Le 22 juin 2007, Van Cau s'expliquait devant la presse sur le dossier Ifca-ISPPC, en pleine enquête judiciaire. © Jennifer Jacquemart/ISOPIX

ISPPC : un procès lourd de sens

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le pays de Charleroi à nouveau frappé en plein coeur par un scandale, alors qu’il sort à peine du précédent : le procès en appel de l’affaire Ifca-ISPPC vient de se terminer. Avec un arrêt en guise d’avertissement aux politiques.

Un nouveau scandale touche l’ISPPC ? Mais se souvient-on seulement de celui qui a ébranlé l’intercommunale de santé publique du pays de Charleroi, à l’époque où Jean-Claude Van Cauwenberghe était ministre-président wallon ? Ce premier dossier vient de connaître un nouveau développement judiciaire. Le 5 mai, la cour d’appel de Mons a rendu son arrêt dans l’affaire de corruption et de blanchiment des deux cambistes qui géraient le fonds de pension de l’intercommunale.

Un arrêt passé inaperçu, qui consacre pourtant une belle victoire du parquet général de Mons, et de l’avocat général Catherine Badot en particulier, qui suit le dossier depuis le début. Un pourvoi en cassation a cependant été introduit, le 17 mai, contre cet arrêt de la cour d’appel qui pourrait faire jurisprudence. Il faudra donc encore attendre la décision de la haute cour pour mettre un point final à cette saga.

On se souvient qu’en 2000, Daniel Wautelet et Raymond Thibeau, les deux administrateurs de la société de consultance Ifca, avaient hérité de la gestion des réserves de pension de l’ISPPC, soit un patrimoine de plus de 35 millions d’euros. Cette petite entreprise avait curieusement été préférée au gestionnaire habituel, le géant Dexia. Wautelet et Thibeau s’occupaient de placements, mais aussi de crédits pour des institutions comme la Société wallonne du logement (SWL), qui sera d’ailleurs poursuivie dans ce dossier, et la Société wallonne du crédit social (SWCS). Les deux experts financiers travaillaient, en outre, pour la Région wallonne et la Communauté française, auxquelles ils offraient leurs services de consultance, depuis le milieu des années 1990, sans qu’aucune mise en concurrence n’ait été organisée. A l’époque, les règles en la matière étaient plus floues qu’aujourd’hui.

L’enquête judiciaire a démarré en 2006, à la suite des informations provenant des syndicats CGSP et SLFP sur la gestion du fonds de pension de l’ISPPC qui avait fait l’objet de placements dans des paniers d’actions boursières à risque. En remontant le fil, les enquêteurs ont découvert qu’il s’agissait de produits de la Société générale de Paris qui, en contrepartie, versait d’énormes commissions à Wautelet et Thibeau, en tant qu’apporteurs d’affaires, alors que ceux-ci étaient, par ailleurs, rémunérés par l’ISPPC. Les associés cambistes jouaient sur les deux tableaux, public et privé.

La justice n’a pu établir de complicité de responsables wallons

Ces commissions passaient par la société offshore Great Mandarin, enregistrée aux Bahamas, qui détenait un compte au Crédit Suisse de Genève. Sur ces comptes genevois arrivaient aussi des sommes importantes depuis la Compagnie Benjamin de Rothschild (CBR), en Suisse, spécialisée dans la gestion des risques financiers. Il s’agissait encore de plantureuses commissions, non plus, cette fois, pour des placements, mais pour des crédits octroyés à la SWL et la SWCS.

Au total, toutes ces commissions dépassaient les 4 millions d’euros. C’était tellement énorme que la juge d’instruction France Baekelandt, qui menait l’enquête, a cherché à savoir s’il n’y avait pas eu des rétrocommissions à destination d’un ou plusieurs responsables à la Région wallonne. Van Cau a été entendu par la juge. L’homme fort de Charleroi avait placé des hommes de confiance à tous les étages de l’ISPPC, lesquels avaient décidé des orientations de gestion pour le fonds de pension. C’est lui ou ses proches conseillers qui avaient engagé l’Ifca. En outre, Wautelet et Thibeau travaillaient pour la Région, notamment pour le cabinet du ministre-président socialiste. Mais les responsables wallons ont affirmé qu’ils n’étaient au courant de rien. Les enquêteurs n’ont pu trouver la trace d’une quelconque complicité. Ils n’ont pas réussi non plus à suivre tous les mouvements de fonds depuis la Suisse vers le Luxembourg et d’autres paradis fiscaux, à travers des constructions financières ultrasophistiquées.

Cambistes de service public

La justice a tout de même pu saisir 716 000 euros sur le compte bancaire de l’Ifca et plus d’1,1 million d’euros restés entre les mains de la CBR, que Wautelet et Thibeau avaient préféré ne pas se voir verser à la suite des articles publiés sur l’affaire par Philippe Engels dans Le Vif/L’Express. De manière remarquable, les autorités suisses ont non seulement exécuté la saisie des fonds dans le cadre de la commission rogatoire belge, mais elles ont aussi transféré les fonds vers la Belgique, à l’Office central pour la saisie et la confiscation (OCSC).

L’année dernière, le tribunal correctionnel de Charleroi a jugé Thibeau, Wautelet et la SWL, sur la base des préventions de corruption et de blanchiment. La SWL a été acquittée. Les deux financiers – dont l’un a disparu dans la nature – ont été reconnus coupables de blanchiment mais pas de corruption, car le juge s’est rangé aux arguments de leurs avocats qui estimaient que leurs clients n’étaient pas des fonctionnaires et que les commissions reçues des banques ne pouvaient dès lors être considérées comme de la corruption. L’argent saisi a toutefois été confisqué comme étant le résultat du blanchiment d’une fraude fiscale (les millions ayant été placés dans des paradis fiscaux), avec une motivation un peu boiteuse vu que, normalement, on ne peut saisir que l’avantage patrimonial de la fraude.

Moins d’un an après ce jugement, la cour d’appel de Mons n’a pas traîné pour rendre son arrêt, évitant ainsi la prescription. Cette fois, le juge a retenu la prévention de corruption, estimant, à l’instar du parquet général, que les deux cambistes avaient assuré une mission de service public. Il s’est contenté d’une simple déclaration de culpabilité en raison du délai raisonnable. Mais, et c’est le plus intéressant, sa décision fera jurisprudence pour le monde des consultants et experts privés travaillant pour une autorité publique, notamment un cabinet ministériel. La cour a aussi prononcé la confiscation des sommes saisies, soit plus d’1,8 million d’euros, ainsi qu’une confiscation par équivalent de sommes qui n’ont pu être saisies, à hauteur de 1,2 million, soit davantage qu’en première instance. Cet arrêt résonne donc comme un avertissement. On attend bien sûr encore la décision de la Cour de cassation.

Cela dit, par la force des choses, la justice a épargné les responsables politiques, dans ce dossier ISPPC. Un temps inquiété par l’enquête, Van Cau a nié avoir joué un rôle dans le choix surprenant de l’Ifca, en 2000. Mais, au Vif/L’Express, en 2007, le patron de l’Ifca avait pointé Jean-Pol Avaux, secrétaire de cabinet de Van Cau à la Région, nommé conseiller financier de l’ISPPC alors qu’il n’en avait pas le profil. Celui-ci a, lui aussi, été cuisiné par les enquêteurs. En vain. Aujourd’hui, Avaux, conseiller au cabinet du ministre Marcourt, siège au… comité d’audit de l’ISPPC, un comité très politisé alors qu’il est censé être indépendant. Une histoire bien wallonne.

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