Jasmine Leus © Hatim Kaghat

Allergie : « Il est aussi important d’épargner un régime inutile à quelqu’un que de prescrire un bon régime »

Les hôpitaux reçoivent de plus en plus d’enfants atteints d’allergie. Pour la pédiatre Jasmine Leus, il est au moins aussi important d’épargner un régime inutile à quelqu’un que de prescrire un bon régime.

Les recherches en matière d’allergie en sont à leurs débuts, et c’est particulièrement le cas en pédiatrie. Leus : « La spécialisation en allergologie pédiatrique n’est pas une sous-discipline reconnue. Il y a dix ans, j’ai commencé à me spécialiser en la matière parce que nous voyions changer notre population de patients ».

Pour commencer, pourriez-vous expliquer la différence entre une allergie et une intolérance?

Jasmine Leus: L’allergie est une réaction inflammatoire déclenchée par une réponse anormale de notre système immunitaire à certaines structures de protéines, d’allergènes qui se retrouvent en contact avec notre corps et ne représentent pas de menace en soi. Celui-ci fabrique des anticorps. Quand ceux-ci se lient aux allergènes, des symptômes se déclenchent dans différentes parties du corps : la peau, les voies respiratoires, le système gastro-intestinal et cardiovasculaire. Ces symptômes peuvent être inoffensifs, un nez bouché par exemple, mais il est possible d’avoir une réaction de choc mortellement grave.

L’intolérance n’est pas une réaction du système immunitaire. Elle signifie qu’on n’arrive pas à assimiler ou digérer suffisamment les structures de sucre. C’est dû à un manque d’enzymes. L’intolérance au lactose arrive quand une personne a du mal à digérer le lactose parce qu’elle fabrique trop peu de lactase, l’enzyme qui digère le lactose. La deuxième différence, c’est qu’en cas d’allergie il n’y a pas de seuil : même la plus petite quantité d’allergène peut déclencher une réaction. Les enfants intolérants au lactose par exemple ne supportent pas de boire un verre de lait, mais tolèrent des biscuits contenant du lait.

Une allergie est-elle plus dangereuse qu’une intolérance?

Oui, l’allergie est plus périlleuse que l’intolérance est cause aussi des troubles différents. L’intolérance provoque des symptômes gastro-intestinaux : maux de ventre, un ventre ballonné, de la flatulence et de la diarrhée. C’est ennuyeux, mais cela n’engage jamais le pronostic vital. L’allergie peut déclencher des troubles chroniques, mais aussi très soudains. Les symptômes aigus se manifestent souvent quelques minutes après le contact avec l’allergène. L’avantage c’est que nous pouvons détecter une grande partie des allergies par le sang ou à l’aide de tests cutanés.

Une grande partie, donc pas pour tous les allergènes ?

Non. Il n’y a que les allergies qui déclenchent des anticorps qui se détectent par la peau ou le sang. Les allergies alimentaires tombent souvent dans cette catégorie, mais pas toujours : une grande partie des enfants allergiques au lait de vache par exemple. Pour le dire simplement, nous savons que le lait de vache ne leur réussit pas, mais nous ne savons pas pourquoi.

Comment savez-vous que le lait de vache est en cause?

Parce que les enfants se sentent mieux quand on le retire de leur régime. L’hypothèse c’est que chez eux le mécanisme allergique se joue au niveau des globules blancs, non au niveau des anticorps. Ces cas se diagnostiquent uniquement sur base de symptômes. Heureusement, nous pouvons traiter ces enfants et apaiser leurs troubles.

Pourquoi les allergies et les intolérances ont-elles le vent en poupe?

Nous ne savons pas encore exactement pourquoi. Il y a quelques hypothèses, telles que les habitudes alimentaires changeantes, la composition de la flore intestinale ou l’hygiène. Cette dernière met notamment la pollution de l’air, les maisons très isolées ou le manque d’aération en cause. Cependant, une hygiène excessive peut également jouer un rôle, parce que le système immunitaire est trop peu mis à l’épreuve.

Vaut-il mieux éloigner les enfants des allergènes dès le plus jeune âge?

Au contraire. Les études semblent révéler que les femmes enceintes ou les mères qui allaitent favorisent les allergies. Aussi conseille-t-on de manger varié pendant la grossesse et l’allaitement et de ne pas faire régime. L’allaitement est certainement une bonne mesure préventive, et certainement dans les familles atopiques. Nous conseillons l’allaitement unique pendant quatre mois, donc sans biberons.

Les allergies sont-elles innées ou les développe-t-on?

C’est un ensemble. Les familles atopiques fabriquent beaucoup plus d’anticorps que nécessaire, et les transmettent. Cependant, les facteurs d’environnement jouent également un rôle. La pollution de l’air par exemple : les pollens d’herbe pollués de particules de diesel sont plus allergènes que les non-pollués. Mais on ignore pourquoi. Pas davantage quel facteur est plus dominant. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut suffisamment mettre le système immunitaire à l’épreuve. C’est pour cette raison que nous essayons d’introduire les allergènes incriminés aux enfants atteints d’allergies importantes afin de rendre le système immunitaire plus réceptif.

Trouvez-vous que l’on fasse trop de tintouin autour des allergies et des intolérances ?

C’est double. Comme nous allons en entendre parler de plus en plus, c’est bien qu’on en parle et qu’on écrive davantage. À la lumière du nombre croissant d’allergies graves il est important que les gens sachent comment répondre aux réactions. Nous avons également de plus en plus de demandes d’écoles et de crèches. Nous demandons également cette vigilance, en téléphonant aux écoles pour leur signaler que tel ou tel élève a bel et bien une allergie et qu’elles doivent le surveiller. À force de trop en rapporter et d’engouements, on risque d’obtenir l’effet inverse : parfois les enseignants ne prennent pas au sérieux les enfants qui disent qu’ils ne peuvent pas manger quelque chose.

Vous voyez des allergies de plus en plus graves. Les allergies extrêmes comme l’allergie au soleil ont-elles également le vent en poupe ?

Il ne s’agit pas d’une allergie, mais d’une réaction d’hypersensibilité : un problème dermatologique où il n’y a pas d’anticorps en jeu. Votre question met le doigt sur le problème : la base d’un bon traitement est un diagnostic correct. Tant pour ceux qui sont allergiques, que pour ceux qui ne le sont pas. Il est au moins aussi important d’épargner un régime inutile à quelqu’un que de lui prescrire un bon régime.

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