Joyce Azar

Affaire Jan Fabre : « #MeToo et le plafond de verre »

Joyce Azar Journaliste VRT-Flandreinfo et co-fondatrice de DaarDaar

La qualité de ses oeuvres d’art a beau être incontestable, celle de ses agissements l’est, semble-t-il, nettement moins. C’est en tout cas ce que dénoncent plusieurs danseuses et anciennes collaboratrices de Jan Fabre qui, dans une lettre ouverte parue la semaine dernière, accusent l’illustre artiste anversois de comportements transgressifs.

L’enquête judiciaire pour faits d’intimidation et de harcèlement sexuel devra déterminer l’éventuelle culpabilité de celui que l’on surnomme  » l’enfant terrible  » de l’art contemporain. En attendant, la Flandre découvre avec consternation une nouvelle affaire #MeToo, sans parvenir, pour le moment, à lutter plus efficacement contre ce genre d’abus.

Au nord du pays, l’ampleur du problème s’était pourtant rapidement avérée. Un mois à peine après le scandale Harvey Weinstein, la parole semblait libérée : en novembre, le célèbre réalisateur, acteur et présentateur Bart De Pauw était accusé de harcèlement par plusieurs de ses collaboratrices, et s’était vu remercié par la télévision publique, la VRT, où il travaillait depuis des décennies. Mais contrairement aux Etats-Unis, ces révélations n’ont pas mené à une chasse aux sorcières. Le ministre flamand de la Culture, Sven Gatz (Open VLD), avait toutefois chargé l’université de Gand de réaliser une étude sur les comportements inappropriés dans le secteur médiatico-culturel. Les résultats, parus en juin dernier, sont effarants : un quart des femmes issues du milieu culturel affirment avoir été victimes de harcèlement sexuel. Dans le monde de la danse, près de la moitié d’entre elles dit avoir subi le même sort.

Pour se libérer de leur calvaire, les victimes semblent aujourd’hui préférer se tourner vers les médias.

Alarmé par ce constat, Sven Gatz a décidé de mettre en place un plan d’action pour mieux lutter contre ce qui se révèle être un fléau. Plus de 100 000 euros ont été investis, notamment pour faciliter le dépôt de plaintes.  » On y travaille d’arrache-pied  » a confirmé le ministre, alors que le monument Jan Fabre tombait de son piédestal. Les mesures de sensibilisation et de médiation ne semblent toutefois pas suffisantes dans un secteur où les conditions d’emploi demeurent précaires. Les artistes de scène travaillent majoritairement sous contrat à durée déterminée, font face à une concurrence impitoyable et progressent souvent grâce à leurs contacts et leurs affinités. Par ailleurs, la frontière entre création artistique suggestive et comportement transgressif s’avère parfois infime, ou difficile à déterminer, dans un milieu où la provocation est souvent de mise. Pas étonnant, donc, de voir peu de personnes oser porter plainte, et risquer de mettre en péril un avenir professionnel déjà fragile.

Pour se libérer de leur calvaire, les victimes semblent aujourd’hui préférer se tourner vers les médias. Au vu de l’indignation du public et des autorités, la démarche paraît plus efficace que certaines procédures en interne. La solution est pourtant loin d’être idéale, tant pour les plaignants que pour les personnes incriminées. Plus que jamais, le développement d’outils juridiques adaptés se révèle nécessaire. Sur le terrain, un changement de mentalité et un système permettant de lancer des alertes pourraient également s’avérer utiles. Enfin, dans un secteur majoritairement féminin, mais dirigé par le sexe dit fort, briser le plafond de verre pourrait porter ses fruits. Les études démontrent en effet que les actes de harcèlement sont généralement favorisés par deux facteurs à risque : être un homme, et être en position de pouvoir.

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