La perruche et la sirène d'Henri Matisse, exposée au Frankfurt Schirn Art Gallery. Peintre français qui s'est servi de l'art comme thérapie. © BELGAIMAGE

Cette discipline qui permet aux médecins de prescrire des tickets au musée

Outil thérapeutique au Canada qui permet depuis peu aux médecins de prescrire une visite au musée comme traitement, l’art thérapie peut-elle réellement guérir des maladies? Le point sur cette discipline qui est encore sans statut légal en Belgique.

Depuis le 1er novembre dernier, les médecins canadiens peuvent administrer des visites muséales gratuites à leurs patients. Fruit d’une collaboration entre les Médecins Francophones du Canada (MFdC) et le musée des Beaux-Arts de Montréal, l’initiative permet aux patients souffrant de problèmes physiques ou mentaux de profiter des bienfaits de l’art sur leur santé. Dès la première phase du projet, une centaine de médecins inscrits pour prendre part au projet ont pu prescrire jusqu’à 50 ordonnances, chacune valable pour deux adultes et deux mineurs, au musée des Beaux-Arts. Pour Nicole Parent, directrice générale du MFdC, c’est « la preuve que les médecins ont une sensibilité et une ouverture par rapport à des approches alternatives sur les bienfaits de l’art sur la santé. Contempler une oeuvre ou s’immerger dans une activité créatrice interpellent les mêmes éléments qui agissent sur les fonctions cognitives, le bien-être, le stress, l’anxiété… C’est à ce niveau-là que les bienfaits ont été démontrés », explique-t-elle à l’AFP.

Si l’art, en traversant les âges et les genres, a pu étonner, interroger, fasciner et se renouveler, nul doute qu’il puisse aujourd’hui ajouter une nouvelle corde à son arc en servant d’outil thérapeutique. N’étant pas une technique innovante mais oubliée, l’art thérapeutique tient ses origines d’Angleterre en 1940 où Adrian Hill, peintre anglais et tuberculeux placé en sanatorium, entreprit durant sa convalescence une flânerie sur papier qui, au grand étonnement des médecins, lui octroya un rétablissement plus rapide. Fort de résultats probants, l’innovation n’a pas tardé à intéresser la Croix Rouge britannique qui l’utilisa avec ses patients pour finalement aboutir aux premiers programmes de formation en art thérapie aux États-Unis en 1950. Selon Aristote, la représentation théâtrale permettrait aux hommes d’entrer dans un processus de catharsis, c’est-à-dire de se décharger de pulsions, d’angoisses ou de fantasmes en s’identifiant aux personnages dramaturges de la pièce. Mais alors, qu’est-ce que l’art thérapeutique? Qui peut bénéficier de ses bienfaits? Et surtout, dans quels domaines artistiques peut-il s’illustrer?

L’art thérapeutique, c’est quoi et pour qui?

L’art-thérapie, souvent proposée en complément d’une prise en charge psychologique, psychiatrique ou médicamenteuse, permet de dépasser des difficultés relationnelles (deuil, séparation, isolement), une dépression ou un handicap psychomoteur ou sensoriel. Elle aide les patients aux problèmes d’addiction, aux troubles de comportements alimentaires ou psychiatriques sévères. Le but du processus n’est pas artistique: peu importe l’apparence de l’oeuvre finale. Les images servent de fil conducteur à un patient qui contrairement à la parole, le laisse progressivement imager ses maux. Il sollicite son imagination, son intuition, sa pensée et ses émotions. Les images ou les formes ainsi créées, en plus de dévoiler certains aspects de lui-même, peuvent générer une vision et des comportements nouveaux qui contribueront à des guérisons physiques, émotives ou spirituelles.

L’art-thérapie permet une « résonance » du patient avec lui-même, l’éveil des sens et de la conscience, une distance par rapport à soi qui enclenche un processus de transformation et de projections exprimées à travers l’oeuvre. Une manière de se recréer, de dépasser des événements difficiles par la créativité. L’art-thérapie est, en définitive, une technique de soin qui s’appuie sur des outils artistiques pour solliciter la créativité, l’intuition et l’imagination en permettant à l’individu d’exprimer sa pensée, un ressenti, une émotion, une souffrance, une angoisse, une joie, une envie.

