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Echapper à la tyrannie du plaisir

Le Vif

La honte, c’est terminé : en cas de problème sexuel, on consulte plus facilement et plus vite. Et on se rend davantage en couple chez le sexologue. Petit catalogue de ce qui nous tourmente ou gâche nos nuits.

Jouir, est-ce obligatoire ?

Avant Mai 68, tout était interdit. Ensuite, tout est devenu permis. Et désormais, tout semble obligatoire, y compris la jouissance. Or elle n’est pas toujours possible. Bienvenue dans le monde de la « tyrannie du plaisir » ! Comme le précise le Pr Susann Heenen-Wolff, psychanalyste, « lorsque le message ambiant colporte à tout-va des  » éclatez-vous » ou des « jouissez à tous les coups », ceux et celles qui n’atteignent pas cet objectif se sentent responsables, honteux, sinon coupables d’un tel échec. Pourtant, la difficulté d’accéder à la satisfaction sexuelle est aussi grande qu’auparavant. Nous ne sommes pas de ces mammifères capables de scinder leur vie entre les moments où ils broutent et ceux où ils sautent l’un sur l’autre : notre sexualité est très compliquée. Raison de plus pour se méfier de la promesse, qui n’en est pas une, d’un épanouissement sexuel sur commande et forcément accessible à tous. »

Qu’est-ce qui cloche chez nous ?

Comme c’est bizarre : en matière de dysfonctions sexuelles, sexologues et sociologues ne recueillent pas les mêmes confidences, remarque le Pr Lequeux, gynécologue et sexologue. Face au sexologue, hommes et femmes se plaignent de pannes du désir, d’impuissance, d’éjaculation précoce, de sécheresse vaginale, de douleurs ou d’absence d’orgasme. Mais les mêmes affirment au sociologue qu’ils sont « satisfaits de leur sexualité au cours des trois derniers mois ». L’explication de ce mystère ? « Nous surévaluons la fonction sexuelle : sa réussite n’est pas nécessaire pour vivre bien et la relation d’un couple peut être bonne sans que l’extase soit au rendez-vous tous les soirs. »

Par ailleurs, nous négligeons les conséquences de l’absence d’interdits sur nos sexualités. « Ainsi, par exemple, l’adultère peut être bien plus excitant que le lien matrimonial, car ce dernier risque souvent de devenir banal », rappelle Susann Heenen-Wolff. Bref, quand la source de l’interdit se tarit, nos désirs risquent de rester en cale sèche ( voir les points suivants).

Enfin, « nous nous plaçons trop souvent encore dans un modèle unique de sexualité : nous croyons qu’il faut d’office des préliminaires, puis une pénétration qui dure assez longtemps, suivie d’un orgasme pour chaque partenaire, et ce à chaque relation sexuelle, sans admettre la diversité ou les limites de chacun », constate Pierre Collart, sexologue et sociologue. De plus, nos connaissances en matière sexuelle restent globalement assez mauvaises. Par ailleurs, remarque le Pr Susann Heenen-Wolff, nous négligeons une des leçons importantes de Freud : notre sexualité est insatisfaisante de façon structurelle. Cette insatisfaction nourrit notre désir et explique par exemple pourquoi, dans nos fantasmes, notre vie sexuelle semble plus glorieuse que dans la réalité…

Pourquoi le bonheur est-il refusé aux femmes ?

Comme le confirme notre enquête, les périodes de non-désir frappent un nombre non négligeable de femmes ( voir l’infographie). Or, lorsque ces moments perdurent, ou quand ils créent des tensions avec le partenaire, cette absence risque de poser des problèmes.

« La femme présente parfois des failles dans son éducation sexuelle et son développement psychoaffectif. De plus, apparemment libérée, elle reste, en réalité, souvent soumise à une multiple journée de travail où tout est fait dans l’urgence, sans possibilité de recul, et son mode de vie ne lui laisse que peu de place pour le désir, constate le Dr Esther Hirch, sexologue (ULB). L’homme peut vivre dans la discontinuité, un peu comme s’il fonctionnait avec un bouton on et off : il cesse une activité, aperçoit sa femme et… l’érection peut être là ! La femme, elle, a besoin de temps, d’un contexte, d’un espace intrapsychique pour s’autoriser à rêver l’autre et, donc, à le désirer. » Une aide auprès d’un thérapeute permet souvent de raviver la flamme. Par ailleurs, lorsque la libido flanche, on commence à prescrire des gels à base de testostérone, en théorie réservés à celles qui ont subi une ablation des ovaires.

