© Capture d'écran Facebook

Que faire de sa mère sur Facebook ?

De plus en plus de parents rallient le réseau social. Une cohabitation « forcée » avec des adolescents qui les trouvent déjà « casse-pieds » dans la vie. Menace garantie sur la paix des familles.

Jeannine, 62 ans, retraitée de l’enseignement et mère de trois jeunes adultes, est fière d’avoir un réseau plus fourni que ceux de ses deux filles aînées : 300 « amis », quand Valérie, 35 ans, en compte 200 et Stéphanie, 32 ans, 160. Lesquelles ressentent « un peu de peine » pour leur père, Frédéric, 116 amis. Evidemment, tous sont « amis », c’est-à-dire qu’ils sont inscrits sur leurs comptes Facebook respectifs, ont accès à ce qu’ils y écrivent et à ce qu’ils reçoivent comme messages ou photos de leurs autres « amis ».

Vos parents sur Facebook ? Sur le plus grand réseau communautaire du monde – 4 millions d’inscrits en Belgique, près d’un habitant sur deux – il devient difficile d’échapper au sacro-saint cercle familial. D’après Facebook, plus de 60 % des utilisateurs ont plus de 35 ans et, l’an dernier, les femmes de plus de 45 ans ont débarqué en masse sur la plate-forme : logique donc d’y retrouver ses « vieux » parents. Logique, mais pas simple. « Quand on a passé cette période de l’adolescence où on est antiparents, il n’y a aucun problème à être ami avec eux sur le réseau », répond Valérie. Son jeune frère, Laurent, 25 ans, a prétendu ne pas traîner souvent sur Facebook pour « bloquer » sa famille : « Ma mère est capable de fliquer ma vie sentimentale dans l’espoir d’y trouver sa future belle-fille. »

Solenn, 16 ans, n’avait pas imaginé recevoir ce mail signé Mamou : « Je souhaite être ton amie sur Facebook. Dis, ça ne te gêne pas ? » « Mamou », c’est sa mère, Sophie, 43 ans. L’adolescente, après avoir hésité, n’a pas osé dire non. « Envoyer bouler ses parents, voire les blacklister, c’est délicat. » Ceux et celles qui ont son âge imaginent très bien son embarras. « Dans ma bande, je suis la seule à avoir ma mère dans ma liste d’amis », reconnaît Solenn. Alors, elle biaise, ne montre pas tout. « Je fais attention à ce que je poste, même si je ne cache pas de grands secrets. » Parfois, elle ment : « J’écris que je vais étudier, alors que je vais sortir. »

Le moyen le plus simple et le moins cher d’espionner ses enfants
Après enquête, il semble que de nombreuses mères se créent un profil précisément pour pouvoir surveiller leurs enfants. Savoir ce qui se dit, veiller au grain en ligne. Une intrusion que la mère de Solenn assume. « C’est comme les soirées, il faut surveiller. Quand Solenn est invitée quelque part, je veux savoir qui invite, qui sera là et je donne une heure limite. Sur Facebook, c’est pareil. Pour faire monter son nombre d’amis, elle est constamment en train de recruter. Par exemple, la dernière fois qu’elle est allée boire un verre avec ses copines, des gars de 20 ans les ont branchées. La question, très vite, c’est « t’as un profil Facebook ? » Et clic, en rentrant, ils deviennent amis sur le réseau. Donc avec n’importe qui. Moi, je regarde, je contrôle. C’est normal », explique Sophie.

Certains parents, pour contourner l’obstacle d’un refus, demandent à un proche de la famille de se faire accepter sur le Facebook de leur adolescent. D’autres exigent le mot de passe de leur chérubin pour aller consulter son profil. Mais les parents sur Facebook, c’est « comme inviter sa mère à une soirée ». Si l’on en croit les pages pléthoriques du réseau (« Contre les parents sur Facebook », « J’ai peur que mes parents viennent sur Facebook », « Au secours, mes parents débarquent sur Facebook », etc.), de nombreux adolescents partagent cette idée. Le site Oh, crap. My parents joined on Facebook (Oh, merde. Mes parents sont sur Facebook) s’en amuse. C’est écrit sur la page d’accueil : « Félicitations, ta vie est officiellement terminée. » Des internautes y publient les messages et les commentaires les plus embarrassants envoyés par leurs parents. « Un parent n’est pas le copain de ses enfants, tonne Daniel Marcelli, pédopsychiatre. En tant que parent, être virtuellement ami avec eux, c’est comme fouiller dans leurs affaires et lire leur journal intime. Il est indispensable pour un adolescent que l’on respecte son espace privé. »

Pis : parfois, c’est l’image des parents qui en prend un coup. Des parents qui font honte à leurs enfants sur Facebook. Des exemples : une mère répond au questionnaire « Quelle position sexuelle préférez-vous ? » et qui affiche la réponse « Debout » sur son profil ; un père qui écrit à l’ex-copine de son fils « David s’ennuie de toi » ; un couple qui raconte qu’il a eu chaud et qu’il a fait « vous savez quoi » tout l’avant-midi… Le tout à leurs amis, parmi lesquels leurs enfants (mortifiés). « Mes parents ont divorcé il y a deux ans. Evidemment, ma mère s’est inscrite sur Facebook, raconte Roxane, 18 ans. Quand je vais sur son mur, ça me fait froid dans le dos, j’ai l’impression d’apprendre des choses sur elle que je n’ai pas envie de savoir. Récemment, elle a posté des photos de son ex : je n’en avais même pas entendu parler ! »

Quand la cohabitation pèse trop ? Il est toujours possible de modifier les – très compliqués – paramètres de confidentialité, fermer son profil aux regards extérieurs, établir des listes d’amis privilégiés. Ou de créer un compte annexe, deux profils, l’un accessible aux parents, l’autre, le « vrai », réservé à son véritable cercle d’amis. Autre ruse de Sioux : se montrer « plus malin que ses vieux » : « Mon fils m’a exposée en maillot de bain, raconte Géraldine, 45 ans. Je l’ai mal vécu. Comme s’il ouvrait la porte de ma chambre à ses copains. » Comme s’il avertissait que lui aussi pouvait révéler des secrets de famille… « Il restreint l’accès à son profil comme il contrôle vos allées et venues dans sa chambre, en fermant la porte », explique Daniel Marcelli.

Ultime solution : la fuite. Selon Dominique Cardon, sociologue et chercheur à Orange Lab, les ados seraient « de plus en plus nombreux à se tourner vers les blogs ou vers d’autres réseaux sociaux pour retrouver cet espace de clair-obscur dont ils ont besoin ».

SORAYA GHALI

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