Elio Di Rupo et Nicolas Martin. © FREDERIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

Di Rupo : coulisses d’une sortie de scène

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Elio Di Rupo a dû renoncer au mayorat de Mons, pour s’assurer de garder la main sur sa succession au Boulevard de l’Empereur, en 2019. Il espère d’ici là s’emparer de la présidence du Parti des socialistes européens. Plongée dans les coulisses d’une sortie de scène.

Un lundi de la fin de l’été dernier, à Bruxelles, à un demi-pas du Manneken-Pis, on a remarqué que l’orgueil était la seule vraie passion politique. Il fait très chaud, c’est la fin de la journée, Elio Di Rupo vient de sortir son livre, Nouvelles conquêtes. Il en profite pour rencontrer quelques journalistes et, en fait, pour se remettre dans le jeu, après un été tragique. Dans une moiteur qui paraît éternelle, on soupe avec quelques pâtes sans gluten et de l’épais vin rouge. On lui demande, pour voir, ce qu’il va faire à Mons. Les dents à peine desserrées, avec cet air de mastiquer des cailloux qu’il se donne parfois, il lève la main et dit  » ça se décidera en mars « , comme pour passer à autre chose (autre chose étant  » la trahison de Lutgen « ,  » la vitalité du parti « , et toutes ces choses bien connues de tous, même sans gluten).

La vérité, c’est qu’à ce moment, tout est déjà décidé pour Mons.

Ce n’est pas par gêne qu’il le tait, mais par orgueil.

Comment se faire coincer par Nicolas Martin

L’année terrible de 2017, ses affaires, ses mauvais sondages et sa rupture d’avec Benoît Lutgen, le 19 juin, ne laissent plus le choix à Elio Di Rupo. Il doit lâcher son hôtel de ville. Le rapport de force local lui est, pour la première fois depuis longtemps, défavorable. Nicolas Martin tient bien ses troupes. En juin 2015, il avait d’ailleurs pris la présidence de la Fédération socialiste de Mons-Borinage contre la volonté de Di Rupo. Il veut être bourgmestre de Mons depuis qu’il est tout petit, Nicolas Martin, et il aurait pu encore patienter jusqu’à 2024 si on lui avait, par exemple, garanti un ministère wallon. Mais depuis le 19 juin, Elio Di Rupo ne peut plus garantir grand-chose à grand monde. Alors, Nicolas Martin met la pression : il dit partout pendant longtemps ne pas craindre d’aller au duel contre son ancien mentor. Les statuts de l’Union socialiste communale montoise postulent que si deux candidats s’affrontent pour la tête de liste municipale, le perdant perd même le droit de se présenter à l’élection. Que l’on imagine Elio Di Rupo le perdre et devoir partir ou Elio Di Rupo le gagner de peu et devoir rester, la nécessaire issue d’un affrontement public aurait été, pour Elio Di Rupo, une formidable défaite. Si formidable qu’il en aurait, sans doute, à la fois perdu l’hôtel de ville de Mons et le Boulevard de l’Empereur de Bruxelles.

Alors, puisqu’il n’a presque pas le choix, et qu’il ne lui reste que l’orgueil, ça sera l’Europe, c’est décidé dès l’été, avec le périlleux espoir de battre le record francophone des voix de préférence (déjà le sien, avec 483 000 suffrages aux élections européennes de 2004), et ça se saura quand il l’a décidé, et donc pas avant. Tant pis si les mois qui suivront égrèneront en litanies les scandales locaux, devenus nationaux par le seul statut d’Elio Di Rupo, et si les départs montois, comme celui de sa cheffe de cabinet Ermeline Gosselin, partie diriger l’équipe de la bourgmestre de Soignies, brisent le suspense. Et puis, avec Nicolas Martin, ils espèrent casser le rythme, effréné, de la campagne de l’opposition libérale et sauver leur majorité rouge avant que les bleus de Mons en mieux n’aient le temps de se retourner. Il n’aura pas sauvé son mayorat, mais sans doute celui des socialistes, et il garde son orgueil, celui de peser sur le temps. Un congrès sur les questions européennes est donc convoqué dès cette fin d’été 2017. Il se tiendra début mars 2018.

Un congrès PS sur-mesure pour Elio Di Rupo, future tête de liste européenne, le 4 mars à Bruxelles.
Un congrès PS sur-mesure pour Elio Di Rupo, future tête de liste européenne, le 4 mars à Bruxelles.© PABLO GARRIGOS/ISOPIX

Comment coincer Sergeï Stanishev

Le timing, à un an et demi d’élections européennes qui n’intéressent personne, est absurde. Sauf à considérer que le dimanche 4 mars, c’est juste avant le lundi 5 mars. Et le 5 mars est la date limite de dépôt des candidatures communales chez les socialistes montois. Il l’annonce au petit cercle de ceux qui comptent encore pour lui et de ceux pour qui il compte encore : il choisira ce moment pour dire qu’il conduira la liste socialiste aux européennes, et qu’il abandonne la tête montoise à Nicolas Martin. Dans ce cercle qu’il écoute encore un peu et qui l’écoute encore un peu, on le convainc de ne pas être si clair sur ses ambitions, et surtout pas si vite. Se dévoiler si tôt serait dangereux : il a certes bientôt 67 ans, mais il n’est pas encore question pour lui d’annoncer sa sortie de scène avec dix-huit mois d’avance. Le faux mystère entretenu à coups de  » probablement « , de  » c’est une possibilité  » et de  » ce n’est pas impossible  » autour de sa candidature aux européennes vient de là. Qu’on lui prête encore la volonté secrète de battre Nicolas Martin aux voix de préférence, ce qui est possible, voire de conserver le mayorat, ce qui est impraticable, sert encore sa cause. En politique, en effet, la mort survient aussitôt que l’ambition semble s’éteindre.

Mais si Elio Di Rupo a choisi de devenir député européen en 2019 parce qu’il ne pouvait plus être bourgmestre de Mons en 2018, ce n’est pas seulement parce qu’il avait dû devenir député européen en 1989 parce qu’il n’avait pas pu être bourgmestre de Mons en 1988. Guy Spitaels, à l’époque, lui avait offert ce siège pour éviter une guerre civile dans la fédération montoise. Trente ans après, Elio Di Rupo s’offre ce siège pour se passer d’une capitulation sans conditions et pour préserver ses positions. Mais aussi pour s’offrir de nouvelles conquêtes.

En 2014-2015 déjà en effet, le Montois avait lorgné la présidence du Parti des socialistes européens (PSE). Il avait l’appui tacite de son ami François Hollande. On ne savait pas alors pareil appui équipollent à déconfiture. L’Allemand Martin Schultz s’y opposa, et y promut le terne Bulgare Sergeï Stanishev. Or, à la fin de cette année, ce mandat sera remis en jeu. Ni François Hollande ni Martin Schultz n’y participent désormais plus. Le Parti socialiste belge francophone n’est pas loin d’être le membre le moins malade de cette famille politique en état de décomposition avancée. Et Elio Di Rupo, vice-président de l’Internationale socialiste et ancien chef de gouvernement, dispose là d’un profil pas loin de l’idéal et d’une constellation politique pas loin du favorable. Son intention de  » faire le tour des capitales européennes pour défendre le programme socialiste  » clamée le 4 mars au congrès de Bruxelles sonne comme un prétexte à campagne d’officines, pleine de repas discrets et de pactes secrets.

Comment coincer Paul Magnette

Mais l’affaire n’est pas uniquement étrangère, pour Elio Di Rupo. Elle est aussi intérieure, voire interne. Son dégagement contraint de Mons l’assure de conserver la présidence du parti jusqu’au terme prévu, 2019. Bien sûr, l’assurance avait déjà été souscrite au début de l’été, lorsqu’il pactisa avec les députés- bourgmestres contre Paul Magnette sur la question du décumul, que les premiers ne voulaient que financier et que le second exigeait intégral. Et si, après le coup de Benoît Lutgen, le bourgmestre de Charleroi envisagea un temps, successivement, de prendre une impossible présidence de parti, puis d’en fonder un improbable nouveau, il a rapidement ravalé ces incertaines velléités, et est rentré dans le rang. Il s’estime, pas sans légitimité, être le seul successeur plausible. Donc, Paul Magnette attend. Il attend que s’entendent la raison et le sentiment d’Elio Di Rupo. Il attend, temps suspendu entre l’espoir et la crainte. Il sait, au moins, qu’il mènera la liste socialiste aux législatives dans le Hainaut, et que, dans son arrondissement carolo désormais fusionné avec celui de Thuin, c’est Paul Furlan qui devrait tirer l’équipe socialiste. Mais il ne sait pas grand-chose d’autre, tous comptes faits.

En politique, la mort survient aussitôt que l’ambition semble s’éteindre

Car cette fois, en dehors des murs de Mons, et au-delà des frontières du Borinage, Elio Di Rupo a encore un peu le choix. Comme il garde toujours cet orgueil et une certaine maîtrise du temps, il pourra décider de ce que seront ces mois de campagne, entre les communales d’octobre 2018 et les législatives, régionales et européennes de mai 2019.

A Charleroi, semblant de rien, on espère un scénario montois à l’échelle nationale : celui de la blitzkrieg, cette guerre éclair qui casse les lignes adverses et assure d’une victoire surprise. Il verrait Elio Di Rupo, fraîchement désigné président des socialistes européens, céder anticipativement, fin 2018 – début 2019, la présidence des socialistes belges à Paul Magnette. Dans l’urgence, les puissants députés-bourgmestres laisseraient faire, remettant leur éventuel sursaut d’orgueil à après une éventuelle défaite en mai, voire à jamais après une éventuelle victoire.

Mais Charleroi redoute aussi cette année et demi qui vient parce qu’elle pourrait compromettre la succession alléguée. Elio Di Rupo, en effet, est désormais lancé dans ce qu’il fait le mieux : une campagne de terrain, pleine de selfies et de sourires. Depuis quelques semaines, il se remet à multiplier les apparitions dans tout le collège électoral francophone. Qu’il reste président jusqu’à 2019, avec une récolte historique de voix de préférence et un résultat pas trop piteux coincerait Paul Magnette. C’est alors Elio Di Rupo, comme en 2014, qui négocierait les éventuelles participations gouvernementales et les éventuelles désignations ministérielles, comme un testament politique dont Paul Magnette ne serait, au mieux, que l’exécuteur forcé.

On n’ignore pas non plus, à Charleroi où l’on s’est disputé avec une bonne moitié du parti, que dix-huit mois donnent le temps de construire une contre- candidature à une succession pas si bétonnée que ça. Parce qu’à l’échelon national, le rapport de force interne est aujourd’hui moins favorable à Paul Magnette qu’il ne l’était hier à l’échelon montois pour Nicolas Martin. Et que jamais l’orgueil d’Elio Di Rupo ne frappe si fort que lorsque sa raison sait que la force est de son côté.

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