Un récit choral, une intelligence narrative et un dessin d'une douce précision. © PG

Le temps des Louves

La Louviéroise Flore Balthazar raconte la vie quotidienne d’une famille – la sienne – pendant l’Occupation. Un récit choral, universel mais surtout féministe. Difficile de ne pas l’être avec une aïeule comme Tantelle.

A l’origine, le Parisien José-Louis Bocquet, directeur éditorial de la prestigieuse collection Aire Libre chez Dupuis (mais qui possède certes des racines louviéroises), avait demandé à la dessinatrice Flore Balthazar d’envisager un premier scénario original et une bande dessinée autour de son grand-oncle : André Balthazar, fameux poète et écrivain de La Louvière, attaché au mouvement Cobra, proche de Pol Bury, et fondateur de la revue et des éditions Daily-Bul, qui perdurent aujourd’hui (lire l’encadré). Le projet est beau et un peu arty, et Flore vient justement d’achever un album autour de la peintre Frida Kahlo, avec Jean-Luc Cornette. Mais la jeune femme, maligne et féministe par nature ( » Je suis plus à l’aise avec des personnages féminins, pas par militantisme mais parce qu’il m’est simplement plus facile de m’y identifier « ) l’écarte. Elle a bien mieux sous le coude à proposer en ce qui concerne sa famille, et en particulier les femmes d’exception qui la composent.

Les Louves, un roman graphique qui est aussi un récit d'émancipation.
Les Louves, un roman graphique qui est aussi un récit d’émancipation.© PG

Sa grand-tante Marcelle, alias Tantelle, a précieusement conservé le journal intime qu’elle avait tenu pendant la guerre. Les récits simples et quotidiens d’une adolescente soudain privée de son père prisonnier au stalag, d’une mère qui doit désormais se débrouiller avec ses cinq enfants, et d’une famille – dont le petit André – dont on n’est pas tout à fait sûr que tous survivront ou sortiront entiers des bombardements (américains ! ) qui vont frapper et détruire La Louvière en 1944. Mieux : Tantelle ne s’est pas contentée de garder son journal et d’en tirer de nombreuses histoires qu’elle racontait à Flore quand celle-ci était gamine ; elle l’a dactylographié en 1987.  » Elle voulait que toute l’histoire soit noir sur blanc à notre disposition. Ça a été mon premier matériau pour Les Louves, parce que c’est aussi un récit d’émancipation. C’est l’histoire d’une famille pendant l’Occupation, mais qui peut aussi être celle de toutes les familles, pendant toutes les Occupations.  » Aux côtés de Flore, lors de la présentation de son livre et de son expo à La Louvière, Tantelle opine face à la presse et aux officiels. A 92 ans, elle a gardé quelque chose de la pétillance de Marcelle, l’héroïne des Louves.

Le temps des Louves
© CHLOE VOLLMER-LO

Esprit libre

 » Je suis contente que Flore ait réalisé cet album bien sûr, elle lui a donné une tout autre forme que ce que j’avais fait, mais dans cette famille, on a toujours beaucoup écrit, on était obligés !  » explique la nonagénaire, aïeule de cette lignée pas comme les autres, où l’érudition n’a semble-t-il jamais eu de sexe.  » Il y a toujours eu un esprit très libre, on pouvait discuter de tout. Mais ma mère était très sévère sur l’écriture, l’orthographe, elle était très fâchée quand j’ai été battue d’un demi-point au concours cantonal ! Mais ça, c’était avant la guerre. Là, soudain, ce qu’il fallait, c’était trouver du pain, nourrir les petits, les habiller, et ne pas se tromper de lieu de refuge, entre la cave et le jardin, pendant les bombardements… C’est à la fois la période la plus dramatique de ma vie, mais aussi la plus riche. C’était une époque avec beaucoup de correspondance. Je n’ai jamais écrit autant !  »

Les Louves. Femmes en résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, par Flore Balthazar, éd. Dupuis, 200 p.
Les Louves. Femmes en résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, par Flore Balthazar, éd. Dupuis, 200 p.

Flore enchaîne.  » La question qui m’intéressait était de comprendre comment une femme avec cinq enfants et un mari prisonnier en Allemagne a-t-elle tenu le coup ? Pendant que les mecs se battaient, comment faisaient les femmes pour se nourrir, se débrouiller ? Elles vivaient plein de petites aventures, avec beaucoup de drame, mais aussi de romanesque et de légèreté, avec cette joie de vivre qui n’appartient qu’à l’adolescence. Je devais juste bien choisir où tordre un peu les faits réels, comment les incarner et les interpréter dans une fiction, pour en tirer une « vraie » bande dessinée.  »

Flore Balthazar a raison de nous ramener à l’essentiel : Les Louves est effectivement et d’abord une excellente bande dessinée, un roman graphique de 180 planches qui n’oublient jamais d’être romanesques,et d’user de la fiction pour mieux faire ressentir aux lecteurs le goût du vrai, du quotidien presque banal de cette famille ordinaire, soudain emportée dans l’extraordinaire et le drame historique. Un drame historique également incarné par un personnage de fiction, Marguerite, amie de Marcelle, mais directement inspirée de la véritable Marguerite Bervoets, fameuse résistante louviéroise, guillotinée par les Allemands. Avec son récit choral, son intelligence narrative et son dessin d’une douce précision, Flore Balthazar s’invite ainsi, et définitivement, à la table des auteurs et des autrices  » qui comptent « . Pas un hasard si Aire Libre en a fait le premier nouvel album de son 30e anniversaire.

Des pages à l’expo

 » Trop tard, les Loups attaqués, les vieux Loups fatigués des guerres, partirent au combat. Leurs Louves se réfugièrent au fond des tanières, serrant contre elles leurs Louveteaux.  » Ainsi commence le récit de Flore Balthazar, dont on peut découvrir les planches originales et les splendides couleurs directes pendant quelques jours encore dans le centre d’archives et de recherches Daily-Bul à La Louvière, dédié au mouvement Cobra et au grand-oncle de Flore, André Balthazar. Un très joli lieu qui a très intelligemment fait les choses : en complément des planches, la famille Balthazar a exhumé nombre de documents d’époque, photos et lettres qui, avec les archives du fonds, plongent littéralement le visiteur dans l’ambiance de La Louvière en temps de guerre, mais aussi dans l’esprit fin de cette famille décidément remarquable.

Les Louves : au Centre Daily-Bul & Co, à La Louvière, jusqu’au 15 avril. www.dailybulandco.be

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