Gérard Depardieu et Christian Clavier réunis dans l'univers du réalisateur de Buffet froid. © n. schul/sdp

Les valseurs

Le Vif/L’Express s’est rendu en exclusivité sur le tournage de Convoi exceptionnel, le nouveau film de Bertrand Blier avec un duo de comédiens haut de gamme. Coulisses singulières d’un film peu banal tourné à Bruxelles…

Vendredi 9 mars Un beau jour, ou peut-être une nuit

La visite était prévue en début de semaine. Puis au milieu de la suivante. Finalement, le vendredi. Pas simple de trouver une date pour se rendre sur le tournage du nouveau film de Bertrand Blier, à Bruxelles. A croire que le titre était prémonitoire : Convoi exceptionnel. Il est vrai que la conjoncture l’est – exceptionnelle, pas prémonitoire. Huit ans, depuis Le Bruit des glaçons, que Blier n’a pas mis les pieds sur un plateau, et treize qu’il n’avait pas dirigé Gérard Depardieu, éternel complice depuis Les Valseuses. Depardieu qui, pour l’occasion, retrouve son comparse des Anges gardiens, Christian Clavier, nouveau venu dans l’univers décalé de Blier. Convoi exceptionnel est donc un événement. Mais pas une grosse production. Le budget, assuré par Olivier Delbosc, est d’une modestie inattendue : 3,5 millions d’euros. Le tournage aussi est singulier, avec un plan de travail qui change tous les jours – et qui explique les dates fluctuantes pour y faire un tour. Quant au scénario, c’est le blackout. A part cette ligne de synopsis :  » Un homme rencontre celui qui possède le scénario de toute sa vie.  » Dans le genre intrigant… Mais, sur place, on compte bien en savoir plus. Et on n’est pas au bout de nos surprises.

Depardieu et Clavier.
Depardieu et Clavier.© n. schul/sdp

A l’excitation de pénétrer les coulisses de ce projet atypique s’ajoute une certaine appréhension, engendrée par des mises en garde répétées. Ne pas poser de questions à Gérard Depardieu. Ne pas attendre le moindre mot de sa part. Un de ses proches, appelé à la rescousse pour l’amadouer, laisse peu d’espoir :  » Vous allez sur le Blier ? Bon courage ! Comme Gérard tourne beaucoup de nuit, il est d’une humeur exécrable.  »

Alors que le jour baisse sur un quartier chic de Bruxelles où Blier met en place une séquence avec les doublures des vedettes, le réalisateur confirme :  » Il n’aime pas travailler le soir, et comme on travaille toutes les nuits depuis lundi… Il est fatigué. D’ailleurs, il a dit qu’il partait à 23 heures.  » La feuille de route indique pourtant une fin de tournage à 2 heures du matin…  » Pour la deuxième séquence, on peut se débrouiller, raisonne placidement Bertrand Blier. Et puis, on s’en fout, on a trois jours d’avance. « 

Tout le monde connaît l’animal et s’adapte, voire s’en amuse. Comme Christian Clavier, qui reçoit dans son car loge installé en face de celui de son partenaire sur la grande place du palais de justice de Bruxelles.  » Il va un peu vous laminer et ça ne vous fera pas de mal ! prévient-il, tout sourire. Mais non, rassurez-vous. Il est dans une très grande forme. Et puis, ce soir, ce sont des scènes marrantes à jouer. Je connais Gérard, il partira quand on aura fini, pas avant. Et je ne serai pas étonné qu’entre deux prises, il vienne éructer pendant notre entretien !  »

La première  » scène marrante « , c’est Clavier qui court après Depardieu, le rattrape et l’engueule. Une scène de rue. Mais sans crier gare, la météo a vrillé. Il pleut. Et pas qu’un peu. Les deux comédiens se mettent à l’abri dans le hall d’un immeuble et attendent. Depardieu est là, qui fume une cigarette et rigole avec son ami Clavier. Une demi-heure plus tard, la météo a raison du tournage. On remballe et on ferme. Depardieu enfourche son scooter pour rejoindre sa loge. Clavier nous invite à le suivre dans la sienne, où traîne dans un coin le scénario de Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu, qu’il doit tourner tout de suite après le Blier. En lot de consolation, il lève un peu le voile sur l’histoire de Convoi exceptionnel :  » Deux hommes, l’un, Gérard, manifestement en difficulté, à la limite SDF, l’autre, plutôt chic et bourgeois, moi, se rencontrent dans la rue et s’aperçoivent qu’ils sont perdus dans la spirale d’un scénario en train de s’écrire, dont ils sont les personnages principaux et à qui on remet des pages au fur et à mesure. C’est du Blier pur jus, complètement déconnant, parfois absurde, parfois sérieux…  » Entrée impromptue, et promise par Clavier, de Depardieu dans la caravane.  » Fumiers !  » plaisante-t-il, faussement bourru. Puis, d’un ton moqueur :  » En Russie, il neige, mais on tourne quand même un peu. Ici, il pleut et on ne tourne pas du tout.  » Il s’apprête à partir en Suisse, pour son spectacle sur Barbara.  » L’univers du cinéma est un peu chiant, lance-t-il de but en blanc. Heureusement qu’il pleut de temps en temps. Heureusement qu’il y a des amis, des gens qui sont humainement bons et qui ne se prennent pas la tête, parce que les acteurs me font chier. Lui, non (il désigne Clavier). Sur ce…  » Clavier a à peine le temps de lui crier  » Bonne route !  » que la porte s’est déjà refermée.  » Qu’est-ce que je vous avais dit ? A chaque fois qu’on se retrouve, on est comme des gamins. On joue. Dans tous les sens du terme. Il faut absolument que vous reveniez pour voir ça.  » C’est bien notre intention.