L’art-thérapie s’adresse à tous les âges, à toutes les pathologies et à toutes les personnes qui ont du mal à s’exprimer verbalement. Avec cette méthode thérapeutique, l’art sert d’intermédiaire. Il transmet l’information en proposant un support d’échange. On y aborde sa personnalité et ses problèmes par un axe détourné qui paraît moins effrayant.

Des études ont montré que l’art-thérapie pouvait améliorer la qualité de vie des personnes âgées en leur faisant suivre des sessions de théâtre. Celles-ci ont amélioré de manière significative leurs fonctions cognitives et leur bien-être psychologique. Elles ont aussi montré une amélioration de la qualité de vie chez les patients atteints d’un cancer. L’art-thérapie diminue l’anxiété et augmente la capacité à affronter une maladie. Que ce soit pour aider les enfants atteints d’asthme, les personnes souffrant de trouble de stress post-traumatique ou de réguler les émotions chez les adolescents, l’art-thérapie agit comme un anti-stress qui réduit l’anxiété et favorise les émotions positives. Elle n’agit pas sur la maladie à proprement parlé mais sur la reconstruction de soi, aide à gérer la souffrance et les douleurs et améliore la confiance ainsi que l’estime de soi.

Avec quels domaines artistiques l’art thérapeutique peut-il se conjuguer?

Le choix de la technique artistique utilisée se fait par le thérapeute ou par le patient. Quelqu’un qui sait bien dessiner ne va pas choisir le dessin; il risquerait d’être plus préoccupé par le résultat visuel que spirituel. Par exemple, quelqu’un qui a du mal à s’exprimer pourra choisir la danse afin de laisser parler son corps. Une personne incapable de se concentrer ou de lâcher prise pourra quant à elle choisir le dessin. Le théâtre ou la danse permettent aux patients de projeter, décharger ses émotions et de communiquer de manière indirecte sur lui-même. La musique, qu’elle soit créée ou écoutée par le patient, fonctionne particulièrement bien sur les personnes très anxieuses ou atteintes d’autisme.

Par le biais des arts plastiques, de l’art du langage, de l’art du son et du visuel ou encore de l’art du spectacle vivant, ce qui est exprimé est transformé afin que le patient soit confronté à une partie de lui-même qu’il a tenté de mettre à distance.

Comment se déroule une séance d’art thérapie et par qui peut-elle être dirigée?

Plusieurs séances sont organisées avant de laisser le patient pratiquer l’art-thérapie en autonomie. Lors de la première séance, le thérapeute pointe les besoins et les attentes du patient afin de lui proposer un moyen artistique le plus adapté à ses problèmes. Les séances peuvent varier en fonction du type de prise en charge, du patient, de la pathologie et de l’approche thérapeutique. Elles s’organisent autour de l’expression, qu’elle soit verbale ou non, de la création artistique et de la réflexion sur la création. Le patient peut alors s’appuyer sur les symboliques exprimées lors des séances et, dès lors, est capable d’amorcer un changement dans la perception de lui-même et de sa vie. L’art thérapie est à éviter en cas de dépression sévère, de phase de grande excitation et également déconseillée aux personnes possédant des dispositions artistiques, rares sont ceux qui arrivent à mettre leur talent de côté pour arriver à une introspection qui favoriserait un changement positif.

Actuellement sans statut légal en Belgique, la profession d’art-thérapeute n’est pas protégée. Obligatoirement porteur d’un diplôme artistique, paramédical, éducatif, psychosocial ou en sciences humaines, l’art thérapeute demeure soumis aux contraintes de son diplôme. Le SPF Santé – Stratégie des Professions de Santé – insiste sur l’interdiction d’exercer des actes réservés aux psychologues cliniciens ou aux psychothérapeutes si on ne possède pas le diplôme requis.

Emilie Petit

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