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Tel esprit qui croyait prendre

Où il est question d’un rugissant fantôme, de chagrin réjoui et d’un grand journaliste belge, décédé récemment, qui a pris ses quartiers définitifs au café Geyser : Luc Delfosse.

Personne ne croit plus aux fantômes. Tout le monde se contente d’en avoir peur. Quelle idée… On traverse le cauchemar de la vie, en claquant des dents devant l’au-delà, sans se rendre compte que les vrais tourmenteurs sont parmi nous. Bien vivants. Gonflés de chair teigneuse : la foule fanatisée, le monstre humain au coeur de glace, la baroque sottise politicienne, la crapule terroriste, l’égrégore imbécile. C’est fondamentalement tragique.

Qu’on y croit ou pas, le fait est que le café en a un sur les bras, de fantôme. Un grand. Un robuste. Un vociférant. Un sans-gêne, qui est venu avec sa jument crevée : un cheval de trait ; Bertha, qu’elle s’appelle. Bon sang, ça en fait un de ramdam de tous les diables, dans le grenier, où ils se sont installés, ces deux-là. Au début, faut être honnête, les clients ont un peu rouspété. Et puis, à force, ils se sont habitués.

Fin octobre, le caractère brusque et irrationnel de la mort de Luc Delfosse a laissé le monde sur sa faim. Quelle idée aussi d’aller mourir en pyjama, sans même avoir terminé sa partie de scrabble. Du coup, on ne saura jamais qui a gagné. C’est ennuyeux jusqu’à l’extrême. En même temps, on est toujours déçu par les décès. En vrai, on aimerait leur fabriquer une fin excitante, à ceux qu’on aime. Un truc qui claque.

Toujours est-il qu’une fois qu’il a été mort, Luc a souplement contourné la bizarrerie de la situation et il s’en est venu, ici, bien tranquillement, prendre une bière, au café. Satisfait de l’ambiance, il a emménagé. Dont acte. On lui a accordé, en silence, cet inespéré renouveau, transparent et tiède, comme de la buée. Luc a apprécié. Fallait le voir : majestueusement cool. Un tendre bourru. L’irrévérence saltimbanque. Plus beau que ça, tu meurs.

L’autre jour, Charles Michel est venu boire un coup. C’était un après-midi joyeux.  » Ah, foutre alors. Vous êtes revenu… ! « qu’il a dit, Charles, quand il a aperçu notre fantôme. Ces mots-là eurent le même effet sur Luc que des semences répandues sur une terre fraîchement labourée par sa jument. Fallait voir comment le fantôme lui a couru après, au Charles, en le traitant de tous les noms, de couillon, de minable, d’imbécile, de crétin, de moins que rien, de petit chauve. La grosse Bertha le suivait dans un tourbillon de hennissements.

Comme souvent, Luc s’est énervé. Pour être honnête, il avait même un peu l’air des vieux cons des neiges d’antan, comme le chantait Brassens. Sauf que Luc, c’est le genre à vous sortir :  » Z’êtes malades, ou quoi ? Moi, j’en n’ai rien à foutre d’être enterré à la plage de Sète. Je préfère rester à Bruxelles, bien peinard, à rigoler des imbéciles.  »

Certes, on ne trouve pas forcément l’avenir au bout de son cercueil. N’empêche qu’on l’a tous vu : il a ri, Luc, ce jour-là. Et tant qu’on rit, et tant qu’on fait rire, on n’est pas mort. Pas tout à fait.

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film, qui va démarrer à 20h15, sur la Une…

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