Plus nouveau : « Parallèlement aux femmes qui consultent parce qu’elles souffrent d’anorgasmie, de dyspareunie (douleurs lors de l’acte sexuel) ou de manque de désir, certaines sont en demande de davantage de jouissance et de performance », constate le Pr Lequeux. Les sexologues entendent « Je jouis, mais j’ai l’impression que cela pourrait être meilleur encore », « Je suis sûre que c’est mieux chez les autres » et « Comment faire pour devenir une femme fontaine ? » (qui connaît, au moment de l’orgasme, des émissions liquides). Ou encore : « A 50 ans, je m’angoisse à l’idée de n’avoir peut-être pas tout connu. » Commentaire du Dr Lequeux : « Leur seuil de tolérance à l’insatisfaction semble plus faible qu’auparavant. »

Mais de quoi souffrent les mâles ?

Ejaculations précoces, dysfonctions érectiles : voilà les grands classiques qui mènent les hommes – à raison, puisqu’il existe des solutions – chez le sexologue ou le médecin. Mais voilà qu’ils se plaignent aussi, comme les femmes, d’absence de désir, remarque le Pr Lequeux. Dans notre société de performance, l’homme semble devoir, en permanence, prouver quelque chose. Souvent hyperactif dans le reste de ses activités, sur le plan sexuel, il n’a « plus envie » et se met au repos. Cette attitude permet aussi à certains d’éviter d’avoir l’impression de ne pas « très bien » faire l’amour. »

Refuser de passer rapidement à l’acte, ringard ou malin ?

Une rencontre sur Internet – qui n’impose pas de « savoir draguer » – un flirt rapide… et, très vite parfois, on passe à l’acte en oubliant la magie de la rencontre et de la découverte réciproque. Et sans savoir si on ressent une attirance purement sexuelle ou si une relation avec des répercussions à long terme est en train de naître. « Les gestes de séduction, les sorties, le premier baiser, les moments où l’on fait languir l’autre, ceux où on rêve de lui, puis, enfin, une première relation sexuelle réussie, tout cela détermine pourtant l’avenir du couple. Et aussi, parfois, la durée du désir réciproque », constate le Dr Esther Hirch.

Dans les cabinets des sexologues, les couples avouent : « On a fait l’amour trop tôt », « On s’est mis en ménage trop vite », « On n’a pas eu le temps de se découvrir ». Il existe entre eux trop de transparence et pas assez de ce rêve qui aide à rester dans le désir et dans la volonté de séduire. A méditer par les femmes qui ont parfois l’impression que, si elles retardent trop le premier acte sexuel, elles seront abandonnées par le partenaire ?

Le Viagra (ou toute autre pilule contre les pannes sexuelles) change-t-il la vie ?

Trois molécules ont bouleversé le traitement de la dysfonction érectile et ont fait oublier des thérapies autrement plus contraignantes. Néanmoins, la virilité et la masculinité ne se mesurent pas uniquement à l’érection : « C’est aussi une question d’affirmation de soi, d’assurance et de détermination, de capacité à foncer, bref, d’agressivité phallique positive. S’y ajoutent aussi la fierté de son appendice et le fait d’intégrer ses côtés féminins, sans pour autant en être déstabilisé « , remarque le Dr Esther Hirch. Voilà pourquoi, peut-être, « ceux qui prennent ces pilules reviennent souvent nous voir parce que, contrairement à ce qu’ils pensaient, elles n’arrangent ou ne réparent pas tout », remarque Pierre Collart.

Grâce à ces produits, l’homme découvre qu’il est « capable, à nouveau, de pénétration et donc qu’il fonctionne. Mais cela ne lui apporte pas forcément de satisfaction suffisante », constate Susann Heenen-Wolff. Sans parler des femmes qui ne considèrent pas toujours de manière anodine la prise de ce traitement par leur partenaire.

Les fantasmes, une révolution ?

Gare aux fantasmes… quand ils deviennent réalité ! « Dans une enquête réalisée durant les années 1960, les femmes rêvaient d’être prises avec violence ou même d’être violées, rappelle Susann Heenen-Wolff. Mais elles ne voulaient pas le vivre réellement : les fantasmes représentent un trésor intime, qui nourrit le désir, et ne doivent pas forcément être réalisés. » A méditer par les hommes qui pressent leur partenaire de tenter une aventure échangiste, sans savoir qu’ils prennent le risque de mettre leur couple en danger. Ou par ceux qui sous-estiment les dangers liés à la mise en pratique de fantasmes sadomasochistes ou délictuels. « De façon générale, remarque le Dr Esther Hirch, l’imaginaire érotique est le moteur du désir : il faut donc le cultiver… mais ne pas toujours dévoiler cet imaginaire, sous peine de le voir perdre sa valeur érogène. » Tous sauvés par le rêve ?

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