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Comment réagir quand nos enfants se séparent?

Le Vif

À 85 ans, la journaliste et écrivaine française Christiane Collange n’a rien perdu de son intérêt pour les phénomènes de société. Dans son dernier livre, elle s’attaque au divorce, un sujet qu’elle connaît bien pour l’avoir pratiqué elle-même trois fois de suite à une époque où les ruptures à répétition étaient réservées aux vedettes de cinéma…

« Ayant ainsi pris quelques années d’avance sur la société française, je me montrais généralement très compréhensive envers ceux qui divorçaient, avoue-t-elle. Et quand j’entendais les femmes de ma génération se lamenter sur les séparations de leurs ‘chers petits’, je leur reprochais d’en faire trop. Jusqu’à ce dimanche où un de mes fils m’a annoncé : ‘Maman, je viens de quitter ma femme…’ Moi qui croyais pouvoir affronter cette situation avec sang-froid, j’ai eu si peur et si mal que l’urgence d’enquêter sur cette ‘révolution du divorce’ s’est imposée à moi. »

Un million de divorces

Une urgence confirmée par les chiffres : en Europe, selon l’Institut européen de politique familiale (1), un mariage se rompt toutes les trente secondes, avec plus d’un million de divorces chaque année. La France, où le taux de divorce est actuellement de 55 % (2), est d’ailleurs battue par la Belgique : en 2013, on comptait 24.872 divorces pour 37.854 mariages ; le rapport divorce/mariage dans notre pays est de 65 % (3). « De plus, précise Christiane Collange, les vrais divorces, qui mettent fin à un mariage légal, ne représentent qu’une partie des séparations. »

Pourquoi cette augmentation aux allures d’épidémie ? Christiane Collange identifie dix évolutions, dont certaines remontent au siècle dernier, et qui n’expliquent pas tout mais presque. « À commencer par la montée de l’individualisme : si mon couple étouffe ma personnalité et m’empêche de me réaliser, je n’hésite plus à y mettre fin, pour ‘essayer’ un autre partenaire, plus en adéquation avec mes aspirations. La perte d’influence de l’Église catholique se passe de commentaire. Mais elle contribue, avec l’augmentation du niveau d’éducation et d’information, à une redéfinition individuelle des valeurs et des normes qui peut creuser, entre deux personnes du même âge, un fossé bien plus profond que celui des générations… »

Par ailleurs, le culte de l’amour a tendance à distendre les liens entre les partenaires plutôt qu’à les resserrer. « Comme l’explique le sociologue François de Singly, les exigences de l’amour ont progressivement miné de l’intérieur l’institution du mariage. Une institution déjà ébranlée par la remise en question des rôles masculins et féminins dans la deuxième moitié du XXe siècle : les difficultés d’adaptation des hommes face à l’émancipation féminine ont engendré une première vague de divorces, demandés à 90 % par des femmes ! »

Le temps du vivre-ensemble

D’autant que l’entrée massive des femmes dans la vie active les a libérées d’une dépendance financière qui cimentait tant bien que mal les relations conjugales. « La preuve ? insiste Christiane Collange. La divortialité est quatre fois plus élevée lorsque les deux partenaires travaillent que lorsque la mère reste au foyer, et les catégories sociales où le taux de divorce grimpe en flèche sont celles qui totalisent le plus de femmes exerçant une activité professionnelle : cadres moyens, employés, secteur tertiaire… » L’éclatement des habitudes quotidiennes entre également en ligne de compte : « Sport, loisirs, culture… en dehors du travail, les emplois du temps des couples modernes regorgent d’activités jugées essentielles à la qualité de vie, mais pas forcément pratiquées en commun. Pour peu que les goûts et les démarches intellectuelles divergent, le temps du vivre-ensemble ne cesse de rétrécir, et le couple ne tarde pas à dysfonctionner… »

Autre revendication relativement récente chez les femmes, la volonté de réussir sa vie sexuelle est à l’origine d’un nombre croissant de divorces, à une époque où les progrès des technologies de l’information et de la communication multiplient les occasions de comparaisons et de rencontres.

« Enfin, conclut Christiane Collange, le boom de la longévité nous pousse peu à peu à envisager la possibilité de vivre successivement plusieurs vies, ou du moins plusieurs séquences de vie, et pas forcément avec le même partenaire… Ce n’est pas pour rien qu’aux divorces des jeunes font désormais écho de nombreux divorces de seniors. En France, dans les dix premières années du XXIe siècle, les demandes de divorce des plus de 60 ans ont augmenté de 28 % chez les femmes et de 39 % chez les hommes. Et, aux États-Unis, un nouveau divorcé sur quatre a plus de 50 ans, et un sur dix plus de 65 ans ! »

Les étapes du divorce

Mais comprendre le pourquoi d’un divorce est une chose, réagir à cette situation nouvelle en est une autre. « On pourrait comparer les étapes psychologiques par lesquelles passent les parents de divorcés aux étapes du deuil définies par la psychiatre suisse Élisabeth Kübler-Ross, remarque Christiane Collange. Déni, colère, tristesse, acceptation… Dans un premier temps, on ne veut pas vraiment y croire, on pense que c’est une crise, que les choses vont s’arranger. Une fois ce stade du déni dépassé, tout le monde est mécontent et triste, à des degrés divers, mais personne n’échappe à un sentiment d’échec, de fiasco. Surtout si notre fils ou notre fille est le ou la plaqué(e) qui ne souhaitait pas la séparation et en souffre d’autant plus que, souvent, l’autre ne part pas parce qu’il ou elle a trouvé mieux ailleurs, comme c’était généralement le cas autrefois, mais tout simplement parce qu’il ou elle ne veut plus de ce mariage… »

Au stade de l’acceptation, enfin, le rôle des (grands-)parents prend tout son sens. « Mais il se révèle aussi dans toute sa difficulté, insiste Christiane Collange. Pour aider à rendre le quotidien gérable, il faut multiplier coups de pouce financiers et coups de main matériels au fils ou à la fille divorcé(e), tout en lui prodiguant affection et encouragements, mais sans céder à la tentation plus ou moins consciente d’occuper la place laissée vacante par l’absent ou l’absente. Revenir affectivement à la situation antérieure au mariage, quand papa et maman étaient toujours là pour lui/elle, serait une régression, pas un élan donné pour un avenir nouveau ! »

Quant aux rapports avec les petits-enfants, tant au moment de la rupture que lorsqu’une nouvelle union se profile ou s’établit, ils doivent viser à offrir, « pour citer la psychologue Béatrice Copper-Royer, ‘un socle solide sur lequel prendre appui’ (4). Ce qui suppose, de la part des grands-parents, une combinaison d’attention, de bienveillance et de neutralité. Pour pouvoir entendre le chagrin, la colère et le désarroi de leurs petits-enfants et leur apporter le réconfort nécessaire sans verser de l’huile sur le feu, ils doivent apprendre à rester en dehors de ces conflits qui les atteignent, les attristent, les blessent parfois, mais ne les concernent pas… »

Par Marie-Françoise Dispa

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