© Getty Images

Entre le cerveau et le corps, un dialogue ininterrompu

Le Vif

Les émotions naissent dans notre cerveau, mais s’expriment aussi dans le corps, en y impliquant de façon globale les systèmes nerveux, endocrinien et immunitaire. Gare au stress qui déséquilibre ce triple maillage et favorise l’émergence de maladies.

Nous pensions n’avoir qu’un seul cerveau alors qu’en réalité, nous en possédons plusieurs qui fonctionnent en étroite collaboration. Ces cerveaux fabriquent aussi les émotions. C’est Paul MacLean, médecin et neurobiologiste américain, qui a mis en évidence les trois parties cérébrales, dotées d’une hiérarchie stricte mais formant une unité. Chaque partie peut fonctionner de manière indépendante mais elles sont toujours interconnectées et échangent en permanence leurs informations. Leur constitution s’est faite au cours du temps, étape par étape, en suivant l’ordre d’apparition des différents animaux, puis de l’homme.

Le cerveau reptilien apparaît vraiment chez les reptiles et nous en héritons. Situé à la base du cerveau, il nous permet de survivre en répondant aux besoins vitaux : boire, manger, se défendre, se reproduire. C’est le siège des instincts. Il active l’hypophyse qui, à son tour, va régir l’ensemble des glandes (thyroïde, pancréas, testicules ou ovaires,…). Tout petit (il ne pèse que quatre grammes !), il contrôle le système nerveux autonome, les rythmes cardiaque et respiratoire, la température corporelle. Bref, il s’occupe du fonctionnement de l’organisme et des « affaires courantes ».

Plus tard, est apparu, uniquement chez les mammifères, le cerveau limbique. De forme circulaire, il s’est lové autour du reptilien. Il intervient dans la genèse des émotions, mais aussi dans celle de la mémoire à long terme. Nos souvenirs, immatériels, y sont stockés sous la forme matérielle de connexions entre cellules nerveuses renforcées par des protéines.

Le cerveau cortical, appelé aussi néocortex, est la dernière étape dans l’évolution des espèces. Il s’est développé au-dessus des deux autres cerveaux chez les primates et, bien sûr, chez l’homme. Sous sa responsabilité se trouvent le langage, la pensée, la lecture et l’écriture, l’imagination et la gestion rationnelle.

Ces trois cerveaux, rappelons-le, sont connectés jour et nuit et fonctionnent en synergie. Prenons un exemple. Une émotion négative est d’abord enregistrée par le cerveau limbique. Celui-ci alerte immédiatement le reptilien (pour le prévenir du danger) et le cortical (pour faire appel à sa capacité d’analyse et de raisonnement). Ces contacts sont établis en une fraction de seconde et nous n’avons évidemment aucune idée de ce qui se trame, à ce moment-là, dans le secret de notre cerveau. En effet, contrairement à ce que l’on pense, on ne ressent pas l’émotion seulement dans notre tête mais aussi dans notre corps. Pour se « matérialiser » et déclencher un ressenti ou un comportement, elle a besoin d’un support corporel.

Le lien cerveau-corps

Le cerveau proprement dit appartient à un ensemble plus vaste, réunissant les systèmes nerveux central, endocrinien et immunitaire. « Ces trois grands systèmes de communication sont reliés directement par nos trois cerveaux et gérés par eux, explique Philippe van den Bosch, neurobiologiste émérite à l’UCL. La triade neuro-endocrino-immunitaire ne forme qu’une seule et même grande trame, interactive et mouvante en fonction des exigences de l’organisme. Elle se partage le transport des informations dans l’organisme et garantit ainsi l’harmonie des fonctions vitales. » Pour fonctionner, notre organisme a besoin du cerveau dans sa boîte crânienne, mais aussi des voies nerveuses, endocrines et immunitaires. Il faut donc voir l’organisme comme un immense maillage interconnecté qui va de notre psyché à la plus petite de nos cellules. Chaque parcelle de matière qui nous forme est parfaitement au courant de tout ce qui se passe partout ailleurs dans le corps. Mais la clé de la bonne santé, c’est avant tout le système immunitaire.

Aujourd’hui, on comprend beaucoup mieux comment les facteurs psychologiques, et notamment le stress, peuvent peser sur l’évolution des maladies, du cancer notamment. Une nouvelle branche scientifique, nommée la psycho-neuro-immunologie, étudie explicitement le lien entre les facteurs psychologiques et le système immunitaire. Quand on a le sentiment que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue, qu’elle nous apporte plus de souffrance que de joie (aspect psycho), le cerveau libère des hormones du stress comme la noradrénaline et le cortisol. Résultat ? Le système nerveux est débordé, le rythme cardiaque s’emballe, la tension artérielle monte en flèche, les muscles gonflent et se tendent, prêts à parer les coups (aspect neuro). Or, les scientifiques ont découvert que ces hormones du stress agissent aussi sur le système immunitaire. Les globules blancs, censés nous défendre, vont ainsi informer le cerveau (en y envoyant des médiateurs cytokines) du combat qui se livre contre l’envahisseur. De leur côté, les cellules NK (natural killer ou cellules tueuses naturelles, qui ont pour cible de prédilection les cellules cancéreuses) sont bloquées et rendues passives par le cortisol et la noradrénaline (aspect immunologie).

