Joseph Junker

Charcuterie-Gate : depuis que c’est risqué,…c’est encore meilleur!

Joseph Junker Ingénieur civil et cadre dans une société privée

Cela ne vous a pas échappé : ce lundi, l’OMS a inscrit la viande rouge à l’index, pardon, à la liste des substances cancérigènes ou probablement cancérigènes, en bonne compagnie à côté du tabac, de l’alcool, les barbecues trop grillés, des fruits et légumes couverts de pesticides, de la dioxine, du nuage atomique de Tchernobyl, de la musique de Tokio Hotel et de votre belle-mère (quoique, pour Tchernobyl, je n’en suis pas tout à fait sûr).

La réaction ne s’est pas fait attendre, et il y eut fort à faire entre les sondages internet révélant que 30% de nos concitoyens envisageaient de consommer désormais moins de viande, les commentaires d’experts autorisés sur le 650 grammes de charcuterie (au lieu de 500 souhaités) que nos compatriotes dévorent chaque semaine, les appels paniqués des auditeurs d’émission de radio sur la santé se voyant déjà périr d’atroces souffrances et bien sûr les mines réjouies et triomphantes des végétariens ou à l’inverse déconfites et vexées des bouchers-charcutiers. N’est-il pourtant pas rassurant de voir qu’au fur et à mesure de l’avancée des connaissances scientifiques, nous sommes chaque jour plus conscients des risques – même minimes – que nous prenons et que nous pouvons continuer à mener en connaissance de cause une vie toujours plus équilibrée ? Au lieu de cela, il semble qu’au fur et à mesure que la science avance, nous devenions chaque jour un peu plus prisonniers de nos angoisses et nous laissions guider désormais par la peur.

Entre la tolérance zéro pour l’alcool (tant pis pour l’effet bénéfique à dose réduite), votre hôtesse qui mange en « gluten-free », son mari allergique au lactose, le sucre raffiné interdit à vos enfants (vous n’y pensez pas, l’hyperactivité voyons !), le fromage qui serait de la drogue, les poissons au mercure, l’huile de palme tueur en série, les fruits et légumes aux pesticides et barbecues trop cuits susnommés, les frites trop grasses, votre épouse enceinte qui s’interdit la moindre crudité, la viande rouge qui vous donne la goutte, tue la planète et maintenant vous donne même le cancer, le champ des aliments qu’il nous reste pour nous sustenter sainement semble se rétrécir à vue d’oeil.

Charcuterie-Gate : bientôt, nous en serons réduits au régime draconien quinoa bouilli et eau pure, assaisonnées d’une cuillerée d’huiles essentielles le dimanche

On dirait même qu’il s’en faudra bientôt de peu pour que nous en soyons tous réduits au régime draconien quinoa bouilli / pousses de soja Bio® / eau pure, assaisonnées d’une cuillerée d’huiles essentielles le dimanche. A se demander comment nos grands-parents ont pu traverser une guerre et une bonne trentaine de gouvernements fédéraux pour trainer leurs vieux os jusqu’à notre époque ! D’ailleurs, à s’imaginer toutes les saletés que leurs corps usés ont dû absorber sans le savoir, il n’est guère étonnant qu’ils ne se sentent aujourd’hui plus si vaillants, à l’âge d’à peine nonante-quatre ans.

Cette vision que je viens de vous exposer est bien entendu un peu caricaturale, mais je crois qu’elle illustre bien une chose que l’avancée de la science devrait nous avoir fait intégrer, mais dont nous ne sommes visiblement toujours pas conscients : l’alimentation, comme toute activité humaine, n’est rien d’autre qu’une prise de risque calculée et permanente. Et la seule manière de l’éviter, c’est de rester dans son lit toute la journée en grève de la faim (quoique, cela ne doit pas être très sain non plus). Voilà, je l’admets, une pensée angoissante dont s’encombraient peu nos ancêtres (peut-être est-ce là d’ailleurs la cause de leur longévité et de leur bonheur ?) mais qui hélas correspond bien aux défauts de notre époque affairiste, hyper stressée, faite de la toute-puissance de l’homme et d’une tolérance au risque zéro. Il faudra pourtant bien nous y faire un jour : bien qu’il faille en être conscient et savoir le limiter avec bon sens, la vie nous impose à un moment de faire fi de nos angoisses et d’accepter la présence du risque comme partie de notre condition humaine et mortelle. Si dur cela soit-il à accepter pour notre époque moderne, c’est le prix à payer pour éviter de se retrouver à déguster des feuilles de bambou matin, midi et soir.

Ceci dit, permettez-moi de vous laisser à ces considérations devenues ma foi fort philosophiques, mais mon filet pur bien cuit est prêt. Y’a pas à dire, depuis que c’est risqué,… c’est encore meilleur!

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