Un dôme gigantesque qui joue de la lumière du soleil. © Roland Halbe

UNDER THE DOME

Présenté comme le premier grand musée universel du monde arabe, le Louvre Abu Dhabi, ouvert fin 2017, se positionne comme le musée du xxie siècle ouvert à tous. Visite guidée.

Quand on arrive à la pointe de l’île de Saadiyat où est situé le nouveau Louvre Abu Dhabi, rien ne laisse présager de l’ampleur du lieu. De l’extérieur apparaissent des bâtiments cubiques ou rectangulaires, aux façades aveugles et recouvertes d’un marbre à la blancheur immaculée, comme posés entre ciel et mer. Il faut passer le vaste accueil avant d’aboutir, quasi sans s’en apercevoir, sous la coupole géante qui identifie les lieux. L’éblouissement n’en est que plus surprenant : la coupole ne recouvre pas la totalité des 55 ( ! ) bâtiments qui constituent tout à la fois les grandes galeries de la collection permanente, celles des expositions temporaires, le musée des enfants, l’auditorium, le restaurant et le café du musée. Celui-ci s’ouvre sur la surface bleutée du Golfe persique qui entoure complètement le site et s’immisce même jusqu’au pied des gradins du théâtre à ciel ouvert. Il y a un aspect vénitien à tout cela, si ce n’est qu’au loin, les gratte-ciel d’Abu Dhabi se dessinent à l’horizon… C’est la magie du lieu conçu par Jean Nouvel : une esplanade ouverte aux vents de la lagune, aux variations de lumière selon les heures du jour, avec vue sur le port, le tout sous la structure envoûtante de ce dôme qui joue de la lumière du soleil – la réverbère, la caresse, dessine des ombres gigantesques à la tombée du jour sur les façades devenues écrans, avant de s’illuminer petit à petit la nuit venue et de donner un éclairage quasi fantastique sur cette médina moderne.

Le site est évidemment propice à la promenade et les visiteurs comme les touristes ne s’y trompent pas : on y entend parler toutes les langues, à l’image d’une nouvelle tour de Babel, à laquelle fait indirectement écho la monumentale sculpture en cristal Swarovski, La Fontaine de lumière, d’Ai Weiwei.  » Il est inhabituel, explique Jean Nouvel, de trouver dans la mer un archipel construit. Il n’est pas fréquent qu’il soit protégé par un parasol qui crée une pluie de lumière. C’est un projet basé sur un signe majeur de l’architecture arabe : la coupole. Mais ici la coupole est une proposition moderne par le décalage qu’elle affiche avec la tradition. C’est un lieu calme et complexe. Tout aussi extraordinaire est le fait que l’on puisse y accoster par bateau et trouver des pontons pour y accéder à pied depuis la côte.  » L’offre culturelle d’Abu Dhabi, qui en a fait un vecteur de son développement touristique haut de gamme, s’appuie aussi sur une architecture de qualité. Outre le Louvre, on attend l’ouverture prochaine d’un musée Guggenheim (conçu par Frank Gehry), d’un musée de la Mer (Tadao Ando), du musée national Sheikh Zayed (Norman Foster), sans oublier la Grande Mosquée qui, elle aussi, attire les foules. Culture et économie font ici excellent ménage, replaçant le jeune émirat au croisement de ces routes qui ont façonné naguère les relations entre l’Occident et l’Orient, par ailleurs un des fils conducteurs de la présentation des collections du musée.

Une scène globale

Il aura fallu dix ans pour mener à bien ce projet, né d’un accord gouvernemental signé entre Abu Dhabi et la France en 2007. Au carrefour des influences musulmanes, chrétiennes et hindouistes, la collection permanente du musée, officiellement ouvert le 11 novembre dernier, dresse un parcours universaliste de la création depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Le parcours met en exergue les croisements mutuels, ainsi que les centres d’intérêt similaires qui ont intéressé les artistes d’une époque à l’autre, à commencer par la représentation du pouvoir, comme les postures équestres au xviiie siècle. Ce récit de portée universelle s’appuie sur la volonté des deux parties d’incarner un esprit d’ouverture et de dialogue interculturel. Cette volonté se caractérise par la présentation d’oeuvres de différentes origines, civilisations et styles parfois explicitement côte à côte dans d’élégantes vitrines. Toutes possèdent une portée artistique, historique, culturelle, parfois religieuse ou sociologique majeure. On y découvre naturellement des oeuvres provenant du Louvre à Paris, et de plusieurs musées français mais aussi celles acquises par le Louvre Abu Dhabi dont l’importance des moyens laisse pantois (son budget d’acquisition annuel est de 40 millions d’euros), tout comme l’attrait qu’il exerce déjà auprès des collectionneurs privés, prêts à y mettre en dépôt des oeuvres de premier plan. Le Salvator Mundi de Léonard de Vinci, acquis par un prince saoudien pour le prix démesuré de 450 millions de dollars, viendra par exemple bientôt garnir les murs du musée, où il pourra dialoguer avec un autre Léonard, La Belle Ferronnière, en provenance de Paris celui-là.

En croisant les termes du contrat qui lie le Louvre Abu Dhabi avec celui de Paris et les échéances de prêts (ceux des expositions temporaires le sont pour quinze ans, les pièces pour dix ans, tandis que la marque  » Louvre  » l’est pour trente ans) avec l’appartenance des oeuvres exposées, on se rend assez rapidement compte que ce qui est présenté aujourd’hui risque de n’avoir plus rien à voir avec ce que l’on découvrira dans dix ans. Reste que la majorité des oeuvres actuelles de la section moderne appartient en propre au Louvre Abu Dhabi (dont une exceptionnelle salle à manger du décorateur français Ruhlmann et une superbe toile de Magritte), tout comme l’intégralité de la section contemporaine ambitieusement intitulée Une scène globale. On peut y découvrir des oeuvres magistrales de Cy Twombly, Yan Pei-Ming ou Ai Weiwei, sans compter plusieurs oeuvres pérennes intégrées dans les parties ouvertes du bâtiment et commandées à des artistes contemporains de renom tels Giuseppe Penone et Jenny Holzer. Au vu de tout cela, il ne fait aucun doute que le  » premier grand musée universel du monde arabe  » aura une influence bien au-delà de son aire géographique. Son fonctionnement et ses collections en feront indubitablement un des musées phares du xxie siècle à l’échelle internationale.

D’un Louvre à l’autre

Avec l’ambitieuse exposition temporaire présentée actuellement à Abu Dhabi, le Louvre se penche pour la première fois sur son histoire. On y rappelle qu’à ses débuts – à Versailles, sous Louis XIV – il s’agissait d’un musée contemporain passant des commandes aux artistes de l’époque. Il y est déjà question de mécénat et de pouvoir, de la promotion des artistes français, de salons, bref, de sujets toujours à l’ordre du jour. Viennent ensuite le déménagement au Louvre, l’étonnant soutien des révolutionnaires à cette ouverture, le rôle de Napoléon, le développement du musée au xixe siècle jusqu’à la configuration actuelle. On découvre ainsi – nombreux exemples et chefs-d’oeuvre à l’appui – la manière dont s’est constituée une des plus importantes collections publiques au monde.

A lire : D’un Louvre à l’autre. Ouvrir un musée pour tous, collectif, sous la direction de Jean-Luc Martinez et Juliette Trey, éd. Xavier Barral, 381 p. www.exb.fr

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