Livre de prière syriaque-arabe (Qondaq), Syrie, xviie siècle. © COLLECTION ANTOINE MAAMARI, BEYROUTH

Les trésors des chrétiens d’Orient

Des pièces uniques et rares, une scénographie soignée : Tourcoing, à la frontière franco-belge, accueille une exposition exceptionnelle consacrée au christianisme oriental arabe sous toutes ses facettes.

Après l’ouverture du Centre Pompidou-Metz en 2010, du Louvre-Lens en 2012, l’Institut du monde arabe (IMA) se lance à son tour dans la décentralisation culturelle. Le prestigieux musée parisien s’est implanté à Tourcoing, à un jet de pierre de la frontière belge, où il rénove et transforme une ancienne école de natation et sa piscine. Une collection permanente y est déjà installée et l’IMA-Tourcoing proposera, à l’horizon 2020, des expositions temporaires. Un projet considéré comme un pari sur la culture dans cette cité de la métropole lilloise où vit une importante communauté d’origine maghrébine.

Entre-temps, pour marquer avec éclat ce processus de délocalisation, le Musée des beaux-arts de Tourcoing (MUba) accueille, jusqu’au 11 juin prochain, l’exposition Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire, qui a connu ces derniers mois un vif succès à l’Institut du monde arabe, à Paris (près de 155 000 visiteurs). Jalonné de plus de 300 objets, dont certains encore jamais montrés en Europe, le parcours a été adapté au lieu et enrichi de nouveaux chefs-d’oeuvre. La scénographie soignée convie à envisager le christianisme oriental sous toutes ses facettes : historique, cultuelle, culturelle. Conçue en lien étroit avec les représentants des différentes communautés, l’évocation est circonscrite au monde arabe moyen-oriental : Terre sainte, Egypte, Liban, Syrie, Jordanie et Irak. Elle présente les chrétiens d’Orient dans leur pluralité et la complexité de leur histoire millénaire, de la splendeur des mosaïques des premières églises palestiniennes et syriennes aux portraits de moines coptes égyptiens, de la maquette en 3D du monastère de Saint-Syméon-le-Stylite au patrimoine des Eglises nestorienne et monophysite…

 » Dans nos pays occidentaux, le grand public connaît mal le rôle essentiel joué par les chrétiens en Orient depuis vingt siècles, estime Elodie Bouffard, chargée de collections et d’expositions à l’IMA. Voilà pourquoi nous avons mis l’accent, dès la première salle, sur leurs ancrages géographique et historique. C’est la première fois que l’Institut du monde arabe met sur pied une exposition qui brasse une thématique aussi large. Il a donc fallu sélectionner les oeuvres les plus significatives. La situation précaire des communautés chrétiennes en Irak, en Syrie, en Egypte et ailleurs est évoquée dans les médias, mais nous avons voulu leur rendre hommage autrement, et sans négliger l’aspect humain. L’avenir de ces communautés interpelle : pour la première fois depuis deux mille ans, nombre d’entre elles sont menacées dans leur existence. Au-delà du drame humain et des craintes pour la préservation d’un patrimoine matériel et immatériel deux fois millénaire, la diversité du monde arabe est remise en cause.  »

Blessed Marriage,  par Roger Anis,  Le Caire, 2015.
Blessed Marriage, par Roger Anis, Le Caire, 2015.© ROGER ANIS

Des passeurs culturels

Au viie siècle, la rapide conquête arabe, qui introduit l’islam au Moyen-Orient, est un défi pour les populations chrétiennes. Elles peuvent néanmoins garder leur religion, leurs lieux de culte et leurs biens. La proportion de chrétiens chute surtout à partir du xiiie siècle, mais ils continuent à jouer un rôle majeur dans sous les différents califats et dans l’Empire ottoman. Par la traduction, ils sont des passeurs culturels. Par leur place dans les arts, l’architecture, l’artisanat, ils participent à l’essor de la nouvelle civilisation dont ils adoptent la langue. Au xixe siècle, des penseurs chrétiens, souvent laïcs, s’impliquent dans l’éveil des nationalismes arabes et dépassent les traumatismes parfois sanglants de leur histoire.  » Aujourd’hui, derrière les horreurs de l’actualité et le développement de l’extrémisme émerge une conscience citoyenne dans la société arabe, assure Elodie Bouffard. L’exposition se conclut par les témoignages d’un avenir possible, option qui a été saluée par nos visiteurs chrétiens orientaux.  »

Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire, au Musée des beaux-arts de Tourcoing, jusqu’au 11 juin prochain. www.muba-tourcoing.fr

La guérison du paralytique,  fresque de Doura-Europos, Syrie, iiie siècle.
La guérison du paralytique, fresque de Doura-Europos, Syrie, iiie siècle.© YALE UNIVERSITY ART GALLERY

L’image du vrai Jésus ?

Parmi les trésors exposés au MUba de Tourcoing, deux fresques prêtées par l’université de Yale, dans le Connecticut, retiennent tout particulièrement l’attention. Ces peintures murales ont été découvertes en 1932 dans la maison-église de Doura-Europos, site archéologique de Syrie orientale entièrement pillé et saccagé par Daech ces dernières années. Pourvue d’un baptistère, cette domus ecclesiae est la plus ancienne chapelle chrétienne conservée et datée avec précision : sa construction remonte à 232 et son affectation en lieu de culte à l’an 241. La destruction volontaire de l’édifice lors des travaux de fortification de la ville en prévision d’une attaque sassanide, en 256, a eu pour résultat la préservation d’une grande partie du décor peint. Les deux fresques sont des scènes de miracles accomplis par le Christ : la guérison du paralytique à Capharnaüm et la marche sur les eaux pour sauver Simon-Pierre de la noyade. Sur la première, Jésus figure en jeune homme imberbe, aux cheveux courts bouclés, et portant la toge romaine (au ier siècle, la Palestine est sous domination romaine). Cette image est la toute première représentation de l’homme de Nazareth, si l’on exclut les allégories des catacombes de Rome et le graffiti injurieux du Palatin (iie siècle) montrant un Jésus à tête d’âne. Le portrait classique et peu réaliste d’un Jésus au teint blanc, barbu et moustachu aux cheveux longs – celui de l’art religieux chrétien, adopté aussi par le cinéma, la BD et les comédies musicales actuelles – ne s’était pas encore imposé.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire