© Max Tilgenkamps/stripmax

Changer, c’est pas (si) difficile !

Vous ruminez, la nuit ? Vous piquez des vilaines colères ? Vous fondez pour le sucré ? Vivre, c’est continuellement adopter des comportements plutôt que d’autres. Si les vôtres vous minent, c’est simple : réformez-les par la « gestion de soi » !

Pâtisseries abondantes, sollicitations sexuelles omniprésentes, inventions informatiques diaboliques, toutes facilement accessibles et génératrices d’addictions tenaces… Nos univers modernes sont passionnants et riches, mais redoutables en matière d’autogestion, car ils nous exposent en permanence à la tentation. Comment faire pour dompter nos envies, sans renoncer aux jouissances ? « Nous pouvons apprendre à éprouver souvent du bien-être et de la joie. Nous nous rendons malheureux si nous rêvons de nager dans l’euphorie perpétuelle, avertit d’entrée de jeu le Pr Jacques Van Rillaer (UCL), psychologue comportementaliste. Bien gérer sa vie revient à développer sa capacité à « souffrir » maintenant, ou à différer des plaisirs immédiats, pour des objectifs plus ou moins éloignés qui en valent vraiment la peine. »

Pas de panique. Cet exercice d’équilibrage crucial et délicat, nous le pratiquons tous depuis l’enfance. Très tôt, nous savons reporter des satisfactions à court terme, pour en obtenir davantage plus tard. Voilà un demi-siècle que des chercheurs dissèquent les facteurs d’ajournement d’une gratification immédiate au profit d’un « return » parfois lointain. L’expérience des bonbons en est la touchante illustration : prenez un jeune volontaire, placez-le devant une table couverte de friandises, informez-lui qu’il peut en manger tout de suite, mais qu’il en recevra plus s’il domine un peu sa fringale… Résultat : si les bonbons sont visibles, l’enfant de 4 ans ne tient pas plus de 30 secondes. S’ils sont recouverts d’un drap, sa patience prend fin après… 13 minutes. Enfin, si l’expérimentateur, après avoir expliqué l’enjeu, divertit l’attention du gourmand (par exemple, vers des jouets), l’enfant craquera moins vite que s’il reste livré à lui-même. On voit bien où tout ceci mène : primo, la vue d’un stimulus attractif déclenche chez l’humain une envie impérative. Secundo, nous sommes relativement armés pour tenter d’y résister : « A partir de 5 ans, les enfants adoptent spontanément des stratégies efficaces : ils regardent ailleurs, se distraient en se parlant à eux-mêmes, mettent les mains sur les yeux ou les bras derrière le dos… » Mignon, mais pas toujours suffisant.

Depuis l’origine, c’est clair : programmé pour survivre et se reproduire, Homo sapiens passe plus de temps à s’inquiéter, souffrir, fuir et lutter qu’à se réjouir. Une des conditions du bien-être est donc de pouvoir supprimer (ou limiter) les sensations pénibles liées à la douleur, la faim, la soif, la fatigue, la peur, l’ennui, la tristesse, la privation sexuelle, la culpabilité, la honte, etc. Ces affects-là, désagréables, nous incitent à modifier des situations par nos actes : c’est un processus indispensable à notre existence, mais qui nous joue parfois des tours, lorsqu’il se révèle à l’origine de comportements aliénants… Il en va ainsi de l’évocation mentale de phénomènes susceptibles de se produire (cette araignée va certainement me piquer, cette foule, m’écraser et cet avion, se crasher…) : essentielle dans la gestion de soi, elle prend une forme encombrante chez les individus sujets à l’anxiété généralisée, aux phobies, aux obsessions, aux rituels compulsifs. « Ces personnes croient que des événements dramatiques vont se réaliser, alors que leur probabilité d’apparition est quasi nulle. » La peur des serpents, une des plus répandues, se développe très facilement chez les bambins dès 2 ans – elle surgit également chez les singes au même âge -, ce qui laisse supposer qu’elle est génétiquement programmée (en vue de la survie de l’espèce). Une fois installée, elle est hélas plutôt résistante. Par chance, la méthode de désensibilisation par contact (qui met progressivement le phobique en situation avec l’objet redouté) donne des résultats assez spectaculaires : 80 % des enfants traités en groupe sont libérés de leur peur en seulement deux séances de 35 minutes…

