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Agir à son niveau pour dépasser la crise

Y a-t-il une vie après la crise ? Oui. Il faut freiner la logique quantitative et mercantile et redécouvrir les grandes valeurs universelles. Mais La Guérison du monde passe surtout par la transformation de soi. Avec un peu de ténacité, ce n’est pas impossible.

Crise économique ? Plus que ça ! Frédéric Lenoir, dans son nouveau livre La Guérison du monde (aux éditions Fayard) l’aborde comme une crise de civilisation, pas comme une catastrophe financière survenue par hasard. Pour lui, la crise est systémique, elle « fait système ». Le terme « système », apparu dans les années 1940-1950, désignait une discipline scientifique, à la lisière, notamment, de la biologie, des mathématiques, de l’électronique, prônant une approche globale de la réalité car celle-ci fonctionne comme un système dont toutes les parties sont liées les unes aux autres. Le philosophe Edgar Morin a transformé le substantif en adjectif et a montré que « la systémique est un regard interdisciplinaire posé sur le monde ». Cette philosophie de la science a été appliquée à la crise planétaire mondiale et englobe toutes les crises sectorielles : environnementale, économique, politique, sociale, culturelle, sanitaire, etc. « Nous vivons dans un monde global, rappelle Frédéric Lenoir. Les choses sont interdépendantes. On ne peut pas isoler l’économie, le politique ou le vivre-ensemble, car tout interagit et tout est relié. Le réchauffement climatique déclenche des catastrophes qui, à leur tour, entraînent un phénomène nouveau, celui de réfugiés climatiques. La dégradation de l’environnement et la pollution chimique sont à l’origine de nombreuses maladies. La révolution technologique génère le mal-être psychique. Tous les secteurs d’activité sont connectés. C’est pour ça que je parle de crise systémique. »

A qui la faute ?

A l’obsession du profit immédiat ! Toutes les énergies sont consacrées à la recherche systématique du gain, au consumérisme outrancier et à l’exploitation irraisonnée de nos ressources. Notre modèle est fondé sur une production censée augmenter indéfiniment pour satisfaire une consommation en croissance permanente. « Aujourd’hui, l’économie se résume à ceci : gagner le plus d’argent possible, martèle Frédéric Lenoir. La qualité du travail en pâtit. Cette course au rendement tue la vie, car la vie est liée à la qualité. La vie a besoin de temps, d’espace et de gratuité. » Or, notre rapport au temps et à l’espace a complètement changé. L’espace s’est rétréci et le temps s’est accéléré. Cette accélération du temps subjectif ou vécu (à ne pas confondre avec le temps objectif, le Chronos) est liée à la révolution technologique. Elle a commencé au début du XIXe siècle, en 1805, plus précisément, avec l’invention de la locomotive à vapeur. Depuis lors, les machines nous imposent leur rythme, on vit dans l’instantané, dans l’immédiat, nous sommes pris par la réactivité des outils technologiques. L’accélération de la vitesse est donc le point de départ de ce rythme infernal. Un exemple : la vitesse de transmission des informations a été multipliée par dix millions depuis le début du XXe siècle ! Depuis trois décennies, la recherche de la rentabilité a davantage accéléré ce rythme. Il faut avancer plus vite et travailler plus vite, car le temps c’est de l’argent. Troisième point, qui découle du premier : l’innovation permanente.

On doit se réadapter en permanence et notre temps est pris dans cette réadaptation au monde qui change trop vite. Le philosophe allemand Hartmut Rosa, spécialiste des questions liées au temps, a fait ce calcul : un homme de 35 ans a déjà vécu trois fois la vie de son grand-père, en changeant de job, de compagne et de domicile !

Comment s’en sortir ?

