Dans Pinocchio, Joël Pommerat pointe les paradoxes de l'éducation. © PATRICK BERGER

Tchao Pantin

Pour sa rentrée, le duo Boesmans-Pommerat présente, à la Monnaie, un formidable Pinocchio, démonstration que l’humanité ne s’acquiert pas à la naissance, mais tout au long de l’existence. Troublant.

Il n’est même pas encore né d’un tronc d’arbre qu’il vocifère déjà ses premières récriminations, derrière les cuivres parodiant le son d’une effroyable tronçonneuse :  » T’as de l’eau de vaisselle dans les tuyaux ou quoi ? T’es vieux, t’es pauvre, c’est la meilleure ! « , lance-t-il à son pauvre papa. Donc, on le déteste d’emblée, ce gamin tyrannique, hyperkinétique, affublé d’un hoodie noir comme le tueur de Scream, et on est bien content, finalement, qu’un tas de misères l’accablent. Mais les sentiments, avec Joël Pommerat, ne sont jamais carrés. Le dramaturge français, qui ne met en scène que ses propres textes – ici, une version lyrique de son adaptation théâtrale, datant de 2008, des Aventures de Pinocchio de Collodi (1883) -, explore avec une telle justesse l’ambivalence de la marionnette, et sa marche chaotique vers l’âge adulte, qu’on finit par chérir cette tête de bois rebelle, égocentrique, matérialiste et vantarde. Peut-être parce que nous connaissons déjà la chanson – se frotter aux autres, et prendre de temps en temps leurs coups, pour saisir qu’on ne naît pas libre et humain, mais qu’on le devient. D’ailleurs, Pommerat met le doigt pile où ça fait mal, en montrant le paradoxe de l’éducation,  » qui est d’accepter qu’une contrainte puisse être nécessaire pour mieux construire son émancipation.  »

Sur mesure

Ce récit initiatique sans vrais bons ni vrais méchants s’appuie sur la musique extraordinaire de Philippe Boesmans. A 81 ans, le compositeur belge livre son huitième opéra : sous la baguette de Patrick Davin, l’orchestre symphonique réduit à dix-neuf solistes et la présence, sur scène, de trois musiciens improvisateurs déroulent les grandes étapes du parcours de Pinocchio, en déclinant déclamation parlée, Sprechgesang et chant. Comme à son habitude, Boesmans joue avec les archétypes du genre, bariolant son discours de réminiscences malicieuses. Comme il a écrit  » sur mesure  » pour les six chanteurs, le résultat est bluffant – en particulier la soprano Marie-Eve Munger, fée colorature géante et vaporeuse, et le baryton français Stéphane Degout, à la fois directeur de la troupe et du cirque, premier escroc, deuxième meurtrier et… excellent en tout.

Avant de revenir à des dispositions plus studieuses, Pinocchio fait ainsi l’expérience de la tromperie et de l’injustice, de la honte et de la violence : ainsi, des lapins blancs aux oreilles de Ku Klux Klan le laissent pour mort au bout d’une corde. Tous les personnages de Pommerat sont étrangissimes et truffés de contradictions. Et pour ne pas spoiler la fête, on ne dira rien des scènes d’école et de la baleine, qui achèvent presque de faire du pantin le plus sympathique des galopins…

Pinocchio, de Philippe Boesmans, à la Monnaie, à Bruxelles jusqu’au 16 septembre. www.lamonnaie.be

Par Valérie Colin

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