© Montage/Belgaimage

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge

Le Vif

Pour Le Vif/L’Express, le philosophe Fabrice Midal ausculte huit personnalités belges et distingue les narcissiques sains, les orgueilleux et les vaniteux.

« Les Belges sont un peuple magnifiquement narcissique, au sens où j’entends ce terme. Point de vanité, mais une grande liberté. Aucun souci de l’image donnée de soi-même aux autres, mais un plein épanouissement de la fantaisie, de l’humour, de la singularité. Leur force ? Ils osent être eux-mêmes.

Là où le vaniteux, façon Donald Trump, veut d’abord paraître, être reconnu, admiré, flatté, pour compenser le peu d’amour et d’admiration qu’il éprouve pour lui-même, le narcissique se reconnaît suffisamment pour s’accepter, se respecter, s’autoriser. Il sait qui il est et n’a pas besoin, comme on dit, de « se la jouer ».

Narcissique est un beau mot, malheureusement dévoyé. Le narcissisme est aux antipodes de la vanité. On le confond à tort avec une sorte d’égocentrisme mesquin. Il est pourtant la condition de l’ouverture aux autres ! »

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge
© AFP

Charline Vanhoenacker

« Le succès de Charline en France vient de son narcissisme réussi. Ex-correspondante belge en France de la RTBF et du Soir, elle est aujourd’hui une star sur France Inter. Elle a osé pleinement être qui elle est, sans copier personne, en assumant ses coups de gueule et ses enthousiasmes. C’est son indifférence à plaire qui explique à la fois son narcissisme et son succès.

Ce qui chez elle me fascine par-dessus tout, c’est son courage à être impertinente. A ne pas dire ce que l’on attend d’elle ! »

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge
© BELGA

Bart De Wever

« A première vue, une personne qui suit un régime et perd 30 kilos est un bon exemple de narcissisme. Car il en faut du courage pour arrêter, comme il le dit, les pommes de terre, les pâtes et les frites ! Conscient que son grand-père et son père pesaient trop lourd, et soucieux de l’avenir de ses quatre enfants, Bart De Wever a pris suffisamment soin de lui pour changer. En étant narcissique, il sauve sa peau, car on sait les conséquences de l’obésité sur l’espérance de vie.

Maintenant, on se demande si son intention était de sauver sa peau ou d’essayer de faire passer ses idées pour plus séduisantes ? Si tel était le cas, le calcul est plus machiavélique que narcissique. »

Stromae

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge
© AFP

« Certainement que Stromae est narcissique ! Il n’en fait qu’à sa tête, voyez sa musique, ses clips, sa manière de s’habiller, il ne ressemble à personne et se fiche de ressembler à quiconque. Ça se sent qu’il est à l’écoute de ce qui pulse en lui. Il a arrêté de chanter à cause de soucis de santé et en profite pour soutenir à fond les projets mode de son épouse.

Une amie habitant Bruxelles me disait l’avoir croisé dans un café qu’il affectionne. Elle avait été très frappée par sa simplicité. Son naturel appelait le naturel des autres clients, pas de groupies enragées, juste des saluts souriants et quelques mots amicaux.

Ainsi, il est orgueilleux et humble à la fois. Orgueilleux, car il assume complètement son originalité et sa créativité, et humble car, paradoxalement, il ne se donne jamais en spectacle. Je crois que là est la clé du narcissique : avoir confiance en ce que nous faisons, même si cela ne plaît pas aux autres. »

Benoît Poelvoorde

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge
© PHOTOPQR/LA DEPECHE DU MIDI

« Etre narcissique, cela ne va pas de soi, et c’est ce que m’inspire Benoît Poelvoorde. Oscillant entre les films d’auteur et les blockbusters, entre son village dans le Namurois et les tapis rouges, on sent bien qu’il a dû lutter pour sauver sa peau. Etre absolument narcissique serait, pour lui, laisser enfin tomber le côté « petite souris » dont je parle dans mon livre, celle qui, ne se croyant pas à la hauteur, laisse difficilement rayonner toutes les ressources qu’elle a en elle.