Les progrès de la psychologie scientifique permettent aujourd’hui de changer beaucoup de nos comportements. Comme en médecine, certains troubles se traitent vite et bien, mais d’autres, pas encore et peut-être jamais. Nous pouvons apprendre à faire disparaître rapidement et durablement des phobies et (moins facilement) des rituels compulsifs. En revanche, ça reste compliqué de perdre définitivement une grave dépendance alcoolique ou de descendre pour toujours sous son poids naturel. Le Pr Van Rillaer, dans sa Nouvelle Gestion de soi (1) propose des outils pour comprendre les mécanismes et les efforts à fournir pour la cultiver en nous. Plus pratique que sa première édition ( La Gestion de soi, parue en 1992), ce manuel « pour vivre mieux » fait le tri des innombrables idées qui circulent sur le sujet. Des livres de self-help ont en effet commencé à fleurir, en français, dans les années 1990, mais sans contrôle rigoureux de leur efficacité. Depuis, on sait ce qui marche… ou pas. « La fameuse méthode Coué, se répéter, par exemple, qu’on est sympathique, s’avère tout à fait contre-productive chez les personnes qui ont justement le sentiment qu’elles ne le sont pas », souligne Van Rillaer. On en sait davantage aussi sur les pensées intrusives, ces idées saugrenues qui nous traversent l’esprit – ébouillanter un ami par accident, foncer dans le fossé, n’avoir pas fermé à clé, lâcher le bébé qu’on porte, se jeter sous le tram… Chez la plupart des gens, ces petites folies mentales passent sans encombre. D’autres, toutefois, s’en trouvent profondément perturbés. « En tentant d’éliminer ces pensées de leur cerveau, ils ne font que les faire surgir de plus belle, en les transformant en véritables obsessions. »

La gestion de soi n’est pas un terme fréquent du langage, mais sa réalité nous est familière, et sa pratique, indispensable. Elle nous transforme en pilotes du quotidien. Sans elle, nous ne ferions que réagir à nos émotions et nos impulsions, aux pressions et aux modifications de l’environnement. « Les psychologues oublient pourtant que l’existence humaine est ancrée dans le biologique, poursuit l’auteur. A tout moment, ce que nous percevons, pensons ou faisons dépend de l’état de notre corps. » L’ignorer, c’est risquer de créer ou renforcer certains troubles. Des personnes « névrosées » sont souvent seulement victimes d’interprétations erronées des brusques intensifications de leur activité physiologique. Ainsi, la plupart des phobies intenses (non expliquées par un réel traumatisme) sont généralement dues à la peur du jugement d’autrui et de l’effervescence émotionnelle (ou viscérale !) qu’elles provoquent, ces deux craintes venant se renforcer l’une l’autre. Parfois, des angoisses ne découlent que de l’hyperventilation, cette respiration excessive par rapport aux besoins du métabolisme : « Le syndrome d’hyperventilation est assez bien connu par les médecins anglo-saxons, mais très peu dans le monde latin », note Van Rillaer. Chacun peut en faire l’expérience. Respirez 40 fois par minute durant 3 minutes, ou gonflez à la bouche un matelas pneumatique. Les sensations physiques inhabituelles qui en résultent (étourdissement, vertige, nausée, tachycardie, picotements, crampes, sentiment de dépersonnalisation…) induisent facilement des attaques de panique. « Voilà de quoi permettre aux lecteurs de ne plus s’étiqueter « cardiaques », « complexés » ou « névrosés » »…

Changer des comportements bien ancrés, ou simplement des habitudes gênantes (s’irriter facilement, ruminer des griefs, surfer sur le Net au lieu d’étudier…) exige la répétition d’efforts soutenus, la tolérance à des états de tension et le développement d’activités parallèles gratifiantes. Il faut prendre conscience des avantages et des inconvénients, désirer vraiment le changement, apprendre à observer et à analyser méthodiquement ses pensées, ses émotions, ses actions, avec détachement et esprit critique – « un peu comme si on écoutait une émission de radio ». Mieux vaut aussi regarder loin devant plutôt qu’à l’intérieur de soi : trop d’analyse paralyse. Des spécialistes y voient d’ailleurs un des facteurs de la plus grande fréquence des dépressions chez les femmes : quand celles-ci vont mal, elles ont tendance à sonder sans répit leur mal-être – contrairement aux hommes, qui cherchent plutôt à se donner du bon temps dans le sport, la musique ou… l’alcool. « Personne n’a appris à marcher sans tomber, conclut l’auteur. L’important, c’est l’engagement, en dépit des (re)chutes. Tant qu’on se relève, le voyage continue dans la direction décidée… »

(1) La Nouvelle Gestion de soi. Ce qu’il faut faire pour vivre mieux, par Jacques Van Rillaer, Mardaga, 332 p.

VALÉRIE COLIN

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