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En salle d’opération, les chirurgiens se comportent comme des chimpanzés

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

La lutte des pouvoirs entre les primates ressemble en de nombreux points à ce qui se passe dans une salle d’opération : le plus il y a d’hommes en présence, plus les risques de conflit sont importants. Ces tensions peuvent même aller jusqu’à mettre la vie du patient en danger, selon une recherche du primatologue Frans de Waal relayée par De Volkskrant.

Le primatologue et éthologue néerlandais Frans de Waal a réalisé une étude sur les relations entre les personnes travaillant dans les salles d’opération de trois hôpitaux universitaires américains. Il en ressort que plus il y a d’hommes en présence dans la pièce, moins la collaboration est bonne. Le nombre de conflits est ainsi fortement lié à la proportion d’hommes et de femmes dans l’équipe médicale. Ces conclusions sont importantes pour la santé et la sécurité des patients.

Le primatologue a été approché il y a quelques années par un anesthésiste qui avait lu son ouvrage La Politique du chimpanzé*. Le médecin en question lui avait raconté que la lutte des pouvoirs qu’il décrivait dans son livre ressemblait grandement à ce qu’il vivait en salle d’opération, ce qui a motivé le primatologue à faire des recherches sur le sujet.

De nombreuses recherches ont déjà mis en avant le fait que les conflits qui surgissent dans les salles d’opération peuvent mettre en danger le patient. Jusqu’à présent, les interactions sociales dans les salles d’opération étaient recensées à l’aide d’une liste de questions, mais cette méthode n’apportait rien de concret, explique De Waal : «  La plupart du temps, ce n’était la faute de personne. »

De Waal et son équipe ont ainsi analysé les interactions entre les personnes du corps médical présentes lors d’une opération comme il le ferait avec un groupe de primates. Avec son équipe de recherche, il a réalisé un éthogramme, c’est-à-dire une liste recensant tous les comportements qu’un animal peut avoir. La liste a été spécialement adaptée à la salle d’opération : de l’échange d’informations professionnelles, aux remarques d’encouragement, en passant par les signes d’impatience jusqu’aux injures, rires, ragots, flirts et même pas de danse (de la musique est souvent diffusée lors d’opérations).

Les chercheurs ont eu l’occasion de faire leurs observations lors de 200 opérations pendant lesquelles ils ont notifié sur leur iPad, installés dans un coin de la pièce, pas moins de 6.348 interactions sociales divisées en trois catégories : collaboration, conflit ou aucune des deux. Pendant un tiers des opérations, des conflits souvent modérés ont été observés. Pour 2% des opérations, ils ont relevé des conflits beaucoup plus sérieux avec des effusions de colère et même, des jets d’instruments.

Dans leur étude, publiée cette semaine dans le magazine PNAS , les chercheurs déclarent avoir trouvé des similitudes entre le comportement de l’équipe médicale en salle d’opération et la compétition observée dans un groupe de primates, où les mâles alpha défendent leur position de force, principalement vis-à-vis des principaux animaux rivaux de leur propre sexe.

Equipe mixte

Le nombre de conflits dans les salles d’opération semble donc être intimement lié à la composition de l’équipe médicale. Quand l’équipe est mixte, par exemple, un chirurgien et le reste de l’équipe des femmes (ou inversement), il y a souvent beaucoup plus de collaboration et moins de conflits. De Waal: « Nous remarquons aussi cela chez les chimpanzés. Les mâles dominants se préoccupent surtout de leur status par rapport aux autres hommes et les femelles dominantes se dressent contre les autres femelles. »

Dans deux tiers des cas, les conflits sont imputés aux chirurgiens qui s’en prennent souvent aux personnes en dessous d’eux dans la hiérarchie. Les infirmiers et infirmières sont souvent les personnes les plus visées.

Les recherches doivent être approfondies, souligne De Waal. Il avance toutefois que la diversité dans une salle d’opération peut améliorer la collaboration professionnelle. Le problème rencontré est que les compositions d’équipes médicales sont souvent très changeantes. « Les médecins et les infirmiers doivent alors constamment réaffirmer leur rôle », explique le primatologue.

L’anesthésiste Rob Slappendel, aussi professeur à l’université d’Anvers dans la qualité et la sécurité des soins médicaux, se montre enthousiaste par rapport aux conclusions de cette étude américaine. « Qu’une équipe médicale en grande partie masculine ou féminine en salle d’opération peut être la cause de conflits est nouveau » , déclare-t-il. Il avance que la hiérarchie dans les hôpitaux américains est cependant plus forte qu’en Europe et notamment aux Pays-Bas, ce qui engendre plus de conflits outre-Atlantique. Chez nos voisins néerlandais, il y a aussi plus de chirurgiens et d’anesthésistes de sexe féminin.

* »Chimpanzee Politics: Power and Sex among Apes », Editions du Rocher, 1987, 216 p.

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