Effectuer des séries de mouvements oculaires aide les patients à ranger "dans le bon tiroir" leurs impressions traumatiques. © J.Daniel/Myop pour le Vif/L'Express

Choc post-attentats : l’efficacité de la méthode des mouvements oculaires

Reprogrammer le cerveau après un traumatisme psychologique, telle est la vocation de la thérapie EMDR. De nombreux rescapés des massacres de novembre 2015 à Paris ont tenté l’expérience. Avec profit.

Comment en finir avec ces flashs d’images sanglantes ? Ne plus sursauter au moindre claquement de porte ? Calmer ces palpitations dans la poitrine à la seule idée de prendre les transports en commun ? Bref, comment entamer ce long processus que l’on nomme la résilience ? Ces questions hantent les victimes – blessés, témoins, personnes endeuillées – des attentats de Paris et de Saint-Denis perpétrés le 13 novembre 2015. Très vite après l’horreur, Xavier, un ingénieur de 41 ans, a senti qu’il ne tournait « pas rond ». Il refuse alors les « médicaments qui assomment », mais consulte un bataillon de psys. En vain. Le moindre détail de la vie courante le ramène à cette nuit de cauchemar : il est là, au balcon, à prendre des photos du concert des Eagles of Death Metal. Quand tout bascule : les tirs de kalachnikovs, les spectateurs qui s’effondrent un par un, la bousculade dans l’escalier. Puis l’attente, interminable, à 30 dans un petit local de 10 mètres carrés, jusqu’à l’assaut de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) et du Raid. Enfin, la traversée de la salle jonchée decadavres. A la sortie, l’un des amis de Xavier manque à l’appel. Il apprendra sa mort deux jours plus tard.

Un officier de la police judiciaire lui parle de la psychothérapie « Eye movement desensitization and reprocessing » (EMDR), recommandée par l’OMS dans la prise en charge des états de stress post-traumatique. La méthode, qui aide à surmonter toutes sortes de traumatismes (accidents de la route, agressions sexuelles, catastrophes naturelles, etc.), consiste à « reprogrammer » le cerveau en faisant effectuer au patient des mouvements oculaires.

 » Le mécanisme de la méthode ne s’explique pas, indique Stéphanie Khalfa, chercheuse à l’Institut de neurosciences de la Timone, à Marseille. Mais en comparant des IRM prises avant et après des séances, nous avons notamment constaté une récupération de densité de la matière grise au niveau de l’hippocampe et du cortex préfrontal. »

Si le fonctionnement de l’EMDR demeure mystérieux, Xavier assure néanmoins avoir retrouvé le sommeil et repris le cours de sa vie après seulement deux séances. Six mois plus tard, il dit aussi n’avoir pas connu de rechute ; seuls quelques petits « blocages » persistent, comme le fait de ne pas pouvoir écouter de musique au casque dans le métro. Ce mardi de juin, il retrouve son thérapeute, Marc Vernet, pour traiter ce symptôme persistant. Assis face au praticien, il évoque ses craintes de  » ne pas pouvoir réagir en cas d’attaque », de se sentir « coupé du monde, vulnérable ». Tout en parlant, il suit du regard la main de Marc Vernet qui balaie l’air de droite à gauche, en respectant des pauses.  » La nuit, nos yeux font spontanément ce mouvement de pendule, explique le thérapeute. Il nous permet de classer les émotions et les informations captées dans la journée. »

En cas de choc violent, il arrive que ce travail crucial ne se fasse pas. La psychothérapie EMDR vise à reproduire artificiellement ce travail, afin d’aider le patient à ranger le souvenir « dans le bon tiroir ». Libre à lui, ensuite, d’aller l’ouvrir ou pas. L’essentiel étant qu’il ne se laisse plus jamais submerger par lui. Sur la page Facebook de l’association Life for Paris, créée par des rescapés du 13 novembre pour rompre l’isolement et faciliter l’entraide, chacun se passe le mot : l’EMDR permettrait d’aller mieux, voire de commencer à se reconstruire. « Nous avons déjà pris en charge 62 victimes », comptabilise Isabelle Meignant, présidente d’Action EMDR contre le trauma, un réseau de bénévoles créé en réaction à la tuerie perpétrée par Mohamed Merah dans l’école juive Ozar-Hatorah de Toulouse.

