Comment les bactéries résistent aux antibiotiques grâce aux… antibiotiques

Le Vif

Le projet de loi sur l’agriculture veut limiter l’usage des antibiotiques dans l’élevage. Ivan Matic, directeur de recherche au CNRS en génétique et lauréat d’une bourse du Fonds AXA pour la Recherche, explique pourquoi et comment les traces d’antibiotiques qui se retrouvent dans la nature font évoluer les bactéries vers plus de résistance aux médicaments.

Vous avez obtenu une bourse AXA pour travailler sur le danger des doses subinhibitrices d’antibiotique. Qu’est-ce que c’est?

Il s’agit d’une dose non létale d’antibiotique. On utilise des milliers de tonnes d’antibiotiques dans le monde, 80% dans l’élevage. 30 à 40% des antibiotiques ingérés se retrouvent intacts dans les fèces et l’urine. Des traces d’antibiotiques dans des concentrations faibles finissent donc dans le sol, les nappes phréatiques et même dans l’eau potable.

Quel est l’effet d’une dose non létale d’antibiotique sur des bactéries

Les bactéries usent de multiples mécanismes moléculaires pour « sentir » leur environnement. Même à des concentrations faibles, les antibiotiques déclenchent certaines réponses chez elles, qui résistent mieux à ces molécules. Une dose non létale d’antibiotique ne retarde pas la croissance des bactéries; elle augmente le taux de mutations, de 10 à 100 fois, augmentant la probabilité de leur apparition. Ces mutations peuvent par la suite conférer une résistance à des doses létales des antibiotiques.

Face à une faible dose d’antibiotique, une bactérie voit donc sa capacité de mutation et sa résistance augmenter…

Cela va plus loin. Exposées à des faibles doses d’antibiotique, les cellules bactériennes ont tendance à se rapprocher et à se coller entre elles en sécrétant une matrice adhésive et protectrice. On appelle ces communautés multicellulaires un biofilm. Or, les antibiotiques pénètrent moins bien dans un biofilm. De plus, dans un biofilm, les cellules sont dans un état métabolique qui les protège contre les antibiotiques. Il s’agit d’un sérieux problème pour la santé humaine, car les biofilms se forment sur la plaque dentaire, mais aussi sur des prothèses et les cathéters.
Ce rapprochement physique des bactéries, allié à la présence d’antibiotique, accélère également le transfert d’ADN d’une cellule à l’autre, facilitant ainsi la dissémination de ces résistances. Là encore, il s’agit d’un mécanisme d’adaptation à un environnement changeant.

Pourquoi les bactéries réagissent-elles tant à ces petites doses d’antibiotique? Ne sont-ils pas des outils de défense pour les micro-organismes?

Il s’agit de la vision traditionnelle du rôle naturel des antibiotiques. Ils seraient une arme utilisée par les bactéries pour lutter contre leurs compétiteurs. Mais cette théorie se heurte à deux problèmes. Dans la majorité des cas, les bactéries ne produisent pas suffisamment d’antibiotique pour atteindre la quantité létale. En outre, la plupart des bactéries ne fabriquent pas ces molécules dans leur phase de croissance, quand elles sont en compétition avec les autres souches pour s’installer dans un milieu, mais pendant leur phase stationnaire, quand elles ont déjà conquis leur milieu. Pour utiliser à l’échelle industrielle les bactéries comme productrices d’antibiotique, on doit modifier les souches afin qu’elles produisent plus.

Les antibiotiques seraient donc des outils de communication entre bactéries

C’est une théorie. Mais une molécule peut déclencher dans une cellule une réaction sans que la cellule émettrice de la molécule n’en ait eu l’intention. La notion de signalisation est complexe.
Nous avons étudié trois espèces de bactéries différentes, elles ont toutes la même réponse à ce type de stress.

Propos recueillis par Olivier Monod

Parcours de chercheur Ivan Matic est croate, mais il doit sa vocation à un Français, Jacques-Yves Cousteau. « Quand j’étais enfant, ses films me fascinaient, il m’a fait choisir la biologie. » Étudiant, il assiste à l’explosion de la biologie moléculaire. « Il y avait beaucoup d’excitation et de possibilités dans le secteur. » Ivan Matic suit cette filière, fait son doctorat en France. « La thèse s’est imposée comme une évidence. J’avais envie d’apprendre, soif de savoir. » Aujourd’hui chercheur au CNRS, responsable d’unité INSERM, il pense qu’être chercheur nécessite « d’être passionné, de pouvoir se remettre en question et d’avoir de la persévérance pour trouver ses financements. À ce sujet, la bourse du Fonds AXA pour la Recherche m’aide beaucoup car elle n’est pas fléchée, je peux l’utiliser sur ce dont j’ai besoin, librement. »

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