Dans la grande salle de concert, les 1 125 sièges sont neufs. Fini, les derrières meurtris... © LA MONNAIE

Peau neuve

Salle et machines souffraient d’une grande usure, et ne répondaient plus aux besoins des mises en scène actuelles. Après deux ans de travaux, la grande scène lyrique bruxelloise de la Monnaie rouvre enfin ses portes au public, rénovée de haut en bas. Redécouverte des lieux.

Beaucoup s’étaient plaints – de l’attribution cacophonique des places, de la touffeur estivale, du froid glacial, du chahut des sirènes et des avions, du son étrange d’un orchestre enfoui dans une fosse étroite… – et certains, par dépit, avaient même fini par revendre leur abonnement sur le Net. L’exil forcé des spectateurs de la Monnaie dans une douzaine de lieux éparpillés dans tout Bruxelles, du Théâtre national au Cirque royal en passant par Bozar, Flagey ou la bibliothèque Solvay et, comble du pire, le très mal nommé  » Palais  » du no man’s land de Tour & Taxis… n’est toutefois plus qu’un mauvais souvenir. Après cinquante mois de travaux de rénovation aux échéances sans cesse reportées, la Monnaie retrouve ses marques dans sa maison mère. Un théâtre lyrique au visage légèrement relifté, mais aux entrailles complètement charcutées.

Vu du dehors, donc, pas grand-chose de neuf – une façade en partie rafraîchie, une entrée des artistes sécurisée et déplacée latéralement, rue de la Reine. A l’intérieur, pareil : on cherche des yeux ce qui aurait pu justifier un si long nomadisme. La grande salle de concert, cette adorable bonbonnière cramoisie, apparaît telle que jadis. Et pourtant, nul doute que l’affaire a changé. Au sol, des strips fluo guident les pas vers 1 125 sièges entièrement neufs. Finies les vieilles brouettes au velours râpé, et dont les ressorts usés meurtrissaient le derrière.  » Esthétiquement, les fauteuils sont identiques aux anciens, explique Dominique Mertens, responsable des projets de construction. C’est logique : comme le monument et son contenu sont classés, il est formellement interdit d’en altérer l’apparence.  » Techniquement, cependant, ces petites merveilles assez moelleuses (on les a testées) devraient tenir leurs promesses : détachables les unes des autres, elles camouflent aussi (une place sur deux) un petit ventilateur censé multiplier le plaisir d’écoute par celui d’un parfait confort thermique. Explication : dans l’antique système d’aération, une colonne d’air froid pulsé depuis la coupole retombait en ligne droite sur les nuques. Une aberration thermique et, surtout, l’assurance que  » dès qu’on mettait le dispositif en marche, le parterre se transformait en glaçons « . A présent, c’est le contraire : diffusé à très faible vitesse sous les assises rembourrées, l’air frais (15 à 18 degrés) est extrait, une fois réchauffé, par le plafond. Où les 250 lampes du magnifique lustre  » sac à perles « , qu’il fallait dévisser deux fois par an, ont également été remplacées par des ampoules LED (consommation moindre, longévité accrue), dotées d’un graduateur state of the art permettant le passage de la lumière à l’obscurité. Et inversement, comme dans un rêve éveillé.

Mécanique des sols

Mais c’est côté scène que les gros bouleversements ont eu lieu. Les habitués les plus perspicaces le noteront-ils ? Le plancher, qui marquait jadis une pente à 4 %, se retrouve aujourd’hui… à plat. La Monnaie était l’un des derniers théâtres européens à être équipé d’un sol penché ; quasi partout ailleurs, on joue désormais à l’horizontal.  » Les productions étrangères montrées chez nous requéraient chaque fois qu’on fabrique un nouveau plancher. Ce n’était pas très rentable… « , poursuit Dominique Mertens, impatient de dévoiler l’impressionnante nouveauté sous ses pieds. Dans les fondations, en effet, quatre ascenseurs de 12 mètres de largeur ont supplanté la machinerie vétuste. Ces grands plateaux à moteur électrique assisté par impulsions hydrauliques (une fabrication autrichienne, le top), pilotés par ordinateur  » à la précision du millimètre « , ont la faculté de se mouvoir même durant les représentations, tant ils sont silencieux. Pour les approvisionner en décors en un temps record, on n’attend plus que le creusement du tunnel entre les ateliers (toujours situés rue Léopold) et le plateau. Fin de la construction prévue au début (ou milieu) 2018. Dès ce moment, la Monnaie sera prête à affronter la prochaine génération de créateurs : au vu des possibilités techniques offertes, les scénographes devraient prochainement s’y déployer !

Fougue et originalité bienvenues car, malgré les efforts déployés pour adoucir l’aventure extra-muros, la Monnaie a perdu quelque 20 % de ses abonnés – et ne les a pas encore tous récupérés. Pour le public malmené resté fidèle, le retour aux habitudes constitue donc un immense apaisement. Il l’est encore plus pour le personnel de l’institution (tous services confondus) qui a vécu des mois désolants, faits de tâtonnements et d’improvisations permanentes. En particulier sur le site industriel de Tour & Taxis, où le chapiteau fut ouvert dans un désarroi total, deux jours seulement après les attentats de mars 2016. Dépendant d’intenses variations météorologiques (il a notamment fallu emprunter 1 000 couvertures au festival d’Aix-en-Provence), on a connu là, aussi, des conditions hygrométriques redoutables pour les instruments :  » Comme les étuis de rangement des contrebasses et des violoncelles ne possédaient pas d’isolation suffisante, on a dû acheter des sacs de couchage pour les envelopper « , rappelle un membre de l’équipe administrative de l’orchestre. Sous la toile de la tente, le chauffage posait d’importants problèmes de condensation :  » Toutes les deux heures, jour et nuit, il fallait contrôler la température pour éviter qu’il « pleuve » littéralement dans la salle « , se souvient Frankie Goethals, directeur technique adjoint.  » Et cette toile n’avait évidemment pas les propriétés acoustiques du bois et des murs « , précise Alain Altinoglu, le directeur musical. Trépignant de reprendre possession de la grande salle, le chef ne cachait toutefois pas, récemment, son inquiétude quant à la qualité du son rendu dans la Monnaie rénovée :  » Les théâtres anciens sont de magnifiques résonateurs pour les instruments…  » Y introduire de nouveaux matériaux comportait assurément un risque. Aux derniers essais, bonheur, leur présence n’avait apparemment en rien altéré l’acoustique du lieu. Et puis, le chantier aura livré quelques surprises, comme la découverte de pieux allemands datant de 14-18, ainsi que d’un énorme massif en béton, relique probable de la salle des coffres de la banque qui occupait jadis les lieux…

Le samedi 16 septembre, la Monnaie organise une journée portes ouvertes avec visite guidée (gratuite) de l’envers des décors, de 13 heures à 15 h 30. www.lamonnaie.be

Par Valérie Colin

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