Jeff et Tracey Waters, Staines-upon-Thames, Surrey, Royaume-Uni, Portraits submergés © GIDÉON MENDEL/RENCONTRES ARLES

Prises de vue

Les passionnantes Rencontres de la photographie d’Arles traitent du monde d’aujourd’hui à travers le regard de photographes issus de tous horizons, confrontant leurs vues incisives ou poétiques sur les désordres de nos sociétés.

Dans les années 1980, François Hebel, alors directeur de ce qui deviendrait l’un des plus grands rendez-vous photographiques au monde, avait été le premier à investir les monumentaux mais décatis ateliers de maintenance de la SNCF, délaissés par l’opérateur ferroviaire. Aujourd’hui, ces ateliers ont été rachetés par la fondation Luma, qui les transforme petit à petit en authentiques espaces muséographiques. La fondation peut ainsi accueillir des ensembles prestigieux (cet été, on peut ainsi par exemple y découvrir les rapports étroits que Jean Dubuffet entretenait avec la photographie, ainsi que Le Spectre du surréalisme, exposition produite en collaboration avec le Centre Pompidou). Une chose impensable à Arles il y a quelques années encore, mais qui n’est pas sans conséquences sur la distribution géographique des Rencontres.

Car entre la mainmise de Luma et dans l’attente de la fin de l’édification de la tour de Frank Gehry (qui abritera la fondation à l’horizon 2019), le festival est sans cesse à la recherche de nouveaux espaces – une quête d’autant plus difficile que les grands lieux sont rares à Arles et les expositions du festival, quarante en tout, traditionnellement ambitieuses et denses… C’est donc dans l’une de ces petites boutiques où l’activité commerciale a été abandonnée que se niche par exemple une exposition intitulée Chicanes. Accrochée avec soin, elle attire d’emblée le regard et révèle rapidement le sens du cadrage de son auteure. Elisa Larvego a documenté la résistance des opposants au projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes, en immortalisant simplement les… chicanes dressées sur les chemins d’accès au site. Faites de bric et de broc, elles semblent complètement dérisoires face à l’enjeu du projet, au point d’en avoir un côté émouvant. Un travail engagé embrassant les enjeux sociétaux, écologistes et territoriaux du projet.

La carte et le territoire

Cette question du territoire constitue un des axes majeurs de la programmation des Rencontres, et l’une des sections lui est par ailleurs carrément consacrée sous le titre L’Expérience du territoire ; on y retrouve parmi les plus intéressantes expositions de cette édition. La plus spectaculaire est sans conteste celle du photographe Michael Wolf qui a investi un des plus beaux lieux d’Arles : l’église des Frères-Prêcheurs. Basé à Hongkong, le photographe allemand manifeste depuis longtemps une prédilection pour cette ville dont les façades colorées des immeubles sont parsemées de milliers de petites fenêtres, la plupart des  » appartements  » se limitant à une superficie de neuf mètres carrés… Un dispositif réintroduit dans l’exposition, où les images des façades sont suspendues recto-verso dans la nef de l’église, sous les yeux du visiteur ainsi invité à la déambulation. A l’opacité de la métropole chinoise répondent les façades de verre des buildings de Chicago, reflétant ici l’environnement urbain, laissant là percevoir l’intérieur des lieux. Pour ces dernières, Wolf utilise le téléobjectif pour s’immiscer dans les espaces de travail d’employés de bureau anonymes dont il capte ainsi le portrait à leur insu.

Autre ambiance dans une église encore, celle des Trinitaires, qui accueille dans une scénographie épurée les images de la série Stances de Marie Bovo. Née en Espagne, installée à Marseille, celle-ci a parcouru la Russie à bord de différents trains – dont le Transsibérien – en installant sa chambre photographique sur la plate-forme à l’entrée du wagon. Son projet ? Enclencher son appareil juste avant que les portes ne se referment, sans savoir devant quel fragment de paysage, de quai ou d’élément architectural de la gare le wagon s’arrêtera. S’ensuit une série d’une rare qualité, sorte de typologie involontaire renouvelant de facto la notion de  » photographie de voyage « , mais aussi celle de paysage. L’hiver russe y apparaît comme un décor s’invitant dans cette boîte (photographique) que constitue l’entrée du wagon : un paysage littéralement scanné en fonction des lignes de train empruntées, qui ne semble avoir ni fin ni commencement.

Dans un tout autre esprit, il ne faut pas manquer l’exposition qui rend hommage à Kate Barry dans le superbe écrin de l’abbaye de Montmajour. Le travail personnel de la photographe britannique, fille de Jane Birkin et de John Barry prématurément décédée en 2013, s’y dévoile avec délicatesse.  » Elle aimait photographier les chemins sinueux, tordus, suspendus, terreux, boueux, caillouteux « , écrit Arline Arlettaz à son propos. Ses planches contacts découpées, recomposées et parfois évidées constituent le témoignage d’une oeuvre aussi minimaliste que solitaire, photographies de routes fragmentées, à la destination incertaine.

Sous eau

Mais ces territoires poétiques n’occultent pas pour autant les Désordres du monde, qui s’invitent à Arles cette année par l’entremise de deux grands ensembles aux enjeux plus politiques et sociaux, l’un dévolu à la photographie en Colombie (La Vuelta rassemble 28 photographes et artistes colombiens là où La Vache et l’Orchidée présente une collection de clichés vernaculaires du pays), l’autre à la société iranienne telle qu’elle apparaît aux yeux des photographes : un pays d’une rare diversité avant tout en quête de son ou de ses identités depuis la Révolution islamiste de 1979. Particulièrement emblématiques également de la section, les images de la  » décommunisation  » en Ukraine montrent la destruction ou l’abandon (dans les endroits les plus incongrus) de quelques-unes des plus de 5 000 statues de Lénine, vacillant de leur piédestal. Edifiant retournement de situation auquel fait aussi écho Le Monde qui se noie, d’après le titre de l’exposition de Gideon Mendel. Originaire d’Afrique du Sud, ce dernier a documenté une quinzaine d’inondations majeures de par le monde en moins de dix ans. Toutes sont les conséquences des changements climatiques et ont sévèrement impacté les populations concernées. La mise en garde est évidente, avant que ces  » portraits submergés  » ne deviennent une catastrophe à l’échelle planétaire.

Jusqu’au 24 septembre dans divers lieux d’Arles. www.rencontres-arles.com

Par Bernard Marcelis

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