Plantation d'artemisia annua au Sénégal. Les plantations de recherche et de production se multiplient en Afrique et ailleurs. © Forget Patrick/Photo News

Artemisia, l’antimalaria efficace mais interdit

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Remède naturel efficace et bon marché pour prévenir et soigner la malaria, l’artemisia fait une percée spectaculaire en Afrique. Mais l’OMS déconseille l’emploi de cette plante médicinale et la Belgique l’interdit. Serait-elle dangereuse ? Ou menace- t-elle le business des médicaments officiels antipaludéens ?

Cela ressemble à une scène récurrente des aventures d’Astérix : la distribution de potion magique. Sauf que nous ne sommes pas chez les Gaulois d’Armorique en 50 avant J.-C., mais chez les Congolais du Maniema aujourd’hui. Et que la composition de la  » potion magique  » consommée par les villageois du coin n’est pas un secret jalousement gardé : c’est une infusion d’artemisia annua (armoise annuelle), une herbe médicinale utilisée en Chine depuis deux mille ans pour prévenir et soigner la malaria. Les plantations de recherche et de production se multiplient en Afrique et ailleurs, comme le raconte le film-documentaire Malaria Business présenté ces jours-ci, en avant-première, en salles à Bruxelles, en Wallonie et à Paris, avant d’être diffusé prochainement sur la Une (RTBF).

Son auteur, le réalisateur belge Bernard Crutzen, a sillonné la planète, de la province du Maniema (RDC) à la Guyane française, du Sénégal à Genève, siège de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s’est rendu compte que le paludisme est en chute libre dans les villages où on plante et utilise l’artemisia annua ou sa  » cousine  » africaine, l’artemisia afra. Il fait état d’études scientifiques et médicales conduites en Afrique, aux Etats-Unis et en Europe qui confirment les vertus thérapeutiques de ces plantes consommées sous forme de tisanes, de poudres ou de cachets d’extraits naturels. Mais il tente surtout de comprendre pourquoi l’OMS déconseille d’y recourir.  » Des médecins africains et des laboratoires universitaires voudraient lancer une étude à grande échelle afin de validerles recherches déjà entreprises, signale-t-il. Mais ils ne sont pas soutenus par les grandes institutions publiques et privées.  »

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Nouvelles épidémies

Les pays du Sud restent pourtant confrontés à un défi sanitaire majeur : dans le monde, un enfant meurt toutes les deux minutes de la malaria, cette infection parasitaire transmise par un moustique anophèle femelle lui-même contaminé.  » Trois crises avant l’âge de 5 ans diminuent de 15 % les capacités cognitives d’un enfant, sans compter l’absentéisme causé par la maladie « , constate Iday, un réseau d’associations africaines basé en Belgique. L’OMS recense chaque année plus de 200 millions de cas de malaria et environ 500 000 décès, en majorité des enfants. Au total, près de 100 pays sont touchés. Mais l’essentiel de la charge est supportée par l’Afrique, où surviennent 90 % des infections et des décès. Les pertes économiques y sont estimées à 10 milliards de dollars par an, soit une réduction annuelle de croissance de 1,5 % du PIB africain. Pour Guy Mergeai, chercheur et professeur d’agronomie tropicale à Gembloux (ULiège),  » la malaria pèse lourdement sur le développement du continent.  »

Certes, le taux de mortalité de cette pathologie a reculé de près de 30 % depuis 2010. On constate néanmoins une recrudescence d’épidémies dans plusieurs pays d’Afrique, dont le Bénin, le Burundi, la RDC, le Kenya… L’OMS parle même de catastrophe sanitaire. Depuis peu, l’agence onusienne s’intéresse aux vertus thérapeutiques de la médecine traditionnelle. Toutefois, elle a  » prié instamment  » les autorités des pays touchés par la malaria de cesser la production et la commercialisation de feuilles d’artemisia, et cela au nom du principe de précaution.

Résistance aux médicaments

Si l’OMS ne cautionne pas l’utilisation de la plante comme moyen antipaludique, c’est de peur qu’apparaissent dans les populations du Sud des résistances aux ACT, médicaments composés d’artemisinine – une substance qui provient de la plante – et d’autres molécules dont dispose l’industrie pharmaceutique. Depuis 2001, l’agence de l’ONU impose les ACT comme remède de première ligne en Afrique. Ce qui n’étonne pas le Colombien German Velasquez, ancien directeur à l’OMS, devenu la bête noire des lobbies pharmaceutiques. Selon lui, l’agence est de plus en plus dépendante du secteur privé : en vingt-cinq ans, la part du budget de l’OMS provenant des Etats membres est passée de plus de 50 % à moins de 20 %.

Pour Pierre Lutgen, docteur en sciences et fondateur d’une ONG qui promeut l’usage des plantes médicinales, l’argument selon lequel l’utilisation de l’artemisia annua pourrait générer des souches résistantes aux médicaments ACT ne tient pas.  » C’est le contraire qui se produit, explique-t-il : les doses massives d’artemisinine contenues dans les ACT peuvent entraîner un phénomène d’adaptation et de mutation. Des résistances incontrôlables aux ACT se développent dans le Sud-Est asiatique et atteignent désormais une dizaine de pays africains.  »

Au Maniema (RDC), l'absentéisme à l'école a chuté dans les villages où l'on distribue la tisane d'artemisia annua.
Au Maniema (RDC), l’absentéisme à l’école a chuté dans les villages où l’on distribue la tisane d’artemisia annua.© Bernard Crutzen – Malaria Business

Quelle efficacité ?

