Le nouveau président de l'ANC, Cyril Ramaphosa (au c.), danse avec sa rivale Nkosazana Dlamini-Zuma (à g.). L'ex-époux de cette dernière, Jacob Zuma (à dr.), a l'hilarité trompeuse. © S. sibeko/reuters

Afrique du Sud : jusqu’à quand le président Zuma va-t-il s’accrocher ?

Le Vif

Plombé par ses travers affairistes et ses revers électoraux, le président de la Nation arc-en-ciel s’accroche. Mais jusqu’à quand ?

« Zuma 179-783 « . Faut-il voir dans cette combinaison une formule cabalistique ? Non. Un numéro d’urgence ? Non plus. Quoique… Ces deux nombres accolés livrent la clé du séisme politique qui ébranle l’Afrique du Sud et secoue le Congrès national africain (ANC), formation aux commandes de la Nation arc-en-ciel depuis le trépas de l’abject régime d’apartheid, voilà près d’un quart de siècle. Le 18 décembre dernier, lors de l’orageuse conférence quinquennale de l’ANC, le vice-président Cyril Ramaphosa n’a devancé que de 179 voix Nkosazana Dlamini-Zuma. Marge étriquée au regard du contingent de délégués accrédités – 4 700 environ -, mais suffisante pour propulser l’ancien syndicaliste à la tête du plus vieux parti d’Afrique, occupée depuis dix ans par le très controversé chef de l’Etat Jacob Zuma, 75 ans, ex-époux de sa rivale. C’est aux exploits de celui-ci que renvoie la seconde partie de notre code numérique : 783 chefs d’inculpation pour corruption, liés pour la plupart à une ténébreuse livraison d’armements, pèsent sur le colosse zoulou au crâne poli. Un pouvoir sans foi ni loi, clanique et kleptocrate, une ossature militante rongée par les dissensions doctrinales et les querelles d’ego : s’il était encore de ce monde, Nelson Mandela, icône révérée disparue en décembre 2013, en pleurerait de dépit.

Selon l’usage, la présidence doit échoir au patron de l’African National Congress – en l’occurrence Ramaphosa – à la faveur des élections générales de mai 2019. Voire avant cette échéance, pour peu que Zuma accepte d’abréger, au nom de l’intérêt supérieur d’un parti dont il a tant terni le blason, son deuxième et dernier mandat. Du déjà-vu : en 2008, le roi Jacob, alors à la barre de l’ANC, avait contraint Thabo Mbeki à écourter son bail de huit mois. Un tel sacrifice, objet d’intenses tractations en coulisse, suffirait-il à enrayer l’érosion d’un électorat longtemps captif ? Pas sûr. Reste que la majorité des encartés préconisent l’option de la retraite anticipée, seule susceptible de conjurer le désastre, hier impensable : une déroute au fond des urnes dans seize mois.

Encore faudrait-il que le sortant consente à s’effacer. Or, ce phénix austral, souvent donné pour politiquement mort, aura survécu à maintes avanies. Dont un procès pour viol et plusieurs motions de défiance parlementaires. En août 2017, le rescapé a d’ailleurs senti le vent du boulet : il ne manque à l’époque que 24 suffrages – sur 400 – à ses censeurs, ralliés au demeurant par une trentaine de députés ANC. Une épreuve analogue l’attend le 22 de ce mois. Si toutefois il survit jusque là. Scénario incertain : le 5 février, les pontes du parti, réunis  » en urgence « , devaient statuer sur le sort du sursitaire.

Ramaphosa promet d’éradiquer la corruption et de châtier les voleurs. Mission impossible ?

