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Comment les pneus deviennent de véritables bijoux technologiques

Le Vif

Il est rond, noir, banal et sa fonction n’a pas évolué depuis son invention en 1845. Pas vraiment le genre à casser la baraque sur un Salon dédié à l’innovation. Et pourtant, la star du prochain Consumer Electronics Show (CES), à Las Vegas, pourrait bien être… un pneu.

Connecté, imprimé en 3D ou à moitié végétal… Les fabricants débordent d’idées pour transformer cet objet courant en bijou de technologie.  » Le grand public n’y prête guère attention, mais le pneu se pare régulièrement de fonctions nouvelles « , confirme Percy Lemaire, directeur de la technologie chez Goodyear. Pour preuve, la firme américaine planche depuis quelques mois sur une gomme à sustentation magnétique !

Comment les pneus deviennent de véritables bijoux technologiques
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Comme souvent en matière d’innovation routière, c’est la course automobile qui sert de laboratoire. Les 24 Heures du Mans, par exemple, offrent aux grands constructeurs un terrain de jeu unique pour tester leurs idées.  » Dans ce genre d’épreuves, il faut être rapide, fiable et durer longtemps. Pour nous, ces trois conditions extrêmes sont très intéressantes « , explique Pascal Couasnon, directeur de Michelin Motorsport. Cette année encore, le groupe français équipait une bonne partie des bolides alignés pour la célèbre course. Au point d’acheminer, depuis son usine de Clermont-Ferrand, plusieurs milliers de gommes triées sur le volet dans les stands.  » Sur le circuit de la Sarthe, un même train de pneus doit pouvoir durer 500 ou 600 kilomètres et résister à une vitesse moyenne de 200 kilomètres-heure. Il doit pouvoir fonctionner par tous les temps et encaisser des températures extrêmes « , précise Pascal Couasnon. C’est pourquoi l’intérieur du pneu ressemble désormais à un millefeuille technologique. On y trouve des câbles métalliques, du textile industriel, de la gomme, des fils d’acier.  » Au total, nous avons plus de 200 composants sur lesquels les ingénieurs travaillent, détaille-t-il encore. L’innovation ne s’arrête jamais.  » Au fil du temps, les câbles deviennent plus fins, plus résistants.  » Pour avoir une meilleure adhérence quand il fait froid, on greffe des molécules sur la gomme, comme s’il s’agissait d’une opération chirurgicale !  » Ces innovations font le bonheur des pilotes de course. Mais pas seulement, car une partie d’entre elles finit par se diffuser dans l’automobile de M. Tout-le-Monde.  » Si vous regardez le marché des véhicules neufs, la tendance est au pneu de grande taille relativement fin, afin de réduire la résistance au roulement et la consommation de carburant « , constate Percy Lemaire. Une configuration testée depuis longtemps lors des courses d’endurance. Le dernier modèle de la Scenic de Renault, par exemple, est équipé de ce nouveau type de gomme. Idem pour le SUV électrique de Volkswagen, l’ID Crozz II, dont la mise sur le marché est prévue pour 2020.

Goodyear planche sur des concepts de pneus futuristes. Parmi eux, l'Eagle 360, une sphère maintenue sous la voiture grâce à des électroaimants.
Goodyear planche sur des concepts de pneus futuristes. Parmi eux, l’Eagle 360, une sphère maintenue sous la voiture grâce à des électroaimants.© photos : dr

Des pneus qui se régénèrent

Tous les types de véhicules roulants profitent des expérimentations de Michelin sur les pistes.  » A commencer par les poids lourds, dont 25 % de la consommation de carburant provient des frottements du pneu sur la route « , signale Agnès Poulbot, mathématicienne spécialisée en modélisation 3D au campus recherche et développement de Michelin, à Ladoux (Puy-de-Dôme). Cette chercheuse qui, avec son collègue Jacques Barraud, vient de voir ses travaux couronnés par le prix européen de l’innovation, a mis au point un pneu doté d’une bande de roulement étonnante. Au fil des kilomètres, les couches usées disparaissent et sont remplacées par des neuves, comme si la roue se régénérait toute seule ! D’après les calculs des scientifiques, la durée de vie de ce pneu augmente ainsi de 20 %, et la consommation de carburant diminue d’un litre tous les 100 kilomètres.  » Pour un camion qui parcourt 100 000 kilomètres par an, cela représente une économie de 1 000 litres, soit plus de 1 000 euros. Cela devient intéressant financièrement « , souligne Agnès Poulbot qui, non contente de donner de la durabilité aux pneus, réfléchit désormais à les rendre moins bruyants.

