Kendell Geers entend " remettre la vie au coeur de l'oeuvre d'art ". © COURTESY KENDELL GEERS ET RODOLPHE JANSSEN, BRUXELLES - PHOTO : HUGARD & Vanoverschelde photography

Punk’s not dead !

Kendell Geers réactive le potentiel de la tradition artistique venue d’Afrique. Un propos engagé et tranchant comme une lame.

Mieux que les mots, Self-Portrait (1995) permet de comprendre qui est Kendell Geers. L’oeuvre consiste en un found object, un  » objet trouvé  » menaçant. En l’occurrence, un tesson de bouteille : celui d’une bière Heineken dont le goulot mentionne  » Imported from Holland « .  » Un objet sans plus aucune qualité, si ce n’est sa potentielle dangerosité « , précise l’intéressé. Pas mieux que ce verre métaphorique, en effet, pour résumer le statut d’un Sud-Africain blanc, né à Johannesburg dans une famille d’Afrikaners, et qui a compris, dès ses 15 ans, que le système de valeurs auquel il croyait reposait sur l’oppression. Cette révélation le mènera à penser contre ledit système et à déployer un puissant travail plastique. C’est aussi ce qui le conduira à Bruxelles, ville dans laquelle il vit aujourd’hui, et où il a entrepris d’exorciser son identité. Cloué sur la croix d’un irréconciliable chiasme  » Africain pour les Occidentaux, Blanc pour les Africains « , Jacobus Hermanus Pieters Geers de son vrai nom occupe un no man’s land d’où il engendre d’incessantes mises en question des idéologies.

Méconnaître et refuser

Disséminé dans le cadre de deux expositions – l’une à la galerie Didier Claes, l’autre chez le galeriste Rodolphe Janssen -, son nouvel accrochage déploie une grammaire formelle (sculptures, dessins, installations) empruntée à la tradition africaine.  » L’art africain est aujourd’hui à la mode. Le souci ? C’est l’Occident qui décide ce qu’est l’art africain. Une constante de l’oppression : le sujet opprimé n’a pas la possibilité de prendre la parole pour lui-même « , analyse Kendell Geers. Le constat est amer.  » Personne ne se risquerait à parler d' »art européen »… Parler d' »art africain » consiste à la fois à méconnaître ses singularités et, peut-être plus grave, à lui refuser toute universalité.  » Pour réinsuffler de la vie dans tout cela, le plasticien activiste présente un corpus d’oeuvres qui montre à quel point les problématiques et les formes africaines procèdent de schèmes communs à l’ensemble de l’histoire de l’art.

L’esprit  » punk  » inhérent à son travail est bien là : il est ici à entendre dans son sens premier, celui de  » spunk « , soit  » sperme « , un liquide corporel convié pour sa vitalité.  » Ramener la vie au coeur de l’oeuvre d’art « , insiste l’artiste. Chez Didier Claes, le visiteur est obligé de s’agenouiller devant Brick (2012) pour la décrypter. La  » brique  » en question évoque l’Apartheid à travers un fait divers tragique, mais elle convoque aussi le minimalisme de Carl Andre. Plus loin, un époustouflant moulage en bronze d’un masque Dan porte la trace d’une main, celle de l’artiste, qui en obstrue la bouche. Chez Rodolphe Janssen, on retrouve ce mutisme imposé par la force mais également des  » statues  » emballées dans du ruban de signalisation rouge et blanc, ainsi que des dessins opérés à la rouille. Le tout sur fond d’un Wall Drawing de Sol LeWitt, que Kendell Geers s’est approprié en y ajoutant un motif de fil barbelé. Un bémol ornemental qui opère une transfiguration radicale, rappelant que le politique est partout et que, comme l’a écrit le philosophe Slavoj ´i¸ek,  » la violence n’est pas un accident de nos systèmes, elle en est la fondation « .

AfroPunk, Kendell Geers, galeries Didier Claes (14, rue de l’Abbaye) et Rodolphe Janssen (32, rue de Livourne), à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 28 octobre prochain. www.didierclaes.art et www.rodolphejanssen.com

Par Michel Verlinden

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