Les réponses sont multiples et appartiennent aux Etats-nations, à l’ONU et aux ONG. Mais la guérison du monde est aussi l’affaire de nous tous et implique la transformation de notre être, de notre personne. « Je suis convaincu que c’est l’individu qui détient aujourd’hui la principale clé de la résolution des problèmes, insiste Frédéric Lenoir. Je suis persuadé que la philosophie, la spiritualité et le développement personnel peuvent apporter leur pierre à l’édification d’un autre monde, plus pacifié, plus équilibré, plus respectueux de l’humain et de la vie. » Ce qui compte, en priorité, c’est de savoir d’où on part. Faire un diagnostic de son propre mode de vie. Quitter la course-poursuite au profit et au « toujours plus ». Dépasser la vision mécaniste, bien ancrée dans nos esprits et adopter d’autres valeurs que celles de la réussite matérielle. « Selon moi, les trois valeurs essentielles sont la justice, la liberté et la fraternité. Je suis pour l’enseignement de ces valeurs car beaucoup de gens ne savent pas ce que c’est ! Pour Socrate, la cause de tous les maux, c’est l’ignorance. En France, Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale, a décidé de réintroduire les cours de morale laïque à l’école. Décision approuvée par 92 % des Français ! » La guérison du monde passe aussi par un travail sur soi et par la conversion de son regard. Pour y arriver, il faut éradiquer ces « trois poisons » que sont la convoitise, le découragement et la peur. Oui, en modérant ses désirs, en faisant le choix de sobriété, en privilégiant l’ « être » plutôt que l’ « avoir », on peut être heureux. Le découragement découle du sentiment d’impuissance. « Certes, la logique médiatique privilégie les mauvaises nouvelles, déplore Frédéric Lenoir. Mais, fait encourageant, les bonnes nouvelles existent. On rencontre à travers la planète une volonté de changement, des expériences solidaires et des initiatives magnifiques. En adoptant une attitude positive, on peut apprendre à sortir du découragement. » La peur, troisième « poison », conduit au repli sur soi. Il faut absolument reprendre confiance en nous pour mieux faire confiance aux autres et s’impliquer à leurs côtés dans des actions visant à inverser la vapeur. Les études le prouvent : la solidarité, c’est bon pour l’épanouissement personnel !

En attendant le « messie »

« Il nous faut un guide », écrit Christian de Duve dans son beau livre De Jésus à Jésus… en passant par Darwin. Notre prix Nobel de médecine conclut que ce sage dont notre monde a besoin a bel et bien existé. Il s’agit de Jésus. Mais c’était il y a deux mille ans. Où trouver le guide charismatique des temps modernes ? « Barack Obama aurait pu l’être, dit Frédéric Lenoir. Il avait promis de réguler la finance et de résoudre le conflit israélo-palestinien. On lui a donné le prix Nobel de la paix sur cette promesse. Mais il n’a pas eu le courage de bousculer les habitudes. Nous avons besoin de gens qui nous donnent envie de changer le monde. Au siècle des Lumières, une poignée d’individus ont essaimé leurs idées qui ont abouti à la Révolution des droits de l’homme. » Quelques indices suggèrent pourtant que le passage à l’acte commence à s’opérer. Chemin faisant, le changement gagne les esprits, sur l’impulsion des guides comme Stéphane Hessel, l’ « indigné », Pierre Rabhi, inventeur de l’agroécologie, Tristan Lecomte, fondateur d’Alter Eco ou encore des altermondialistes. Car la guérison du monde, avant de devenir un projet collectif, est d’abord celui d’individus à forte tête. « C’est la somme des nouvelles individualités qui créera une collectivité nouvelle, conclut Frédéric Lenoir. Toutes ces réalisations esquissent le visage de ce que pourrait être une transition vers un monde meilleur. J’ai une sensibilité optimiste. Je crois que l’ancien monde décroît, et qu’un autre monde émerge lentement. Le monde, c’est un rapport de force permanent. Ces deux mondes sont en train de se croiser. Tous ces signaux faibles peuvent être la réalité de demain. »

BARBARA WITKOWSKA

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