Samedi 17 mars Jour J

Il neige à gros flocons sur Bruxelles. Il fait un froid de gueux. Et cela n’a aucune importance. Le tournage se déroule au chaud, au quatrième étage d’un immeuble. Dans un open space rempli de bureaux sur lesquels s’amoncellent des piles de scripts de Convoi exceptionnel – ils font partie du décor ! Une vingtaine de figurants pianotent sur leurs ordinateurs, jusqu’à ce que Clavier et Depardieu déboulent dans la salle, le premier poussant l’autre dans une chaise roulante, son personnage s’étant foulé la cheville.  » On n’a pas tous les jours l’occasion de défoncer une porte comme ça « , souligne Bertrand Blier à ses comédiens, les enjoignant à effectuer une entrée fracassante. Et les deux de s’en donner à coeur joie, jusqu’à faire tomber un bout de mur. Le tandem demande des comptes à Audrey Dana, qui interprète la responsable du scénario de leur vie. Entre chaque prise, Depardieu multiplie remarques et boutades. Il est de bonne humeur. Mais pas plus accorte avec la presse. Il interdit à une équipe de télé de le filmer entre les prises. Et même pendant.  » Il y a quelques jours, un journaliste a encore déformé ses propos, souffle un technicien. C’est une crème, il est bienveillant avec tout le monde, mais il n’a plus confiance dans la presse.  »  » Bertrand, si tu veux, on en refait une, propose le « patron », comme on l’appelle. Si on peut casser davantage…  » Ce sera la dernière. De toute façon, Blier n’en fait jamais davantage.  » Avec de bons acteurs, je ne fais jamais plus de trois prises « , lâche-t-il, bonhomme.  » Avec un tel auteur, être bon est la moindre des choses « , commente Christian Clavier.

Le producteur Olivier Delbosc  et le cinéaste Bertrand Blier.
Le producteur Olivier Delbosc et le cinéaste Bertrand Blier.© n. schul/sdp

Sur le plateau, le respect et l’admiration pour le cinéaste de 79 ans sont palpables.  » Il a la confiance des artistes, mais pas des financiers, déplore Olivier Delbosc, qui s’est battu pour produire Convoi exceptionnel. Aucune chaîne hertzienne n’a voulu s’engager et, chez les investisseurs, le manque de culture et d’audace est effrayant. Heureusement que nous avons eu le soutien de Canal + et d’Orange, que tout le monde a fait des efforts (NDLR : Depardieu et Clavier ont un tout petit cachet et sont coproducteurs), que nous bénéficions du crédit d’impôt alloué au travail en Belgique et que nous avons réussi à réduire le temps de tournage à six semaines. Sans cela, Convoi exceptionnel serait devenu un projet avorté de plus pour Bertrand. Les banquiers et investisseurs sont obsédés par le jeunisme et trouvent que des auteurs comme Blier sont has-been. On me l’a dit les yeux dans les yeux. Ce discours me révolte !  » Blier, lui, garde son calme,  » teigneux dans l’âme, mais toujours de bonne humeur sur un plateau « , même pas vexé quand les assurances exigent qu’il ait un réalisateur de substitution en cas de pépin.  » Vu mon grand âge, c’est normal, commente-t-il, philosophe. J’ai choisi Jan Kounen ( Doberman). J’aime bien ce qu’il fait et c’est un copain.  »

Les scripts de Convoi exceptionnel  dans le décor.
Les scripts de Convoi exceptionnel dans le décor.© n. schul/sdp

Kounen ne sera pas dérangé. Blier, en forme, travaille vite et bien. Et non-stop puisqu’il écrit chaque soir de nouvelles séquences.  » J’ai fait une connerie, concède-t-il. J’ai remis un scénario trop court ! C’est la première fois que ça m’arrive.  » Les personnages ayant de nouvelles pages  » à vivre  » chaque jour, cela ressemble à un acte manqué.  » Le texte est ciselé, s’enthousiasme Christian Clavier. J’ai même eu un doute au début. Notamment sur la première réplique, que je trouvais trop littéraire. Et puis, j’ai entendu Gérard la dire…  » La tirade s’affiche sur tous les écrans de l’open space, censée avoir été écrite par un groupe d’auteurs de la vie des personnages :  » Je me trouve actuellement dans un embouteillage et, dans cet embouteillage, je pousse un Caddie ! Pourquoi je pousse un Caddie ? Qu’est-ce que c’est que ce Caddie ? Il m’emmerde, ce Caddie !  » Pas de doute, c’est du Blier !  » Vous verrez le résultat à l’automne « , promet-il. En partant, on salue tout de même Depardieu. Sa poignée de main est chaleureuse, son sourire est sincère. Comme le dit un adage chinois, une visite fait toujours plaisir, si ce n’est à l’arrivée, c’est au départ.

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