29 septembre 1984 : le dernier charbonnage de Wallonie ferme ses portes à Farciennes, près de Charleroi. © BELGAIMAGE

Va-t-on rouvrir les mines en Wallonie ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Techniquement possible mais politiquement délicat, un tel projet se heurterait sans doute au refus de la population locale. Sur le plan éthique, en revanche, il serait logique d’assumer une part des concessions nécessaires à la fabrication de nos batteries et gsm.

Nous étions plus de 1 500 à nous y opposer « . Albert Stassen, le président du syndicat d’initiative des Trois-Frontières, à l’est de la Belgique, est content. Depuis des mois, on n’entend plus parler, du côté de La Calamine, Hombourg, Gemmenich et Plombières, d’une possible exploration minière dans le sous-sol.  » Vu l’importante densité de population de La Calamine, si on forait chez nous, ce serait comme si on forait à Liège « , avait osé Luc Frank, député germanophone et conseiller communal à La Calamine (CDH). Sans surprise, la population ne trépignait pas de joie à l’idée d’une éventuelle réouverture de mine sous ses pieds. La demande introduite par la société WalZinc n’a, pour l’instant, pas abouti : des vices de procédure ont réduit sa démarche à néant.

La question n’est pourtant pas farfelue.  » Techniquement, rouvrir une mine serait tout à fait possible, confirme Daniel Pacyna, responsable du service géologie des mines à la Région wallonne. La question qui se pose est plutôt économique, car nous sommes, en Wallonie, à la limite de la rentabilité économique « . Ce qui explique que, pour l’instant, plus aucune mine ne soit en activité en Région wallonne. Les trois dernières exploitations ont fermé en 1976 à Musson-Halanzy (fer), en 1984 à Farciennes-Fleurus (houille) et en 1996 à Fleurus (baryte). Pour autant, le sous-sol wallon, exploité depuis le xviiie siècle, ne manque pas de richesses : entre 1794 et 1968, plus de 800 concessions minières ont d’ailleurs été octroyées.

Sur le fond, le gouvernement wallon a la volonté d’autoriser la relance d’activités minières.

Il renferme toujours du charbon, par exemple, mais aussi des gisements de gaz provenant des mines de houille, ou encore du plomb et du zinc, du côté de Liège, d’Andenne et des cantons de l’Est. Il y a donc encore potentiellement de la matière, mais en quelle quantité ? Et avec quelles teneurs en métaux intéressants ? On l’ignore… pour l’instant.  » Les gisements qui ont déjà été exploités par le passé sont ceux que l’on trouve dans les 300 premiers mètres de la croûte terrestre, détaille Eric Pirard, ingénieur géologue et professeur à l’ULiège. Il faut explorer plus bas.  »

C’est bien ce que comptait faire l’entreprise wavrienne WalZinc, en demandant un  » permis de recherches de minerais de métaux non ferreux  » aux autorités wallonnes, à l’automne 2017. Les Canadiens de Adventus Zinc Corporation s’intéressaient eux aussi au site de Plombières, sans être, à ce jour, passés à l’acte. Un million de tonnes de minerais (zinc et plomb) devraient s’y trouver, ce qui représente quinze à vingt ans d’exploitation potentielle. Et, en bout de course, quelques centaines de kilos de terres rares, tout au plus. La terre est parfois ingrate…

Cinq ans d’exploration

Les candidats explorateurs doivent être solides, car même si le sous-sol wallon est relativement connu, ils risquent gros. Pour cette seule phase de recherches pendant cinq ans, WalZinc était prête à investir sept millions d’euros. Rouvrir une mine prend au bas mot dix ans, le temps de repérer les filons, d’obtenir les permis nécessaires et de lancer l’exploitation. Or, qui peut dire à quel niveaux de prix se vendront le zinc ou le plomb vers 2028 ?

Aucune autre demande de permis d’exploration n’a été déposée ces derniers temps à la Région wallonne. Des compagnies minières interrogent toutefois régulièrement l’administration sur des gisements potentiels, petits, certes, mais riches, et susceptibles de déboucher sur une exploitation pendant dix à vingt ans.  » Les autorités européennes souhaitent davantage d’autosuffisance en matières premières minérales et métalliques pour l’Union, d’ici à 2030 « , rappelle Daniel Pacyna. Tout repérage de gisement est donc intéressant.

Pendant ce temps, le gouvernement wallon et son ministre de l’Environnement Carlo Di Antonio (CDH) préparent un nouveau Code minier, qui devrait être voté au parlement d’ici à la fin de l’année. Le Code précédent, datant de 1820, avait besoin d’un sérieux toilettage. Que prévoit le nouveau Code ? Essentiellement que toute demande d’exploration/ exploitation devra bénéficier d’un permis d’environnement, ce qui implique que le projet sera soumis à enquête publique. Les contraintes environnementales y ont été introduites alors qu’elles en étaient jusqu’alors absentes.  » Le projet de Code va dans le bon sens « , abonde Arnaud Collignon, chargé de mission énergie chez Inter-Environnement Wallonie. Il prévoit aussi, entre autres choses, l’interdiction de la fracturation hydraulique pour l’exploitation de gaz de schiste.

Jusqu’à présent, la propriété d’une concession minière était permanente tandis que l’exploitation des installations ne devait qu’être notifiée aux gouverneurs de province. De ce fait, 251 concessions sont toujours officiellement en vigueur en Wallonie, en 2018. Certains de leurs propriétaires ont toutefois demandé leur retrait à la Région wallonne. A ce jour, 24 concessions ont été retirées, à l’issue d’un lent travail de contrôle des positions des anciens puits, issues et galeries et de sécurisation des puits répertoriés. Il faudra plusieurs années pour que l’ancien régime s’éteigne au fur et à mesure des retraits, et tout permis exclusif futur sera limité dans le temps.

Va-t-on rouvrir les mines en Wallonie ?

La mine verte n’existe pas

Sur le fond, le gouvernement wallon a la volonté d’autoriser la relance d’activités minières. En théorie en tout cas. Car personne ne souhaite se prendre de front des riverains en colère…  » L’exécutif privilégie de travailler avec le nouveau Code, précise Emmanuel Lheureux, directeur du département des risques industriels, géologiques et miniers à la Région wallonne. Il faut tenir compte de l’avis des habitants et communiquer efficacement sur les risques réels et les mesures prises pour préserver leur qualité de vie. Les solutions techniques existent. Le problème, c’est leur coût.  »

Si une nouvelle exploitation du sous-sol wallon devait voir le jour, cela ne plongerait pas pour autant les habitants dans un roman d’Emile Zola. Penser qu’une mine pourrait ne pas avoir d’impact est toutefois illusoire.  » La mine verte n’existe pas, martèle le journaliste Guillaume Pitron (1). Une mine a un impact très lourd.  » En revanche, celui-ci peut être réduit au maximum. La taille d’une potentielle exploitation n’aurait rien à voir non plus avec celles que l’on voit en Chine, s’étendant sur des kilomètres et orphelines de toute mesure de protection des humains et de l’environnement.  » Si de nouveaux projets d’exploration se développent en Europe, assure Daniel Pacyna, ce seront des mines de très petites tailles, qui occuperont, en surface, la place d’une ferme. Tout se passera dans le sous-sol.  » Seule l’extraction serait localisée à cet endroit : vu les petites quantités de métaux qui devraient être récoltées, ceux-ci devraient être acheminés ailleurs pour leur traitement. Si le projet de WalZinc s’était confirmé, le minerai extrait aurait été envoyé en Allemagne.

L’octroi de concessions pourrait être financièrement intéressant pour la commune ou la Région.

 » Il faut penser que la mine du xxie siècle sera digitale, argumente Eric Pirard, et qu’elle sera exploitée avec des véhicules autonomes et des robots.  » Les plus grands miniers du monde les utilisent d’ailleurs déjà. La mine ne fournira dès lors plus guère d’emplois, sauf hyperspécialisés (maintenance des machines, géologues…). L’octroi de concessions pourrait néanmoins être financièrement intéressant pour la commune ou la Région : le permis pourrait se négocier en échange d’argent, ou de la construction d’une route, ou de l’exploration du sous-sol ailleurs en Wallonie.  » Il s’agirait de faire faire par le privé ce qui devrait être fait par un service géologique public s’il avait des sous « , glisse Daniel Pacyna. Son service ne compte que six personnes, contre un bon millier au Bureau (français) de recherches géologiques et minières.

Sur le fond de la question, de nombreuses voix s’élèvent pour souligner l’importance de réinternaliser l’impact environnemental de nos choix technologiques.  » Nous vivons déconnectés des matières premières qui sont pourtant omniprésentes dans nos vies « , insiste Eric Pirard. L’Europe produit 3 % des métaux rares et en consomme 20 %. Dans la logique du circuit court, il serait normal que l’Europe reprenne sa juste part de ce marché. En Espagne, en Bulgarie, en Roumanie, en Serbie, au Groenland, très riches d’un point de vue géologique, il y a un réel potentiel, à ce jour peu ou mal exploité.

 » La France était leader sur le marché de la production des métaux rares jusqu’en 1980, rappelle Guillaume Pitron. On a fermé nos mines, notamment en raison de normes environnementales strictes, pour importer les matières premières de Chine, dépourvue de telles règles. Nous y avons, du coup, délocalisé la pollution liée à ce type d’exploitation. Avec toutes les conséquences que l’on sait pour la santé de la population locale et pour l’environnement, qui ont été sacrifiés. Si l’on avait, ici, en France, une mine sous les yeux, on serait plus conscient de notre consommation. Si on nous dit qu’on creuse X tonnes dans notre jardin pour fabriquer un gsm, on n’en changera peut être plus tous les six mois. A un moment, ne faut-il pas forcer les gens à assumer les conséquences écologiques de leur mode de vie ?  » Faute de lien visible entre les matières premières et les produits finis, le consommateur ne perçoit pas les dégâts causés par cette production. Il ne les connaît pas.  » Nous préférons une mine qui fonctionne bien ici que mal ailleurs, résume Arnaud Collignon. Arrêtons de cacher nos poussières sous d’autres tapis « .

(1) Guillaume Pitron est l’auteur de l’ouvrage La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, éd. Les liens qui libèrent, 296 p.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire