Rosanne Mathot © xzarobas

Nu si découvert

Où il est question de passions humaines et de fresques olé olé à Bruxelles.

L’après-midi orange, plein de coups de klaxon et d’embouteillages, semble se rider devant les maisons, comme le sable devant la mer. Des ombres minérales, habillées de gilets fluo, luisent au soleil de mai. Et tout le monde s’en fout. Il faut dire qu’au printemps, quand jutent les merguez et que fleurissent les mouvements sociaux, plus grand-chose n’étonne le citadin, tout boursouflé qu’il est de la conviction d’avoir tout vu, tout lu, tout su.

Le vieil Heinrich, l’homme à tout faire du Geyser, chemise déboutonnée, bouteille à la main, allait plier boutique, quand il aperçut, derrière les rhodo-dendrons de sa terrasse, un groupe immobile et d’une blancheur obsédante, planté là, comme un parterre de réverbères ou de zombies. C’était quoi encore, cette procession immobile, quasiment nue, seulement revêtue de vestes fluo et de casquettes rouges, comme des ados libidineux en sortie scolaire ?

– On cherche la nouvelle fresque anale. Tout le monde la connaît (1) !

– Ouais. Ben, j’suis pas tout le monde.

– Mais… elle est dans le coin !

– Ptêt bien. Mais ptêt qu’on l’approche pas ça comme ça. Ptêt que c’est classé monument historique. Ptêt qu’il faut des autorisations…

A dire vrai, cette scabreuse conversation le barbait, Heinrich, lui qui n’avait jamais aimé ou désiré personne. Il jeta sa bouteille vide sous une table et s’apprêtait à rentrer dans le café lorsqu’une déchirure dans le ciel éclaira les nudistes marmoréens d’une lumière spectaculaire, comme si le bon Dieu en personne avait subitement un truc sensas à raconter.

– On a soif ! On a fait le tour de toutes les fresques olé olé de Bruxelles. On a la bouche plâtreuse (2).

Au même moment, Heinrich vit une femme courir à toute allure, telle Laurette Onkelinx coursant le père Smet sur la place Stéphanie (3).  » Encore une droguée, ou une pute « , qu’il ronchonna, le vieux, en ouvrant la porte du café aux nudistes. Les statues entrèrent, en rang serré. A l’intérieur, leurs yeux sautaient dans tous les sens, comme des boutons de braguette un samedi soir.

 » Après tout (qu’il se dit, Heinrich), toute personne, minérale ou non, peut être amenée à cheminer sur le sentier des passions humaines.  » Et, en s’affaissant sur une chaise, il avala trois gorgées, directement bues à un nouveau goulot. Une fille en marbre, ronde et belle, contourna la table, pour s’agenouiller tout près de lui :  » Mon gars, si t’as pas connu la passion, alors, c’est que t’as rien connu du monde. Rien.  » u

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une, à 20h15…

(1) Fin avril, une nouvelle fresque (représentant au choix une sodomie ou une défécation) a fait son apparition, à Bruxelles. Elle rejoint le pénis de Saint-Gilles, la masturbatrice de la place Stéphanie et la pénétration de la rue des Poissonniers.

(2) Il y a 200 ans, la sculpture monumentale Les Passions humaines, de Jef Lambeaux, a été achevée. Elle est abritée au pavillon des Passions humaines, dans le parc du Cinquantenaire, à Bruxelles.

(3) En décembre dernier, le ministre Pascal Smet a comparé Bruxelles à une putain, ce qui n’a pas plu à Laurette Onkelinx.

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