monde stimule ses émotions qui se traduisent par des bouffées d’adrénaline, mais certainement pas la raison. Certes, il « sait ». Or il faut refuser de savoir. Il faut plutôt chercher à comprendre. Surfer sur Internet pour juste s’émouvoir, ça ne sert à rien. Tout comme il ne sert à rien de regarder les chaînes télé qui cherchent à parler à notre système limbique. Troisièmement, il faut comprendre que certains médicaments dopants peuvent aider mais ne suffisent pas. Il faut avoir une éthique, une hygiène de vie, savoir juguler le flot des états d’âme négatifs. En quatrième lieu, il faut prendre conscience du fait que tout ce que nous faisons laisse toujours des traces dans le cerveau. Il faut savoir et accepter que les activités physiques et mentales sont indispensables pour garder la plasticité cérébrale à son niveau optimum. Le cinquième point est très important. Le cerveau de l’être humain se nourrit des nourritures affectives de l’Autre. On a découvert dans le cerveau des neurones « miroirs ». Le partage du plaisir avec l’Autre et de l’empathie favorise les sensations de bien-être. La plus grande stimulation pour le cerveau reste donc l’Autre !

Quels sont les facteurs nuisibles pour le cerveau ?

Le stress chronique, la dépression, la sédentarité et l’isolement. Une personne qui se retrouve à la retraite à 65 ans, sans vie de couple ou sans vie de famille, qui s’enfonce dans la routine, qui n’a pas une vie sensorielle et affective très riche et dont le cerveau n’est plus correctement stimulé, se trouve condamnée. Son système immunitaire va s’effondrer.

On dit souvent que nous n’utilisons pas notre cerveau de façon optimale. Pourquoi ?

Notre société du XXIe siècle ne le permet pas. On préfère des individus inscrits dans la routine, des consommateurs que l’on guide par le bout du nez. La société ne cherche pas à ce que nous soyons soumis à des stimulations différentes. Nos organes sensoriels fonctionnent au ralenti. Les mêmes images sont présentes partout. Les odeurs sont gommées ou standardisées. Le toucher a disparu. Sur le plan mental, nous devons faire face à une pensée automatique d’où la réflexion est absente. S’y ajoute la sédentarité. Or il est prouvé que vingt minutes d’activité physique par jour sont nécessaires pour booster le cerveau. Comment en est-on arrivé là ? A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les économies ont changé. On s’est intéressé à la consommation. Notre société ne sait plus penser autrement que par la consommation et, tout cela, pour avoir une économie forte. Revers de la médaille ? Aujourd’hui, en tout cas en France, 10 à 15 % des gens sont traités par des antidépresseurs. Et malheureusement, cette façon de vivre s’exporte vers les pays émergents, notamment la Chine. Résultat ? En 2050, nous serons très certainement confrontés à un gros problème de la santé mentale au niveau mondial.

Le dopage cérébral est-il soluble dans la société ? Autrement dit, y a-t-il des médicaments capables de doper le cerveau ?

Mais ça existe déjà et depuis très longtemps ! Le premier dopage, c’est la lecture. A l’origine, le cerveau n’est pas fait pour lire. L’autre exemple du dopage : l’informatique. Les molécules capables de doper l’intelligence ou la mémoire existent déjà. Certaines sont détournées. On peut citer les molécules destinées à soigner les troubles du sommeil, comme l’hypersomnie, par exemple, qui est un sommeil excessif ou encore la narcolepsie, maladie où l’on souffre d’accès brusques de sommeil. Ces molécules visent à prolonger l’état de veille. Les traders, notamment, y font appel. Il y a des formes de dopage qui sont acceptées et d’autres que l’on condamne. Le phénomène mérite d’être discuté car il engendre l’injustice. Selon diverses enquêtes réalisées sur les campus universitaires aux Etats-Unis, 30 % des étudiants recourent déjà au dopage cérébral, en se procurant illégalement des molécules pour stimuler leur vigilance ou doper leurs performances avant un examen ou un concours. En pratique, cela signifie que 30 % des étudiants sont privilégiés car mieux armés. Faut-il permettre l’utilisation de dopants à tout le monde ? La question se pose…

Y a-t-il une relation entre la pratique régulière de la méditation et l’activité cérébrale ?

Les performances sont augmentées mais il n’y a pas d’effet direct. Pour être bénéfique à l’activité mentale, il faut que le cerveau soit entraîné à la méditation pendant des dizaines de milliers d’heures. La méditation fait disparaître certains effets négatifs du stress chronique et autres états émotionnels. Quand vous êtes stressé, par exemple, les glandes surrénales sécrètent massivement le cortisol, l’hormone du stress. Or, lorsque l’on médite, le niveau de cortisol est réduit pratiquement à zéro. Cela dit, les recherches sur la plasticité cérébrale déclenchée par la méditation ne sont pas encore très avancées. Mais cela débute…

Quelques mots sur le neurofeedback, que vous appelez la nouvelle gonflette cérébrale ?

Le neurofeedback offre la possibilité de voir l’activité mentale sur un support matériel. Autrement dit, on voit sa pensée se matérialiser par un son ou un tracé qui apparaît sur un écran. L’intérêt ? Grâce à cette technique, on peut contrôler ses états mentaux, y compris certaines fonctions dites inconscientes. Le neurofeedback est testé pour l’instant sur le plan clinique et s’adresse surtout aux enfants atteints de déficit attentionnel.

En conclusion, c’est quoi un cerveau sur mesure ?

Nous sommes à l’aurore de la troisième révolution de l’humanité. La première révolution pour l’humanité s’est déroulée lorsque l’on a su transformer la matière en énergie, avec la découverte du feu par exemple. Lors de la deuxième révolution, survenue au XIXe siècle avec la révolution industrielle, on a inventé la machine qui a permis de transformer l’énergie en travail. La troisième révolution, celle que nous vivons en ce moment, voit la possibilité de transformer la pensée en action. Des robots pourront obéir à des impulsions envoyées par le cerveau grâce à un système d’électrodes et un dispositif que l’on qualifie d’interface cerveau-machine. On pourra donner l’ordre au robot, à distance, de nous apporter un verre d’eau, par la seule force de notre esprit. Correctement stimulés, les circuits du cerveau se débrouillent et se reconfigurent sans cesse pour trouver toujours de nouvelles solutions. Cela me rappelle le fameux adage d’Erasme : On ne naît pas homme, on le devient !

PROPOS RECUEILLIS PAR BARBARA WITKOWSKA

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