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Comment vivre une sexualité décomplexée?

Modélisés tant par l’époque que par les trajectoires individuelles, les repères concernant la sexualité fluctuent. La sexologue Catherine Blanc interroge quelques idées reçues qui enferment trop souvent la sexualité dans un carcan.

Est-ce que le plaisir vaginal est vraiment plus fort qu’un orgasme clitoridien ? Les hommes sont-ils aussi stéréotypés qu’on ne le pense souvent, aiment-ils forcément toujours la fellation et le porno ? La surexposition au sexe dans les médias libère-t-elle les moeurs et change-t-elle l’accès à la sexualité des jeunes alors que l’âge du premier rapport sexuel ne varie pas ? Et faut-il absolument connaître son fameux point G pour être une femme épanouie ? N’est-ce pas là une obsession qui découle in fine du conditionnement des déviances collectives, réduisant l’acte sexuel à sa dimension mécanique, au contrôle et à la performance qui peut s’y exalter plus qu’à la vraie rencontre ?

Tous ces questionnements sont guidés par des stéréotypes à la vie dure. C’est pourquoi Catherine Blanc, sexologue française,tente de malaxer quelques idées toutes faites si répandues, et vérifie ensuite si celles-ci s’en sortent indemnes ou pas (1)…

Les femmes font l’amour par amour

Où en est-on près de 50 ans après mai 68 ? Catherine Blanc, également psychanalyste, démontre à quel point nous sommes encore marqués par les clivages ancestraux qui empêchent le désir féminin de se suffire à lui-même tant il est mêlé d’interdits culpabilisants. Quelques générations n’ont pas suffi à alléger le poids d’un si long et puissant marquage au fer rouge. Bien sûr la femme reçoit le sexe de l’homme à l’intérieur d’elle, et rien de tel que l’amour pour qu’elle se sente en sécurité. Mais l’homme aussi s’engage en terres inconnues et pourrait s’en inquiéter, ce qui n’est bizarrement pas très souvent évoqué.  » Il faut revenir à l’interdit posé de longue date et des siècles durant sur le désir féminin.Suspecté d’être insatiable et vorace, pour qu’hommes et femmes osent malgré tout sa rencontre et sa fréquentation, la société s’est appliquée à le circonscrire en le réduisant, pour elles, au devoir conjugal « , précise la psychanalyste, s’attaquant au sujet délaissé parfois par le féminisme, plus concerné par l’égalité des droits. Cette incapacité encore bien présente pour nombre de femmes de vivre le plaisir librement a quelque chose à voir avec cette peur, la femme redoutant – sans toujours en avoir conscience – de libérer ce qu’elle ne connaît pas d’elle-même et que son partenaire ne maîtriserait pas.

Ne faire l’amour que  » par amour  » privilégie une sexualité qui répondrait davantage au désir masculin et protégerait tout particulièrement le projet de maternité en le cadrant. En agissant de la sorte, les femmes se déresponsabilisent face à leur excitation et aux fantasmes relégués dans l’ombre. Alors que si, d’aventure, une infidélité surgit, la femme censée  » aimer  » en est bien plus coupable que son compagnon qui peut, pour sa part, avancer que  » l’histoire ne compte pas « . Et Catherine Blanc d’ajouter :  » La femme désirante, curieuse de ses capacités érotiques, serait une mauvaise mère ? Coupable donc, à défaut d’être toute entière tournée vers la maternité, d’être une putain ? Faut-il que son désir puisse inquiéter et l’inquiéter elle-même encore et toujours pour qu’elle n’ose le plaisir d’explorer l’étendue de sa sensualité et de son excitation ? « 

Responsabilité partagée

La sexologue tord le coup à deux autres préjugés qui se donnent la main :  » C‘est la faute de l’homme si la femme n’a pas de plaisir  » et  » Si on s’ennuie au lit c’est la faute de l’autre « . Aujourd’hui la femme a injonction de jouir, surtout connaître l’orgasme, à tous les coups ! Cette prise de position peut arranger parfois les hommes, qui se pensent alors puissants aux commandes de cet inconnu mystérieux. Et certaines femmes s’accommoderont bien aussi de rester passives en laissant les clés de leurs plaisirs – ou extases – aux mains supposées uniques expertes de leur partenaire !  » Tantôt inquiètes à l’idée d’un sexe vide, tantôt méfiantes sur leurs pulsions imaginées sans limites et dangereuses, se conformer à une attitude passive, dépendante et soumise – voire inerte – leur permet à la fois de se libérer de leurs craintes et d’être perçues comme inoffensives par leur partenaire, explique Catherine Blanc. Croire que l’homme serait initiateur du plaisir féminin, ou s’en tenir à cette explication serait considérer que tout est écrit, par l’un, d’avance. Or qui peut dire, quand on commence à faire l’amour, où cela va l’emporter ? « 

Et si l’homme est seul responsable, il permet à la femme de se cacher à elle-même sa réalité qui peut être faite, par exemple, de difficultés à manifester son plaisir, de peurs d’être incapable de ressentir de grands sommets ou encore d’autres raisons, alors occultées, qui inhibent l’accès à la jouissance. Mais attention, il n’est pas ici question de nier en bloc l’influence de l’adresse du partenaire ; mais le charger lui seul de la responsabilité est beaucoup trop lourd.  » La jouissance s’éprouve en soi, autant qu’à l’orée de l’autre. Rejeter la faute sur l’autre est une façon de se dédouaner des difficultés que nous avons avec nous-mêmes, c’est le moyen habile d’éviter de prendre notre vie et notre jouissance en main « , confirme la spécialiste.

Rêver d’infidélité c’est tromper

Les fantasmes font partie des idées toutes faites qui peuvent se retrouver au centre des problématiques traitées dans le cabinet du sexologue. Comme si être en couple supposait que la libido en entier et l’imaginaire qui est structuré depuis la tendre enfance pouvaient se retrouver liés une fois pour toutes à une seule personne. Le  » passage à l’acte « , c’est autre chose bien sûr, mais les rêves en tant que tels expriment le puzzle de l’inconscient – avec l’articulation des pulsions – qui se manie et se remanie constamment. Ainsi Catherine Blanc le précise bien :  » Construit de toutes pièces à partir d’un mot, d’une phrase, d’un personnage, lié aux événements que nous venons de vivre – ou à quoi nous renvoient ces événements – le puzzle que nous composons traduit l’interrogation de notre inconscient et sa tentative de trouver une solution, névrotique ou pas. Rêver de sexualité ou d’infidélité, ce n’est donc pas tromper l’autre, mais une façon d’interroger notre position, notre organisation. C’est pourquoi un rêve n’est pas à prendre au premier degré.  » Sans doute y va- t-il du rêve comme du désir dans son ensemble d’ailleurs !

Ne pas conclure

On peut bien imaginer qu’on ne peut s’arrêter net dans la réflexion et c’est tant mieux. Chaque sujet est une porte d’entrée vers les ressorts inconscients des pulsions qui nous habitent. Le tout entremêlé avec les orientations culturelles, la morale – ou son absence – qui participent à la fabrication et au bricolage de nos représentations personnelles. Alors comme Catherine Blanc, évitons de chercher à conclure car somme toute :  » La sexualité est l’occasion d’une rencontre, elle est le théâtre d’enjeux bien différents pour tous.  »

Référence

Comment vivre une sexualité décomplexée?
© Flammarion

1.  » La sexualité décomplexée « , 50 idées reçues… revues et corrigées par Catherine Blanc, Flammarion, 2015

Florence Loos

Lire aussi: Pourquoi tant de femmes vivent-elles encore dans une « misère » sexuelle ?

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