Dirk De Wachter © Belga

« Ce n’est pas le médecin, mais l’être humain qui résout la solitude »

Stefanie Van den Broeck Journaliste Knack

Il est inquiétant de constater que tant de personnes se sentent seules, estime le psychiatre Dirk De Wachter. « Mais cette douleur existentielle humaine ne doit pas être médicalisée. »

L’enquête nationale sur le bonheur réalisée par l’Université de Gand et l’assureur vie NN montre que près de la moitié des Belges se sentent seuls. Surtout pour les jeunes adultes, c’est un problème.

Dirk De Wachter : Il est difficile de prouver par des chiffres si la solitude se manifeste plus qu’avant. J’imagine que, dans les années 1950, il n’était pas facile d’être un garçon homosexuel dans un village de campagne. Mais je crains qu’aujourd’hui les grandes villes et l’individualisme croissant nous rendent particulièrement vulnérables.

Il est frappant de constater que ce sont surtout les jeunes qui en souffrent.

Et il est inquiétant que les gens dans la fleur de l’âge se sentent si souvent seuls. Pourtant, il semble que nous soyons plus connectés que jamais, grâce aux réseaux sociaux.

La solitude rend-elle toujours malheureux?

Oui, c’est un signe de manque et de chagrin. Mais c’est autre chose que d’être seul. Je rencontre régulièrement des gens qui vivent seuls et qui sont heureux. Parce qu’ils ont un bon réseau. Bien qu’il y ait aussi des gens qui, en raison de leur développement ou de leur personnalité, préfèrent voir le moins de gens possible. Ils peuvent être très heureux seuls, dans une cabane en forêt. Il s’agit là d’exceptions. La plupart des gens ont besoin d’être entourés.

Avons-nous une emprise sur notre solitude ?

Je trouve que c’est blâmer la victime. Je vois souvent des gens dans mon cabinet qui sont très malheureux et solitaires et à qui leur entourage leur dit qu’ils doivent sortir plus souvent et faire plus s’efforts. Ils oublient les facteurs funestes qui jouent un rôle : la vulnérabilité psychique, le chômage, la maladie, la mort… Même s’il est vrai qu’on a la situation partiellement en main. En tant que psychiatre et thérapeute, j’essaie d’activer le réseau naturel des gens, afin qu’ils puissent à nouveau établir plus de liens sociaux. J’essaie de me rendre superflu.

Toutes les personnes qui se sentent seules devraient-elles consulter un psychiatre ?

Non, s’il vous plaît non ! Nous avons déjà énormément de travail. Et il serait aussi très cynique pour une société de dire que la solitude ne peut être résolue que par des professionnels. La solitude n’est pas un état psychiatrique. Je pense que c’est mal de médicaliser ce genre de douleur humaine existentielle. Ce ne sont pas les médecins qui devraient résoudre ce problème, mais les autres êtres humains. Si tout le monde reste dans son studio, un repas congelé sur les genoux devant un écran et seulement des amis Facebook, où allons-nous?

Les politiciens peuvent-ils apporter des solutions ?

N’importe qui peut faire ça. Même des gens très ordinaires peuvent, comme l’a dit le philosophe français Emmanuel Levinas, faire preuve de « petits engagements invisibles ». Cela doit venir des gens eux-mêmes. Mais bien sûr, les politiciens, les chefs d’entreprise et d’autres responsables peuvent initier le mouvement. Ou du moins, ne pas entraver les initiatives existantes. Beaucoup de choses sont déjà faites, je ne veux certainement pas être un prophète de malheur. Dans mon université, par exemple, vous avez un projet de compagnon pour soutenir les étudiants de première année : c’est une très belle initiative.

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