L’OMS reproche aussi à la plante de ne pas contenir suffisamment d’artemisinine pour être efficace.  » Faux ! réplique Nathalie Schots, d’Iday : lorsque les plants d’artemisia annua comportent peu d’artemisinine, ils sont plus riches en flavonoïdes et autres éléments antipaludiques.  » En clair, on s’aperçoit que les différents composants de la plante ont une action antipaludique renforcée lorsqu’ils sont pris tous ensemble, comme c’est le cas dans la tisane ou la poudre de feuilles séchées.  » La « variété » artemisia afra, elle, ne contient pas d’artemisinine du tout et s’avère pourtant encore plus efficace que l’artemisia annua contre la malaria « , remarque le professeur Guy Mergeai, l’enseignant chercheur chez Gembloux Agro-Bio Tech.

La plante contiendrait-elle des substances dangereuses, comme certains l’insinuent ?  » Même à dose élevée, personne n’a pu constater un quelconque effet toxique aigu ou chronique, assure Pierre Lutgen. L’artemisia annua est d’ailleurs autorisée dans de nombreux pays, dont l’Allemagne, le Luxembourg, les Etats-Unis, l’Australie, la Chine, l’Afrique du Sud…  » En revanche, en Belgique, elle figure sur la liste des plantes dangereuses. Son commerce est interdit. En France aussi, on ne peut s’en procurer ni en pharmacie, ni en herboristerie.

Les moustiques s’adaptent

Si l’artemisia suscite un intérêt croissant au sein des ministères de la santé des pays du Sud, c’est parce cette plante médicinale apparaît comme un remède à la portée des populations locales : son prix est environ six fois inférieur à celui des médicaments recommandés. C’est aussi parce que les programmes officiels antimalaria butent sur plusieurs obstacles. Ainsi, l’OMS continue à distribuer des moustiquaires imprégnées d’insecticide, alors que les moustiques se sont adaptés : ils commencent à piquer plus tôt en journée ! Par ailleurs, outre la résistance du parasite aux médicaments déjà signalée, il y a le fait que la moitié environ des médicaments antipaludiques vendus en Afrique sont des contrefaçons, parfois dangereuses.

Certes, un vaccin antipaludique est attendu pour 2018. GSK, le géant pharmaceutique implanté à Wavre et Rixensart, y travaille depuis trente-trois ans ! Mais ce vaccin s’avère décevant : il ne serait efficace que dans 30 % des cas. En fait, il existe déjà un  » vaccin « , naturel et bon marché celui-là, assurent les proartemisia : des essais cliniques en Ouganda, au Kenya et en RDC montreraient que la prise de deux ou trois tasses de tisane d’armoise par semaine réduit le risque de paludisme de 80 %. De quoi inciter l’OMS à changer sa politique ?

Malaria Business, un film écrit et réalisé par Bernard Crutzen, commenté par Juliette Binoche.

Médicaments antimalaria : le cas Stromae

Hallucinations, crises d’angoisse, tête qui tourne : deux ans après avoir pris du Lariam lors de sa tournée africaine, Stromae dit toujours souffrir des effets secondaires de l’antipaludique. L’artiste belge a fait des rechutes avec, à la clé, de nouvelles hospitalisations, confidences qui ont fait le buzz récemment sur la Toile. En 2015, il avait dû annuler des concerts et rentrer en Belgique. Il expliquera par la suite ne pas avoir supporté son traitement préventif contre le paludisme et avoir craint de « basculer dans la folie ». « Si mon frère n’avait pas été là, je me serais suicidé », précise-t-il dans le documentaire Malaria Business.

Les spécialistes de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers le reconnaissent : 5 à 10 % des personnes traitées au Lariam ne tolèrent pas ce médicament, déjà banni dans 28 pays. Symptômes observés : des vertiges, des troubles de la concentration, de la confusion mentale, voire des idées suicidaires. Deux autres antipaludiques sont plus souvent prescrits aux voyageurs en partance pour les zones à risque : la Doxycycline et la Malarone, qui peuvent aussi avoir des effets indésirables. Tous ces produits, même le Lariam, figurent sur la liste des médicaments recommandés par l’OMS, qui déconseille en revanche l’artemisia annua, plante médicinale dépourvue d’effets secondaires.

Bill Gates refuse de soutenir la recherche sur l’artemisia

En janvier 2016, le milliardaire américain Bill Gates et le ministre britannique des Finances (et non de la Santé ! ) ont promis d’investir quatre milliards d’euros sur cinq ans dans la recherche afin d’éradiquer d’ici à 2040 le paludisme, « tueur le plus meurtrier du monde ». Mais pas question pour autant de soutenir une étude scientifique internationale approfondie sur l’artemisia annua, comme la réclament plusieurs associations. Parce qu’une simple plante ne rencontre pas les intérêts financiers de l’Occident ? La fondation Bill & Melinda Gates justifie son refus en se retranchant derrière l’avis de l’OMS, pour qui la tisane d’artemisia annua est une « monothérapie ». Absurde, répliquent les défenseurs de la plante : l’artemisiaannua contient une vingtaine de principes actifs, qui agissent par synergie ou addition. Les plantes médicinales sont en réalité des polythérapies, rappellent-ils, à la différence des molécules pharmaceutiques. La fondation a reçu le dossier artemisia annua par sept biais différents, mais le responsable « santé » de Bill Gates prévient : « Il ne s’intéresse pas aux plantes. »

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