Dans ses interviews, on décèle immédiatement un bon sens et un discernement hors du commun, tant à son propos qu’à celui du monde qui l’entoure. Ce sont des points de départ extraordinaires pour être narcissique. »

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge
© BELGA

Nafissatou Thiam

« Elle qui voyait les Jeux olympiques de Rio comme une préparation aux Jeux de Tokyo en 2020, on peut dire qu’elle a réussi à être narcissique ! Si elle a gagné l’heptathlon, c’est bien qu’elle a été suffisamment à l’écoute de toutes ses possibilités. Elle raconte dans une interview qu’elle a senti que c’était le moment, qu’elle était prête. Elle s’est autorisée à être entièrement à l’écoute de ses sensations, de son corps qui répondait parfaitement aux épreuves successives. Elle a alors complètement laissé tomber tout ce qu’elle avait planifié et fait confiance en ce qu’elle sentait sur le moment, et elle a gagné ! Si ça ce n’est pas être narcissique ! »

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge
© National

La Schtroumpfette

« Malgré ce que l’on pourrait croire, en voilà une qui n’est pas narcissique du tout. Seule Schtroumpfette au pays des Schtroumpfs, la voilà affublée de tous les stéréotypes possibles et imaginables du sexe féminin. Elle est vouée à s’accrocher à la seule ressource que lui a donné Peyo, son créateur, la beauté et son miroir. Cela aurait été tellement plus narcissique, d’une part de la libérer du regard extasié des Schtroumpfs, d’autre part de lui faire découvrir, au fil des bandes dessinées, qui elle est vraiment, avec ses talents propres, à l’instar de la palette des Schtroumpfs : farceur, acrobate, prudent, bricoleur, maladroit…

Cela reflète malheureusement un état douloureux de nos sociétés : nous sommes souvent conditionnés à nous conformer à une image donnée. Et particulièrement les femmes.

Tant de stars de la téléréalité semblent des produits formatés. Le problème est qu’au lieu de prendre soin de soi, elle se font du mal, cherchant à être quelqu’un d’autre, un être imaginaire, abstrait.

Ne me mécomprenez pas. Il est formidable de prendre soin de soi. J’adorais ma grand-mère qui, à plus de 90 ans, continuait à se faire belle, et refusait de me voir avant d’être allé chez le coiffeur. Mais sa manière d’être belle était aux antipodes de la Schtroumpfette. En se faisant belle, elle se faisait du bien et reprenait confiance en elle. Elle ne cherchait pas à correspondre à une image désincarnée, abstraite. Elle rencontrait la personne qu’elle était. »

Amélie Nothomb

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge
© AFP

« Voilà une personnalité déconcertante. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle se préoccupe peu du regard des autres. Amélie Nothomb est absolument singulière, elle ne rentre dans aucun cadre et ne répond à aucune étiquette. Elle est narcissique bien sûr car elle assume pleinement sa singularité. Cela ne veut pas dire qu’il est aisé pour elle d’être hors du commun, mais elle ne se recouvre d’aucun vernis, « elle fait avec », comme on dit. C’est d’autant plus courageux qu’elle est célèbre et donc observée. Un des traits du narcissisme, c’est de ne plus nous contraindre à la normalité mais bien plutôt de rencontrer ce qui a de plus singulier en nous. Je crois que nous sommes tous des atypiques, en attente de nous découvrir.

Ce qui me fascine chez elle, c’est la manière dont elle témoigne de ses difficultés, et du chemin qui a été le sien pour s’assumer. Elle témoigne qu’on ne naît pas narcissique, nous avons tous à apprendre à le devenir.

Amélie Nothomb consacre un temps important, tous les jours, à répondre à ses lecteurs avec qui elle a établi une relation profonde. C’est là aussi le vrai visage du narcissisme : parce que j’ose être qui je suis, j’ose m’aimer, je suis ouvert aux autres, soucieux de qui ils sont. Contrairement à ce que l’on raconte partout, c’est en étant narcissique que je peux vivre des relations réelles avec les autres. »

De Charline à Bart, de Stromae à Poelvoorde : le narcissisme à la belge
© AFP

Annie Cordy

« Quand je vous disais que les Belges étaient magnifiquement narcissiques ! Pour elle encore, c’est flagrant ! Une force vitale, une joie de vivre et un bagout qui ne s’excuse pas une minute d’être bruxellois. Avec ses tenues excentriques, ses chapeaux, ses boas, ses chansons drôlesques, on voit bien qu’elle n’attend pas les félicitations du jury pour être bien sans sa peau. Ici encore, le narcissisme ne revient pas se regarder le nombril mais assumer jusqu’au bout sa fantaisie. Pour moi qui, comme philosophe, ai parfois tendance à être un peu trop sérieux, c’est une leçon. J’aspire à être parfois un peu plus désinvolte. »

Par Fabrice Midal pour Le Vif/L’Express.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire