Jean Echenoz, un écrivain au style décalé et documenté. © DR

Mécaniques cantiques

Le temps d’une exposition bien rodée, la Bpi, à Paris, soulève le capot de l’oeuvre désabusée du romancier Jean Echenoz. De la technologie de pointe.

Avec dix-sept romans au compteur, invariablement parus depuis 1979 aux éditions de Minuit, Jean Echenoz s’est taillé une place de choix au salon de la littérature française contemporaine. A l’instar des écrivains qui comptent, l’auteur de Je m’en vais possède cette  » petite musique  » qui est la signature des grands. S’il a fait l’objet de nombreuses dissertations, ce style décalé qui se plaît à renouveler certaines formes ultrabalisées – roman policier, d’espionnage, biographie… – méritait d’être abordé sous une autre forme. A Paris, la Bpi, la bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, signe un parcours dont la petite taille apparente s’avère inversement proportionnelle à l’intérêt qu’elle suscite.

Consacrer une exposition à un littérateur comporte toujours le risque de la sortie de piste version fétichisme – compilation des manuscrits, culte de la photogénie, goût de l’anecdote… Bonne nouvelle, Roman, Rotor, Stator fait plus que tenir la route. Agencée en trois volets rigoureux et parfaitement orchestrés ( » La Fiction et ses rouages « ,  » La Diction et ses jeux « ,  » Sur la scène du roman « ), la scénographie déconstruit la poétique romanesque de l’intéressé. Présenté sous la forme d’un cadran que l’on parcourt dans le sens des aiguilles d’une montre, le propos met au jour les rouages de l’oeuvre avec une précision horlogère. Ce démontage en bonne et due forme va comme un gant à ce talent qui n’a jamais caché son scepticisme quant au miracle de  » l’inspiration « .  » Je crois au travail quotidien, à l’insistance « , répète-t-il régulièrement. Essentielle dans la démarche d’Echenoz : la documentation. Celui à qui l’on doit l’excellent Méridien de Greenwich est un infatigable observateur-arpenteur que la systématisation des digicodes désole. A ses yeux, chaque immeuble de Paris est un  » tiroir secret  » renfermant potentiellement des tonnes d’histoires.

Dès la première partie, le visiteur prend la mesure du fonctionnement visuel de l’imagination d’Echenoz. Affichées au mur, cartes postales, reproductions de toiles ou photographies d’époque sont autant de déclencheurs de fictions utilisés pour  » rendre crédible l’invraisemblable « . Mais c’est sans doute l’image en mouvement, le cinéma, qui constitue la source d’inspiration la plus opérante au sein des nombreux romans – des extraits de films et des portraits d’acteurs émaillent l’accrochage. En témoigne un procédé cher à l’auteur de 14 : le glissement progressif d’un pronom à l’autre – je, vous, on… – dans un même passage, et qui est à comprendre comme autant d’angles de caméra différents.

Syncope rythmique

Jean Echenoz considère qu’il  » travaille dans l’audiovisuel « , à ceci près que le créneau qu’il a choisi possède l’avantage de la liberté – son imagination n’a donc pas à s’embarrasser d’un budget – et de la solitude qu’il revendique. Roman, Rotor, Stator – dont le titre évoque le fonctionnement d’un moteur – se penche également sur la formidable langue, polie avec un soin méticuleux, qui constitue la marque de fabrique de l’écrivain. Articulée entre adhésion et recul, elle est traversée de cadences – la syncope rythmique qui l’apparente au jazz d’un Thelonious Monk -, de figures de style (le zeugme en particulier avec ses effets de dislocation), voire de pastiches qui n’épargnent pas l’ennui qui caractérise le monde moderne. A ne pas manquer, sous casque : la lecture déchiffrée de Ravel par l’écrivain Olivier Cadiot, esprit qui n’a pas son pareil pour souligner le caractère de  » château de cartes qui serait comme une brique  » – le compliment est de Jean-Patrick Manchette, auteur culte de polars – inhérent à cette oeuvre essentielle de la littérature contemporaine.

Jean Echenoz – Roman, Rotor, Stator, à la Bpi du Centre Pompidou, à Paris. Jusqu’au 5 mars prochain. www.bpi.fr

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