L'Empire des lumières, 1954. © © 2017 C. Herscovici, London/Artists Rights Society (ARS), New York

Magritte à tout prix

Le 15 août 1967, René Magritte cassait sa pipe. Cinquante ans plus tard, de Bruxelles à Knokke, un parcours national rend hommage au peintre de L’Empire des lumières. Une bière aussi…

René Magritte (1898-1967) adorait la série de romans Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain. C’est avec avidité qu’il dévorait les aventures de cet  » homme aux cent visages  » qui est resté comme l’un des héros les plus marquants de la littérature populaire française. Ce détail est probablement beaucoup moins anecdotique qu’il n’y paraît. Tout porte à croire que le peintre a lui aussi soigneusement cultivé une personnalité à facettes dont on n’a pas fini de découvrir les tiroirs et les double-fonds. Moralité ? On a eu trop vite fait de lui accoler l’étiquette  » surréaliste « , pensant avoir fait le tour du bonhomme. A l’automne 2016 déjà, le centre Pompidou parisien renouvelait le propos en usant d’une grille de lecture inédite à l’occasion de La Trahison des images. Portant la griffe du commissaire français Didier Ottinger, cette exposition montrait le lien entre l’artiste belge et les penseurs. Platon, Merleau-Ponty, Michel Foucault… autant de fréquentations spirituelles qui ont permis à Magritte de  » regarder la peinture de façon philosophique « . Ces lectures attentives n’ont pas été vaines, elles ont aidé l’intéressé à défendre le point de vue selon lequel les images expriment la pensée aussi bien que les mots. Un beau bras d’honneur adressé à Hegel, dont la dialectique était devenue la vulgate des surréalistes français au moment de leur tournant rationaliste. De fait, Magritte n’a jamais pardonné à l’auteur de La Phénoménologie de l’esprit d’avoir attribué à la poésie la préséance sur toutes les formes d’art.

A l’heure de célébrer les cinquante ans de la disparition du peintre de Lessines, la Belgique, qui entend soigner son image culturelle, a décidé de mettre les petits plats dans les grands. But de la manoeuvre ? Tresser une couronne de lauriers à René Magritte qui, à l’instar d’Hergé ou de la bière, fait office d’emblème de la belgitude. Il faut dire que le fabuleux destin d’un petit bourgeois à accent tenant tête à André Breton et s’exposant en 1965 aux cimaises du MoMA new-yorkais se pose là en matière de légende dorée noire, jaune, rouge. L’hommage en question ne s’embarrasse pas de nuances : exit le maître éclairé préoccupé de concepts philosophiques, il semblerait que le profil retenu soit davantage le Magritte des affiches publicitaires. Celui d’une communication efficace et percutante. On le sait, pour mettre du beurre dans les épinards, l’auteur du Stropiat (1948) n’a pas hésité à donner dans ce qu’il appelait les  » travaux imbéciles « , un itinéraire 100 % commercial initié en 1918 avec le Pot au feu Derbaix et achevé en 1966 avec L’Oiseau de ciel pour la Sabena.

Magritte Experience

Différents partenaires se sont associés autour de cet événement : les Musées royaux des beaux-arts de Belgique (MRBAB), la fondation Magritte, les éditions WPG, la commune de Knokke-Heist et l’Atomium. Pour se donner plus de visibilité, ils ont dessiné ensemble un  » parcours national  » qui s’avance sous la bannière d’un label commun  » Année hommage Magritte 2017 « . Un hashtag a même été dégainé pour l’occasion : #magritte2017.

A tout seigneur, tout honneur, c’est la commune de Knokke-Heist qui mettra le feu aux poudres dès le 30 juin. Le scénario ? Cousu de fil blanc, il sonne comme du Disneyland Magritte. Soit un énorme  » chapeau melon  » posé sur la plage, à hauteur du casino, permettant à cinquante visiteurs à la fois d’embarquer pour un  » Magritte Virtual Reality Tour « . Lunettes 3D sur le nez, l’attraction promet  » un voyage à couper le souffle dans l’univers de Magritte  » tout en  » planant au-dessus de ses oeuvres principales « . Le tout flanqué d’un  » Magritteshop  » et d’un  » bar Magritte « . Moins virtuel mais peut-être plus spectaculaire : un ticket acheté pour cette  » Magritte Experience  » donnera la possibilité de contempler les huit panneaux du Domaine enchanté réalisés par le peintre en 1952 et 1953 pour le casino de la cité balnéaire. Cette fresque de 70 mètres de longueur et de 4 mètres de hauteur sera exceptionnellement ouverte au public. Ce n’est pas tout : il est également question d’un jeu de piste à travers la ville – il est vrai que Magritte aimait les énigmes – et, à l’automne, d’une exposition au Scharpoord, le centre culturel, qui aura pour thématique Magritte et la mer.

A partir du 21 septembre, ce sera au tour de l’Atomium de se mettre à l’heure du réalisateur de La Fidélité des images (1946). Présenté comme la rencontre entre deux monuments du patrimoine national, ce rendez-vous mise sur un projet scénographique. Le pitch ? Là aussi,  » une plongée dans l’univers du peintre  » mais orchestrée cette fois à travers la transposition de certaines de ses toiles – Les Amants (1928), Le Fils de l’homme (1964), Le Double secret (1927) – en éléments de décor bien réels.  » Zigzaguer entre les silhouettes au chapeau melon, les nuages et les oiseaux  » permettra de se souvenir qu’entre 1921 et 1924, à la demande de l’usine Peters- Lacroix de Haren, Magritte avait imaginé des motifs de papier peint en compagnie du peintre Victor Servranckx. En marge des oeuvres décortiquées et mises en scène, cette exposition sur trois niveaux fera également place à des citations marquantes du maître ainsi qu’à de multiples projections de toiles illustrant la richesse de sa palette.

Descendances

Reste que, du moins sur papier, le volet le plus intéressant de ce parcours se déroulera au musée Magritte lui-même. Signée par Michel Draguet, le directeur général des MRBAB, l’exposition Magritte et l’art contemporain s’attachera à examiner le legs Magritte, sa  » descendance directe  » selon les mots du commissaire. Dans la ligne de mire ? Marcel Broodthaers, forcément, fils spirituel de Magritte. Entre les deux, un dialogue fécond qui rend compte des méthodes respectives, traversées par l’idée de  » connaissance critique « , des deux artistes. L’initiative entend également évaluer le poids d’une oeuvre qui, comme l’écrit Michel Draguet,  » compte à la fois comme mise à plat du réel ramené à un fait de langage et comme lieu d’atomisation de la ressemblance au bénéfice d’un travail libre de réenchantement du réel « . Des artistes comme Joseph Kosuth, On Kawara, mais également George Condo, Gavin Turk, Sean Landers ou David Altmejd se sont engouffrés dans les brèches ouvertes par Magritte.

Enfin, on ne manquera pas de signaler que le musée Magritte s’est associé avec la très respectable brasserie de la Senne pour développer une bière spéciale pour l’occasion. Une édition limitée  » 100 % belge & surréaliste  » (sic) qui sera vendue en exclusivité au Museum Café et dans les Museum Shops des MRBAB, à partir de septembre prochain. Un clin d’oeil plutôt sympathique qui renvoie au goût de Magritte pour les bistrots bruxellois, de La Fleur en papier doré au Greenwich.

www.knokke-heist.be ; www.atomium.be/magritte ; www.fine-arts-museum.be

Par Michel Verlinden

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