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Trump, dynamiteur du commerce mondial

Le Vif

Derrière ses attaques contre la Chine, le président américain souhaite paralyser l’Organisation mondiale du commerce.

Le clin d’oeil a valeur de symbole. Pour rejoindre le siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève, il faut partir de la place des Nations et descendre la longue avenue de la Paix. Tout au bout, au milieu d’une vaste étendue herbeuse, un grand bâtiment rectangulaire, sorte de monolithe gris, borde le lac Léman. Derrière ces hauts murs logent les arbitres du commerce international. Ce sont eux qui fixent les règles des échanges commerciaux et s’assurent de leur respect. Ces derniers temps, ils n’ont pas chômé. Il faut dire que le sifflement des balles a remplacé le gazouillis du  » doux commerce  » cher à Montesquieu.

Alors que Donald Trump laissait planer la menace d’une guerre commerciale depuis des mois, il est passé à l’offensive ce printemps. Depuis le 8 mars dernier, date à laquelle les Etats-Unis ont décidé d’une surtaxe de 25 % sur leurs importations d’acier et de 10 % sur celles de l’aluminium – exemptant momentanément l’Europe et le Canada -, la planète économique vibre au gré des annonces de la Maison-Blanche. Et des ripostes quasi instantanées de la Chine, premier pays visé par ces attaques. Soja américain contre composants électroniques chinois ; avions Boeing contre machines-outils et panneaux solaires made in China. Si toutes les nouvelles surtaxes douanières entrent en vigueur, le montant cumulé des produits visés par les deux pays pourrait atteindre 200 milliards de dollars, soit quasiment le tiers des échanges commerciaux bilatéraux entre les deux géants. Dans ce jeu de poker, Pékin a même brandi en début de semaine l’arme d’une dévaluation du yuan, la devise du pays, au risque de relancer une guerre mondiale des monnaies, tout en promettant une plus grande ouverture du marché chinois.

L’administration Trump est persuadée que l’OMC est antiaméricaine

Jusqu’où peut aller cette surenchère ?  » Trump et son administration n’ont pas vraiment de plan de sortie, notamment dans le conflit qui les oppose à la Chine. Leur seul objectif clairement défini à terme, c’est de dynamiter les règles du commerce mondial « , décrypte Richard Baldwin, un économiste américain chargé des questions de commerce à la Maison-Blanche sous la première administration Bush.

Derrière les attaques contre la Chine, la Corée ou même l’Europe, une institution est sur la sellette. L’Organisation mondiale du commerce, une  » jeunette  » de 23 ans. Son rôle ? Encadrer les relations commerciales entre pays et régler les conflits quand ils apparaissent. Avec, en creux, un principe intangible : aucun pays ne peut se faire justice lui-même. Sauf que les Etats-Unis, qui ont ardemment oeuvré à la naissance de l’OMC en 1995, surfant sur la vague de la mondialisation heureuse, sont bien décidés à en changer le fonctionnement. Quitte à en claquer la porte.  » L’administration Trump est persuadée que l’OMC est antiaméricaine « , explique Philippe Martin, le président du Centre d’analyse économique et professeur à Sciences po Paris.  » Nous sommes mal représentés. L’OMC est inéquitable envers les Etats-Unis « , tweetait, vendredi 6 avril, le président américain. Si sa charge est aussi violente, c’est parce que le tic-tac de l’agenda politique résonne à ses oreilles. A quelques mois des élections de mi-mandat, à l’automne prochain, Trump est en campagne. En se présentant comme le protecteur des sidérurgistes américains, il entend bien caresser dans le sens du poil les électeurs des fameux swing states, ces Etats de la Rust Belt – la  » ceinture de la rouille  » – qui ont quitté le camp démocrate pour se réfugier chez les républicains. Un coup qu’avait bien tenté, au début des années 2000, un autre président américain, Bush Junior, lors de la  » première guerre de l’acier « . Sauf qu’il avait été rattrapé et sanctionné par la patrouille de l’OMC.

Derrière la guerre commerciale, un agenda politique. Trump soigne son électorat à quelques mois des élections de mi-mandat.
Derrière la guerre commerciale, un agenda politique. Trump soigne son électorat à quelques mois des élections de mi-mandat.© V. CARVALHO/BRAZIL PHOTO PRESS/AFP – SOURCE : MACROBOND.

Alors, pour ne pas risquer d’être épinglé et sanctionné par l’OMC, Trump compte bien la paralyser. Comment ? En bloquant tout simplement son fonctionnement. Depuis des mois, les Etats-Unis s’opposent à la nomination de trois des sept juges à l’organe d’appel de l’OMC, une sorte de tribunal des conflits.  » En septembre prochain, un quatrième juge arrivera au terme de son mandat. S’il n’est pas remplacé, l’OMC sera tout bonnement dans le coma « , prévient Habib Gherari, professeur à l’université d’Aix-Marseille.

Et si Trump n’avait pas complètement tort dans ses critiques adressées à l’OMC ? Un homme en partage certaines. Et il n’a rien d’un dangereux suppôt du protectionnisme. Pascal Lamy, ancien président de l’OMC, ne mâche pas ses mots.  » Entre 2001, date de l’entrée de la Chine dans l’Organisation, et aujourd’hui, les règles de fonctionnement n’ont pas bougé. Elles ont besoin d’un sérieux toilettage « , soutient celui qui fut aussi commissaire européen au commerce.

Une Europe incapable de parler d’une seule voix

La machine OMC est cabossée. Elle s’est finalement révélée assez faible pour traiter la question des aides d’Etat, ces subventions déguisées qui ont permis à des groupes chinois de grossir très vite et de partir à l’assaut des marchés étrangers avec pas mal de billes en poche. Elle s’est ensuite enferrée dans des modes de calcul ubuesques pour prouver l’existence de pratiques de dumping. Résultat, l’industrie européenne du photovoltaïque a été laminée par l’arrivée massive de panneaux solaires chinois vendus presque à perte. Enfin, l’OMC n’est pas armée pour sanctionner les violations de droits de propriété. Une des principales attaques des Etats-Unis contre la Chine.

 » Le vrai problème de la Chine, n’est pas son excédent commercial, mais son manque de réciprocité, notamment sur le traitement des investisseurs étrangers « , reconnaît Yuan Ding, professeur à la CEIBS (China Europe International Business School). Pour Trump, la seule façon de faire bouger les lignes, c’est d’instaurer un rapport de force et de sortir du multilatéralisme  » mou  » de l’OMC.  » Un duel de cow-boys dans lequel l’économie américaine pourra peser de tout son poids « , analyse Sébastien Jean, le directeur du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), à Paris.

Ce changement de cap dans les relations commerciales n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’Union européenne.  » L’Europe n’est pas un Etat, et, sur beaucoup de sujets, elle est incapable de parler d’une seule voix « , poursuit Sébastien Jean. Difficile alors d’assumer le rapport de force quand on avance divisés.  » Le vrai danger, c’est que la Chine et les Etats-Unis s’entendent sur le dos des autres. Une sorte de paix négociée avec, à la clé, quelques achats supplémentaires d’avions Boeing pour réduire le déficit commercial américain. Que pourra alors répondre Airbus si l’OMC a été dynamitée ?  » s’interroge Philippe Martin. L’Europe serait alors le dindon du commerce mondial.

Par Béatrice Mathieu.

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