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Congeler ses ovocytes pour « retarder son horloge biologique », un caprice de féministes ?

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

L’UZ Jette a annoncé disposer d’une nouvelle technique alternative à la congélation des ovocytes pour contrer les effets de l’infertilité liée à l’âge. Elle pourrait être accessible à toutes les femmes désirant retarder une grossesse. Le débat fait rage entre partisans et détracteurs de ce procédé, aussi connu sous la dénomination « social freezing ».

L’équipe du docteur Dominic Stoop, de la cellule de reproduction humaine de l’UZ Jette, a annoncé la semaine dernière avoir mis au point un nouveau traitement qui permet de ponctionner par laparoscopie une petite partie ou la totalité de l’ovaire d’une patiente atteinte d’un cancer afin de le congeler pour le réimplanter par la suite. « Après une chimiothérapie, on sait qu’il n’y aura plus de follicules, ces ovules encore immatures. Cette opération est une alternative plus rapide à la congélation des ovocytes vu qu’elle se réalise en un jour seulement au lieu de plusieurs semaines de traitement « , explique le gynécologue. Cette nouvelle technique capable en quelque sorte de « stopper l’horloge biologique » des femmes est encore au stade expérimental en Belgique et aux USA. « Dans le futur, si une demande se fait ressentir et que la méthode est avalisée par la commission éthique interne à notre établissement hospitalier, elle pourrait être élargie à l’ensemble des femmes« , précise le Dr Stoop.

Le contexte actuel encourage, il est vrai, ce genre de procédés médicaux avancés. Les chiffres sont sans appel: l’âge moyen d’une première grossesse en Belgique est de 31 ans et au fur et à mesure que les années passent, la fertilité chute vertigineusement. Les chances de grossesse par cycle sont ainsi de 25 % à 25 ans, 12 % à 35 ans et 6 % à 40 ans. Après 45 ans, elles sont quasi nulles. « Depuis 2009, une centaine de femmes de 33 à 37 ans, dont 80% de célibataires, sont venues dans notre centre de reproduction afin de congeler leurs ovules et se les faire réimplanter plus tard », explique le Dr Stoop. Les ovules pouvant être conservés 10 ans maximum, voire plus sous certaines conditions médicales strictes, cette technique séduit principalement les femmes actives qui privilégient en premier lieu leurs études, leur carrière, les voyages,…avant de procréer ou celles qui n’ont pas encore trouvé le partenaire idéal pour fonder une famille.

Un bébé quand je veux, ou quand je peux ?

Ce que certains ont dénommé péjorativement « social freezing » ou « congélation ovocytaire de convenance » – les médecins préfèrant le terme moins connoté d' »AGE banking » pour « anticipated gamete exhaustion » – soulève en effet de nombreuses questions éthiques. D’un côté, le clan féministe parle de cette technique comme d’une révolution du même acabit que la pilule ou l’avortement sur le slogan « un bébé quand je veux ». Dans ce sens, une partie des membres du comité consultatif de bioéthique belge, dans son avis rendu en décembre 2013, la voit comme « un droit à part entière de la femme autonome lui permettant de décider de sa fertilité indépendamment de toute pression sociale« . Les défenseurs de la congélation des ovocytes avancent également qu’avoir un enfant plus tard permet de jouir d’une plus grande stabilité tant sur le plan psychologique que financier.

L’autre groupe d’experts au sein du comité de bioéthique belge perçoit plutôt ce procédé comme « la médicalisation excessive d’un processus naturel ou l’utilisation de la médecine en vue de résoudre un problème social, qui pourrait être résolu par d’autres moyens« , comme des campagnes de sensibilisation qui encourageraient les grossesses moins tardives. Ils s’interrogent également quant au droit que peut avoir une femme de maîtriser son corps de la sorte, et se demandent si elle ne devrait pas plutôt apprendre à vivre en étant consciente des limites fixées par la nature. L’autoconservation des ovocytes ne doit en effet « pas être utilisé comme un caprice et inciter les femmes à retarder à dessein leur grossesse, c’est seulement lever cette pression sociale et temporelle qui pèse sur elles« , est d’avis Renato Fanchin, responsable d’un centre de procréation médicalement assistée français interrogé par Le Monde.

Un enfant après 50 ans, plus risqué pour la mère et l’enfant

Car être enceinte après 40 ans, naturellement ou assistée médicalement, présente des risques non négligeables, largement plus importants après 45 ans sans parler du bien-être des bébés nés de parents plus âgés. Une littérature récente laisserait ainsi supposer une liaison entre autisme et grossesses tardives. Des dérives possibles quant à l’âge maximum d’une grossesse sont aussi pointées du doigt. En Belgique, la loi sur la fécondation in vitro repousse les transferts d’embryons à 47 ans, en Espagne, à 50 ans. « Le but n’est pas d’avoir des enfants à 50 ans « , explique le Dr Valérie Vernaeve, spécialiste belge en procréation médicalement assistée (PMA) et directrice de la clinique espagnole Eugin, spécialisée dans la congélation d’ovules. Interviewée à ce sujet par Le Figaro, elle concède pourtant que congeler ses ovocytes « n’est pas l’idéal ».

De faux espoirs peuvent en effet naître d’une telle pratique. Les médecins soulignent que certaines femmes ne parviendront pas à avoir des enfants de la sorte. Même si l’ovocyte est « frais », au-delà de 40 ans, les risques de diabète, d’hypertension et de mortalité infantile et de la mère rendent la grossesse risquée. De son côté, le Dr Stoop nuance: « Avoir un enfant tardivement n’est pas nouveau, au 19e siècle aussi les femmes enfantaient passé la quarantaine, mais elles en étaient alors à leur 3e ou 4e bébé, elles commençaient simplement plus tôt. Le fait que l’ovule soit « frais » augmente toutefois considérablement les chances d’implantation même si à 40 ans, la grossesse sera bel et bien un plus grand stress pour la mère. L’avantage que l’on peut en tirer est que les risques de trisomie 21 seront réduits« .

Reste le problème épineux du coût de ce genre d’opération. Sera-t-elle, à la manière des traitements classiques de fécondation in vitro remboursée ou, vu son aspect « de convenance », la patiente devra-t-elle prendre en charge la totalité des frais (qui peut grimper jusqu’à quelques milliers d’euros), comme ce serait le cas pour n’importe quel acte de chirurgie esthétique? Les nouvelles avancées médicales pour contrer l’infertilité liée à l’âge proposées par l’équipe de l’UZ Jette relancent, en tous les cas, férocement le débat qui n’en est qu’à ses balbutiements.

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