Les concurrents de Michelin poursuivent eux aussi leurs expérimentations en laboratoire.  » Nous travaillons sur des matériaux d’origine non minérale afin de réduire l’impact sur l’environnement « , confirme Percy Lemaire. Goodyear développe, par exemple, de la silice – l’un des ingrédients de la gomme – à base de cendre d’écorce de riz. Et au lieu d’utiliser les huiles dérivées du pétrole pour fabriquer ses bandes de roulement, le groupe se sert, dans certains cas, d’huiles végétales tirées du soja. Autre tendance forte, les pneus deviennent connectés. Chez Pirelli, ils intègrent déjà de discrets capteurs, capables de remonter des informations très précises dans la voiture : température, pression, taux d’usure, charge verticale, nombre de kilomètres parcourus. Chez Goodyear, les ingénieurs tentent de pousser le concept encore plus loin en élaborant des capteurs qui évalueront l’adhérence de la route. Cette technologie ne sera pas commercialisée immédiatement, mais elle pourrait coïncider avec l’arrivée sur nos routes de véhicules autonomes. Car, demain, les passagers ne se préoccuperont plus de l’état des pneus ni de celui de la route : l’électronique s’en chargera à leur place. Dans un futur pas si lointain, les pneus pourraient même changer de couleur et de forme. Michelin, par exemple, imagine une structure alvéolaire ultrarésistante inspirée du corail et extrêmement pratique : il sera possible de réparer les parties abîmées de la bande de roulement sans descendre de son véhicule ! L’opération nécessitera juste un arrêt de quelques instants dans une station-service équipée d’imprimantes 3D. Pour cette roue sans air, biodégradable et increvable, Bibendum a déjà déposé 19 brevets.

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Propulsé dans un film d’anticipation

Plus avant-gardiste encore, Goodyear travaille sur un pneu qui produit de l’oxygène en roulant.  » Nos ingénieurs ont intégré un élément végétal dans la structure creuse de la roue « , confie Percy Lemaire. Cette mousse, capable de survivre dans des conditions extrêmes, utilise l’eau, la lumière et les substances minérales qu’elle reçoit au contact de la route pour se nourrir. Comme toutes les plantes, elle absorbe le CO2 présent dans l’air et libère de l’oxygène par photosynthèse. Mieux : l’énergie chimique produite par le végétal est transformée en énergie électrique qui, en théorie, peut alimenter l’éclairage de la voiture ou les capteurs présents dans la roue. Selon les projections du manufacturier américain, dans une ville de la taille de Paris, l’utilisation de ce pneu à grande échelle permettrait de produire près de 3 000 tonnes d’oxygène et d’absorber plus de 4 000 tonnes de dioxyde de carbone par an. Utopiste ?  » Certes, les idées de nos ingénieurs ne seront pas commercialisées tout de suite, mais elles restent plausibles « , assure Percy Lemaire.  » Il y a trois ou quatre ans, on pouvait se poser la même question à propos des pneus connectés mais, aujourd’hui, cette technologie est bien développée « , poursuit l’expert.

Pour Goodyear comme pour ses concurrents, il faut en permanence voir plus loin et explorer un maximum de pistes, quitte à se montrer très futuriste. Son concept de roue sphérique, par exemple, nous propulse directement dans un film d’anticipation. Baptisé  » Eagle 360 « , ce pneu permet à la voiture de se mouvoir dans toutes les directions – pratique pour les créneaux – ou d’effectuer un demi-tour sur place. Il n’est pas relié au véhicule de manière mécanique, mais grâce à un système de lévitation magnétique : des électroaimants se chargent de maintenir un espace entre la carrosserie et la roue. Une technologie qui s’inspire des trains Maglev, en circulation en Chine et au Japon, mais aussi des… éponges sous-marines. Sa texture innovante absorbe l’eau quand le pneu se trouve en contact avec la route et l’évacue ensuite par la force centrifuge, réduisant d’autant le risque d’aquaplaning. Un concentré de technologie qui pourrait dérouter. Mais pas de panique. Lorsqu’il entrera en service, c’est sans doute l’intelligence artificielle (IA) qui nous conduira. Les capteurs l’informeront en temps réel de la position du véhicule. L’IA n’aura plus alors qu’à tracer la meilleure trajectoire… et à mettre la gomme.

Par Sébastien Julian.

Les piétons en roue libre aussi

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Les fabricants de pneus ne se focalisent pas uniquement sur les véhicules. Ils s’intéressent aussi aux piétons. Le sud-coréen Hankook, en collaboration avec l’université de Cincinnati, imagine déjà des solutions innovantes pour faciliter nos trajets dans les villes du futur. Cinq concepts sont à l’étude. Parmi eux, Magfloat (photo), une planche sans roulettes, équipée d’un générateur de champs magnétiques ; ou encore Flexup, une roue électrique évoluée, qui escalade les escaliers grâce à ses rayons rétractables. Mais le projet le plus étonnant se nomme  » Ball Pin Tyre « ). Ce module en forme d’oeuf se penche vers l’avant pour se mouvoir. Il est équipé d’un pneu sphérique afin de pivoter dans tous les sens. Ainsi le pilote peut prendre des virages à angle droit ou slalomer facilement entre les obstacles.

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