Sport sans douleur des ombres au tableau

Nombre de sportifs ont volontiers recours aux antidouleurs… et ce souvent à titre préventif, pour éviter de trop subir a posteriori le contrecoup d’un effort important. Pourtant, la prudence est de mise, car cette pratique n’a vraiment pas que de bons côtés !

Au cours de la dernière Coupe du Monde de football, au Brésil, près de 67 % des joueurs avaient besoin de prendre des antalgiques pour pouvoir jouer (1)… et parmi les marathoniens et les coureurs d’ultrafond, cette proportion pourrait atteindre 75 % (2) ! Même les amateurs sont 60 % à prendre des médicaments de ce type (3), et il semblerait que cette habitude débute dès l’adolescence. Jiri Dvorak, ancien médecin-chef de la Fédération Internationale de Football (Fifa), a pourtant déjà mis en garde contre les conséquences potentiellement létales de l’abus d’antalgiques… (4)

Problèmes imprévisibles

Comme leur nom l’indique, les antalgiques ou antidouleurs sont destinés à apaiser la douleur. Est-ce toutefois toujours souhaitable ? Pas en présence d’une lésion mal rétablie ou de dommages liés à l’entraînement, en tout cas ! La douleur est en effet un important signal qui nous rappelle que le muscle, l’articulation ou le tendon lésé ou sur-sollicité a encore besoin d’un (relatif) repos. Les athlètes qui prennent des antalgiques pour ne pas devoir s’arrêter à cause d’une lésion légère courent donc le risque d’aggraver la situation, voire de compromettre leur carrière ! On ne le répètera jamais assez : que vous soyez amateur ou professionnel, continuer coûte que coûte malgré la souffrance mène droit dans l’impasse. Être conscient de sa vulnérabilité est en effet essentiel pour développer une activité sportive durable… Pour limiter le plus possible le risque de surentraînement et de lésions de surcharge, il faut avant tout très bien écouter son corps, ce qui est évidemment très difficile lorsque ses signaux sont masqués par la prise d’antalgiques.

Cet abus de médicaments contre la douleur est vraisemblablement alimenté par un malentendu qui a la vie dure – l’idée qu’il faudrait toujours, pour développer sa condition de façon optimale, s’entraîner le plus longtemps et le plus intensivement possible. C’est faux : c’est justement la meilleure manière de léser ses muscles et autres tissus, sans compter que la fatigue et la perte de contrôle augmentent le risque d’accidents et de lésions.

Par ailleurs, les antidouleurs peuvent être à l’origine de douleurs !

Troubles gastro-intestinaux. On songe par exemple aux ulcères et saignements gastriques, qui sont favorisés par les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou AINS tels que l’aspirine, l’ibuprofène, le diclofénac, le naproxène ou le kétoprofène. Combiner ces produits avec la pratique d’un sport d’endurance est donc une très mauvaise idée, car ces disciplines malmènent déjà en soi l’estomac et les intestins – en partie parce qu’elles rendent la muqueuse plus sensible aux anti-inflammatoires en détournant la circulation sanguine du système digestif (5). Mais aussi parce que la déshydratation affaiblit encore la fonction barrière de cette muqueuse (6).

Dommages rénaux. Ils ne sont déjà pas rares en cas d’efforts prolongés et il semblerait que le risque soit en outre multiplié par deux par la prise d’ibuprofène. C’est en tout cas la conclusion d’une expérience réalisée il y a peu chez des coureurs d’ultrafond (2) : des signes de dommages rénaux aigus ont été observés chez 1 athlète sur 6. Il est vraisemblable que ce risque se retrouve également dans d’autres disciplines d’endurance, mais on ignore par contre ce qu’il en est d’autres types d’activités sportives. Si le problème disparait le plus souvent de lui-même après quelques jours, des hospitalisations pour cause d’insuffisance rénale chez des coureurs d’endurance ne sont pas exceptionnelles. Le problème découle probablement de la combinaison d’une hydratation insuffisante et d’un afflux massif de déchets dans les reins sous l’effet de dommages musculaires importants. Lorsqu’un antidouleur est nécessaire, le paracétamol semble offrir ici une alternative plus sûre.

Sabotage

Les antalgiques anti-inflammatoires sont utilisés de longue date dans l’idée que les réactions inflammatoires déclenchées par l’activité physique sont néfastes au rétablissement, et que l’inhibition médicamenteuse de ces réactions négatives n’aurait donc que des avantages. La réalité n’est toutefois pas si simple, car il existe aussi de bonnes raisons de ne pas associer anti-inflammatoires et pratique sportive, même chez des sujets normaux et en bonne santé. Nos muscles contiennent en effet une foule de cellules satellites prêtes à entrer en action à tout moment pour fabriquer de nouveaux tissus, que ce soit pour réparer un éventuel dommage ou pour renforcer le muscle… et les anti-inflammatoires inhibent justement le mécanisme qui active ces cellules-souches dormantes (7). Ils perturbent ainsi le rétablissement des éventuelles lésions et semblent même freiner le développement de la force musculaire, même si on ignore encore quel est l’impact de ce mécanisme sur le long terme. Certaines études laissent entendre que les risques seraient relativement limités, mais la question n’a pas encore été étudiée de manière approfondie et une certaine prudence reste donc de mise (8).

De faux espoirs

Le possible effet stimulant des antalgiques sur les prestations a aussi fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Le débat porte évidemment surtout sur les antalgiques puissants dérivés de l’opium (tramadol, fentanyl, oxycodone). Certains sont convaincus qu’ils ont un effet, d’autres affirment le contraire, mais force est bien de constater qu’il n’existe actuellement de preuves scientifiques convaincantes ni dans un sens ni dans l’autre.

Soulignons par ailleurs que les milieux cyclistes attribuent volontiers les chutes à l’abus de médicaments antalgiques, qui émousseraient la vigilance et les réflexes des coureurs… mais là encore, cela reste à démontrer.

Enfin, les sportifs qui espèrent un peu naïvement que les anti-inflammatoires leur assureront une récupération sans douleur après un entraînement ou un match en seront pour leurs frais : cela ne marche qu’à condition de continuer à prendre ces produits jusqu’à disparition complète des plaintes, ce qui n’est pas franchement à recommander.

Bien sûr, ces réserves ne s’appliquent pas à tous ni en toutes circonstances. La prise d’antalgiques est parfois tout à fait justifiée, notamment en cas de plaintes articulaires chroniques, de rhumatismes ou d’autres maladies qui, en l’absence de médicaments, empêchent pratiquement le patient de bouger.

références www.bodytalk.be

Texte Jan Etienne

« L’inhibition des plaintes par un traitement antalgique peut masquer des développements qui, à terme, peuvent s’avérer extrêmement dommageables. » Jiri Dvorak, FIFA 2012″Les milieux cyclistes attribuent volontiers les chutes à l’abus de médicaments antalgiques. »

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