Virtuose du poker menteur, le  » président Teflon  » – ainsi surnommé pour sa résistance à l’adversité – a plus d’un as dans sa manche. A commencer par sa popularité, robuste chez les déshérités et intacte dans son fief du Kwazulu-Natal (Est). Mieux, il garde de loyaux obligés au sommet de l’ANC. Si le Graal a échappé à la mouvance Zuma, trois des six ténors du nouvel état-major lui appartiennent, dont le vice-président et le secrétaire général. Quant au comité exécutif – Politburo de 80 membres – élu en décembre, il compte une moitié de fidèles. Condamné à une cohabitation conflictuelle, Ramaphosa hérite donc d’un sceptre hérissé d’épines.

La plus vénéneuse ? Le réseau tissé au sein de l’appareil sécuritaire par son meilleur ennemi. Cador des services de renseignement de l’ANC au temps de la clandestinité, Zuma sait tout ou presque des secrets inavouables de ses apparatchiks, qu’ils aient pactisé jadis avec les suprématistes blancs ou tapé depuis lors dans la caisse. De quoi museler quelques dissidents…

Si elle a fait la force de M. Teflon, cette propension au réseautage fait aussi sa faiblesse. Une fratrie d’origine indienne incarne un travers clientéliste qui aura coûté si cher à la Rainbow Nation. Débarqués de l’Uttar Pradesh en 1993, Ajay, Atul et Rajesh Gupta bâtiront ex nihilo un empire sud-africain, en achetant au prix fort les faveurs du clan Zuma et quitte à recruter le fils du boss, Duduzane. Patente de l’immobilier aux médias, via le secteur minier, leur emprise pèse aussi sur le choix de tel ministre ou l’attribution de juteux marchés publics. Dès octobre 2016, la médiatrice de la République fustigeait dans un rapport accablant cette collusion, symptôme de la confiscation des ressources du pays.  » Une orgie de dépravation et de vénalité  » : c’est en ces termes que Jacques Pauw, auteur l’an dernier d’un best-seller dévastateur, dépeint les pulsions prédatrices d’une caste qui, à titre d’exemple, s’est employée à saper l’assise du SARS, service d’enquêtes fiscales à l’intégrité salutaire. Logique : ses limiers disséquaient notamment les acrobaties comptables d’Edward Zuma, autre fiston de Jacob, lui-même fraudeur récidiviste.

Locataire des Union Buildings – le siège de la présidence – depuis mai 2009, ce dernier laissera un bilan calamiteux. Bien sûr, on ne saurait imputer à sa seule gouvernance l’atonie de la croissance, un taux de chômage estimé à 36 % et l’indigence qui accable encore la majorité noire. Mais c’est bien son affairisme qui a précipité le naufrage de la vieille alliance scellée avec le Parti communiste et l’influente centrale syndicale Cosatu. Et c’est à lui qu’incombe la responsabilité du cinglant revers essuyé lors des municipales de 2016, lequel aura coûté à l’ANC les mairies de Johannesburg, Pretoria et Port Elizabeth. A l’inverse, Ramaphosa doit son succès à sa promesse d’éradiquer la corruption et de châtier les voleurs. Reste que l’enfant du township de Soweto a, lui aussi, sa part d’ombre. Tour à tour militant antiapartheid, avocat, cofondateur du puissant syndicat des mineurs puis businessman cousu d’or, il siégeait à l’été 2012 au sein du conseil d’administration de la mine de platine de Marikana, théâtre d’une grève brisée à balles réelles (34 ouvriers tués). De même, ce baron de l’ANC a tardé à dénoncer la dérive de son ex-mentor Zuma. Nul doute que sa victoire a un parfum de revanche : pressenti dès 1997 par Mandela pour assumer sa succession, celui qui avait négocié la libération du bagnard de Robben Island avant de présider l’assemblée constituante de la Nation arc-en-ciel naissante fut alors évincé par les caciques du parti.

Il n’aura guère eu le loisir de savourer son laborieux retour en grâce. Lui sait bien que Zuma, mauvais perdant, vendra cher sa dépouille ; et tentera d’arracher une forme d’immunité.

Par Vincent Hugeux.

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