Isabelle Dinoire © EPA

Doit-on continuer à greffer des visages ?

Le Vif

Dix ans et quelque 37 opérations plus tard, la transplantation de la face reste une entreprise délicate qui présente des risques importants de complications à mettre en regard de ses avantages.

Cette intervention majeure permet aux patients de retrouver des fonctions basiques: respirer, manger, parler et pour la plupart de pouvoir sortir à nouveau en public sans être obligés de se dissimuler derrière un masque.

Ce dont témoigne un patient greffé en 2010, Jérôme Hamon, au visage toujours très marqué: « C’est un véritable bonheur depuis cette greffe (…) les regards, les moqueries ont totalement disparu ». « J’ai l’impression enfin de vivre », a-t-il dit sur France-Info.

Mais « on peut se demander pourquoi en dix ans, seulement 37 greffes de face ont été officiellement faites dans le monde, alors que pour le coeur, ça été extrêmement plus rapide », dit à l’AFP le Pr Bernard Devauchelle à la tête de l’équipe qui a réalisé « la première » au monde en opérant, en 2005 à Amiens, Isabelle Dinoire, décédée en avril dernier.

Selon lui, « il faudrait 150 à 200 transplantations réalisées de façon rigoureuse au niveau international pour dresser un bilan, avec un recul d’au moins 5 à 10 ans ».

Cela permettra de dire s’il s’agit d’une « solution d’avenir qu’il faut faire progresser ou arrêter » faute de progrès au niveau immunologique, les traitements anti-rejets abaissant les défenses de l’organisme.

Ces traitements peuvent entraîner un diabète, une insuffisance rénale ou une hypertension artérielle, une ostéoporose. Et, comme pour les greffés du coeur ou du rein, les patients transplantés de la face, fragilisés par les traitements anti-rejets, sont plus vulnérables aux risques d’infections et de cancers.

Isabelle Dinoire, première au monde à avoir été greffée du visage après avoir été mordu par son chien, a succombé à la « récidive d’une tumeur maligne » rare.

« Aucune preuve scientifique aujourd’hui ne nous permet de lier le décès d’Isabelle Dinoire à la prise du traitement immunosuppresseur et donc à la transplantation, contrairement à ce qui a été dit ici ou là » assure à l’AFP le Pr Devauchelle.

pour patients sans solution

« Une patiente qui a survécu 10 ans avec une greffe du visage, c’est déjà une victoire », fait valoir le Pr Laurent Lantieri, spécialiste de la greffe faciale. D’autant, a-t-il dit sur France 5 qu’elle « a pu avoir une vie sociale ».

Le Pr Lantieri convient qu’il n’y a pas eu de révolution dans le domaine de l’immunologie permettant « de dire qu’on va pouvoir diffuser cette technique ».

Elle devrait toutefois pouvoir être proposée dans des cas « exceptionnels » à des patients pour lesquels il n’y a plus aucune autre solution, selon lui.

« Ce qui pénalise les patients ce sont les traitements anti-rejets » selon le Pr Jean-Paul Meningaud de l’équipe de hôpital Henri Mondor (AP-HP, Créteil, région parisienne) qui a réalisé 7 greffes de la face avec le Pr Laurent Lantiéri.

Les complications liées aux traitements pris à vie par les greffés pour éviter le rejet des tissus étrangers (provenant de donneurs décédés) par les défenses immunitaires du receveur, sont similaires à celles observées dans d’autres greffes d’organe.

Depuis novembre 2005, 37 transplantations faciales ont été recensées dans le monde, dont 10 en France, 3 par les équipes d’Amiens et Lyon et 7 par l’équipe d’Henri-Mondor à Créteil. Parmi ces 36 cas recensés, 6 sont décédés.

Deux des sept patients d’Henri Mondor (équipe des Pr Lantieri et Meningaud) greffés entre 2007 et 2011 sont décédés, dont l’un confronté à des problèmes relationnels et financiers, s’est suicidé.

L’opération d’Isabelle Dinoire avait été une « réussite chirurgicale (…) remarquable », mais avait donné lieu à des complications liées au traitement immunosuppresseur ou au rejet du greffon. La patiente avait développé des « infections », « une tumeur liée à l’immunosuppression » qui avait été « traitée » et « maîtrisée ». Sa fonction rénale avait diminué et elle avait développé une hypertension, selon les équipes d’Amiens et de Lyon qui l’avaient opérée.

Elle avait en outre eu une reconstruction chirurgicale en janvier 2016 pour réparer une perte partielle de la partie inférieure de son greffon due à un phénomène de rejet.

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