Deux à cinq séances peuvent suffire

Petit à petit, le souvenir de ce que l’on a subi, vu, entendu, senti se fait moins douloureux.

Les informations prises par Sébastien, qui se décrit comme « très rationnel « , l’ont encouragé à tenter l’aventure. Sorti physiquement indemne avec sa femme de l’enfer du Bataclan, cet entrepreneur de 48 ans ne se voyait pas entamer une longue psychanalyse. Mais il fallait bien trouver une solution aux symptômes qui l’assaillaient : crise de larmes en pleine réunion, pertes de mémoire intempestives, incapacité à fixer son attention… Trois séances d’EMDR l’ont mené sur le chemin de la résilience. « On ressort épuisé de la première rencontre, puis, petit à petit, le souvenir de ce que l’on a subi, vu, entendu, senti se fait moins douloureux », raconte-t-il.

D’autres témoins du drame ont eu recours à l’EMDR sans être directement touchés. Ulyssia et ses jumeaux de 17 ans s’apprêtaient à aller dormir lorsque les bruits de kalachnikovs ont retenti à deux pas de leur appartement de la rue du Faubourg-du-Temple. « Les jours suivants, à la nuit tombée, ils ont continué de résonner dans la tête de ma fille », se souvient-elle. Ulyssia fait venir un thérapeute à son domicile, qui organise des séances de débriefing collectives, puis individuelles. « Il est important de consulter rapidement après le choc », conseille Jacques Roques (1). Le thérapeute compare le stress provoqué par ce genre de situations à « une écharde susceptible de provoquer une infection et des dégâts irréversibles si on ne la retire pas ». Généralement, pour les traumatismes « simples » liés à un fait circonscrit dans le temps, de deux à cinq séances suffisent. Mais, si le problème est complexe et profondément ancré – dans les cas d’inceste, de maltraitance ou d’éducation toxique, par exemple -, le suivi peut être plus long. Il arrive aussi que l’EMDR fasse resurgir d’autres blessures enfouies dans les dédales de la mémoire. D’où l’importance de s’adresser à un spécialiste dûment formé et expérimenté.

Ce dernier doit parfois faire face à des cas de perturbations psychologiques sévères. Le soir du 13 novembre, alors qu’il rentre chez lui, Eddy, cadre de santé à l’hôpital Saint-Louis, entend la fusillade. Il accourt jusqu’aux terrasses du Carillon et du Petit Cambodge. « Mon premier réflexe a été d’appeler mon service de réanimation, puis de faire le tri entre les morts et les blessés, afin de faciliter la prise en charge », raconte-t-il. Il ne rejoint son domicile que le lendemain. Pour ne plus en sortir de toute la semaine qui suit. Lorsqu’il reprend le travail, ses collègues le voient errer « comme un fantôme ». Le stress a provoqué en lui un trouble dissociatif. Avec sa thérapeute, Eddy revit « le froid, les frissons, les odeurs, l’humidité désagréable de son pantalon couvert de sang », pour mieux les apprivoiser.

Aujourd’hui, Eddy va beaucoup mieux. « J’évite quand même de quitter mon travail entre 21 heures et 21 h 45, on ne sait jamais… » glisse-t-il. Xavier, lui, a décidé de s’acheter une guitare avec l’argent du fonds d’indemnisation des victimes. Fidèle à sa passion pour la musique, qu’il partageait avec son copain disparu, il continue de se rendre à un concert par mois.  » Avant, c’était toutes les semaines, mais c’est un bon début », sourit-il. Quant à Sébastien et sa compagne, ils ont décidé de se marier… en novembre prochain.

(1) Auteur de L’EMDR. Que sais-je ?, PUF, mai 2016.

Par Amandine Hirou

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