Affaibli par le stress chronique et les années, le corps devient plus sensible aux bactéries et aux virus. Les cellules se renouvellent mais le contrôle de cette division dépend de la triade neuro-endocrino-immunitaire. S’il n’est plus assuré par un élément de la triade (en l’occurrence le système immunitaire), les cellules prolifèrent et peuvent devenir cancéreuses. Les infections deviennent plus fréquentes et les cellules touchées peuvent se développer à foison. Si la maladie s’est déclarée et qu’elle évolue défavorablement, les défenses immunitaires baissent encore plus et se laissent déborder. L’impact du système immunitaire intervient également sur les maladies cardiovasculaires car certaines infections contribuent au rétrécissement de certaines artères.

En conclusion, un bon système immunitaire reste le bouclier le plus sûr pour garder la santé. A l’heure actuelle, il n’existe pas de médicaments capables de renforcer à long terme ces volets de défense. On a observé toutefois que les personnes en activité se battent mieux que les inactifs et passifs. « Le cerveau est en communication permanente avec le corps, rappelle Philippe van den Bosch. Tous les organes reçoivent des informations de neurones. A leur tour, les organes renvoient des messages qui remontent vers les neurones. Ce dialogue est permanent, ininterrompu et très important. Les personnes âgées, inactives, n’envoient plus de messages et le cerveau n’a plus envie de se fatiguer. Tant que le système nerveux entretient le dialogue, la triade fonctionne et l’organisme se porte bien. Il faut donc stimuler le corps pour que le cerveau soit à même de suivre. »

Bien dans son corps, bien dans sa tête

L’activité physique quotidienne améliore l’état de nos neurones et la résistance au stress. Une marche sportive de trente minutes apporte de l’oxygène à la région du cerveau (située à l’arrière du lobe frontal) jouant un rôle important dans la gestion du stress. « Lors d’une activité sportive modérée comme la natation, le cerveau libère de l’anandamide, une molécule qui se comporte comme un cannabis naturel, note Bernard Sablonnière, médecin biologiste à Lille. Cette molécule a un effet apaisant, relaxant et renforce la sensation de bien-être physique et mental. L’anandamide booste aussi la sécrétion de dopamine, ce qui a des effets positifs sur le cortex frontal. A la clé, une accentuation de la motivation mentale, accompagnée d’une émotion positive. »

Autre progrès majeur : la découverte du rôle des télomères et de la télomérase. Les premiers sont situés dans toutes les cellules de l’organisme et localisés aux extrémités de chacun des chromosomes. Leur longueur détermine la durée de vie de nos cellules. Plus ils sont courts, plus elle se réduit. Le surpoids, la sédentarité et surtout, le stress, contribuent à les raccourcir. Ils peuvent être réparés par une enzyme : la télomérase. On vient de découvrir que l’activité physique contribue à maintenir en bon état les télomères. Les scientifiques ont comparé leur longueur chez les sportifs assidus et chez les non-sportifs. Les résultats de l’étude indiquent, chez les premiers, une fréquence cardiaque et une pression artérielle plus basses que chez les seconds. Un coeur qui bat moins vite et une pression artérielle modérée sont des facteurs de bonne santé bien connus. L’exercice physique conduit aussi à une activation de la télomérase qui stabilise les télomères et protège les cellules. Plus le niveau de l’enzyme est élevé, plus les cellules bénéficient d’une protection biologique.

D’autres moyens de renforcer le cerveau

Le sommeil permet de récupérer la fatigue, en calmant le système nerveux. L’équilibre de celui-ci, contrôlé par le cerveau, est indispensable pour maintenir en bon état nos fonctions cognitives et mentales. La pratique du yoga est aussi une bonne méthode de relaxation, à la fois physique et mentale. Quand on apprend à maîtriser sa respiration, on diminue l’activation du circuit hormonal du stress. Après une séance, l’anxiété est en baisse et l’humeur positive en hausse. La méditation, surtout celle dénommée « de pleine conscience », fait beaucoup d’adeptes. Les études d’imagerie médicale, réalisées par l’équipe du neurologue Eileen Luders à Los Angeles, démontrent clairement qu’après huit semaines de méditation, les connexions entre différentes régions du cerveau s’élargissent considérablement, le travail cognitif s’améliore et le stress diminue. Ces nouvelles conclusions témoignent de l’influence de la pensée volontaire sur la régulation des émotions et le self-control.

Par Barbara Witkowska

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire