Gérald Papy

« Une révolution à la saoudienne »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’Arabie saoudite reposait sur trois piliers, le consensus entre les familles descendantes d’Ibn Séoud, fondateur en 1932 de l’Etat saoudien moderne, l’alliance avec les religieux tenants du wahhabisme, courant rigoriste de l’islam, et le pacte avec les Etats-Unis, sur la base du donnant-donnant approvisionnement pétrolier contre garantie de sécurité.

Le prince Mohammed ben Salman qui est appelé à succéder à son père, le roi Salman, a choisi de s’appuyer sur le troisième pour faire voler en éclats les deux premiers. Autant dire que c’est une vraie révolution qui se joue à Riyad.

En emprisonnant des dizaines de princes, hommes d’affaires et magnats des médias sous le motif légitime mais néanmoins dévoyé de la lutte contre la corruption alors que, de l’avis d’un spécialiste,  » les princes ont toujours mélangé les finances publiques avec leurs propres deniers « , MBS, comme le surnomment ses zélateurs, entend avant tout écarter ceux qui pourraient contrecarrer ou perturber sa montée sur le trône. Le plus célèbre des embastillés, le prince al-Walid ben Talal, homme le plus riche du monde arabe, actionnaire de Twitter et propriétaire de l’hôtel George V à Paris, s’était prononcé en conseil d’allégeance contre la désignation de Mohammed ben Salman comme successeur au trône. Le nouveau maître de Riyad marginalise le clan des héritiers de feu le roi Abdallah, qui a régné de 2005 à 2015, impose la verticalité du pouvoir dans une dynastie qui a toujours privilégié la transmission de frère en frère et se profile comme un monarque durable au paradis de la gérontocratie politique.

u0022Que la politique anti-iranienne agressive de MBS soit partagée par Donald Trump ne rassure pas sur la pacification du Moyen-Orientu0022

La face avenante de cette révolution résulte de la rupture annoncée avec l’islam hyperconservateur – le deuxième pilier – respecté et propagé par les dirigeants saoudiens. MBS a annoncé que les Saoudiens n’allaient pas s’accommoder pendant trente ans encore d’idées extrémistes, allusion aux sept dixièmes de la population qui n’ont pas encore atteint cette tranche d’âge. Dès lors, il autorise les femmes à conduire, les jeunes à aller au cinéma ou au concert. Il perçoit chez eux la lassitude et l’ennui qui pourraient, demain, allumer la mèche d’une autre révolution, style  » printemps arabe « , dans le feu et dans le sang. C’est la raison pour laquelle il prépare aussi l’Arabie saoudite à l’après-rente pétrolière dans un projet économique – Vision 2030 – qui doit diversifier l’économie,  » saoudiser  » les emplois, réduire le chômage et attirer les investissements étrangers.

La perspective la plus inquiétante de cette révolution tient dans la stratégie utilisée par Mohammed ben Salman pour atteindre ses objectifs. Autocrate assumé, il bouscule une classe supérieure saoudienne très conservatrice avec le risque d’un retour de flamme douloureux. Surtout, il applique le même traitement de choc à la diplomatie du royaume avec des fortunes pour le moins mitigées que traduisent l’enlisement du conflit militaire au Yémen et le pourrissement du contentieux idéologique avec le Qatar. Ce n’est pas de bon augure. A l’égard de ces deux pays hier, du Liban aujourd’hui, où il a forcé la démission du Premier ministre sunnite Saad Hariri pour sa collusion gouvernementale avec le Hezbollah chiite proiranien, de la Syrie et de l’Irak sans doute demain, Mohammed ben Salman ravive une politique anti-iranienne particulièrement agressive. Qu’elle soit partagée par un Donald Trump qui n’a cessé de sembler vouloir en découdre avec Téhéran depuis son accession à la Maison-Blanche ne rassure pas sur la pacification du Moyen-Orient et sur la stabilité du monde.

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