27 janvier 1941. Le jeune homme photographié à son arrivée à Mauthausen, camp classé par les nazis comme le plus dur du système concentrationnaire.

Le photographe de Mauthausen

Francisco Boix fut témoin et chroniqueur de l’enfer concentrationnaire. Il réussit, avec d’autres camarades, à y dérober les clichés pris par des SS, puis à en réaliser lui-même. Plus de 2 000 photographies serviront de pièces à conviction.

Mauthausen, camp de concentration autrichien. Le régime hitlérien y envoie les  » ennemis politiques incorrigibles « , de nombreux prisonniers de guerre, mais aussi, en moins grand nombre, des résistants, des détenus de droit commun, des homosexuels et des Juifs. Egalement, plus de 7 000 Espagnols, combattants républicains réfugiés en France en 1939 et emprisonnés par les nazis quand, en mai 1940, l’armée allemande pénètre en territoire français.

Francisco Boix est déporté à Mauthausen en janvier 1941. Il a vingt ans à peine, mais a beaucoup vécu. Surtout, le jeune homme se révèle déjà un authentique photographe. Une passion héritée de son père, Bartolomé, qui possède un magasin de vêtements à Barcelone. C’est au fond de sa boutique que Bartolomé installe un labo photo et initie son fils. Francisco devient militant en mars 1936, adhérant aux Jeunesses socialistes unifiées, au sein desquelles l’adolescent s’exerce au journalisme avant d’intégrer une unité militaire républicaine. A 17 ans, on le retrouve combattant les troupes de Franco… et déjà, son Leica et lui sont inséparables.

C’est ce parcours peu banal que l’historien madrilène Benito Bermejo retrace dans Le photographe de Mauthausen, traduit aujourd’hui en français. Le biographe est célèbre pour avoir démasqué une icône antifranquiste : Enric Marco, vieil homme qui présidait alors l’Amicale de Mauthausen, mais qui n’avait jamais mis les pieds au camp nazi de Flossenbürg, en Bavière… contrairement à ce qu’il racontait depuis un quart de siècle. En 1941, le faux déporté travaillait comme volontaire civil dans une usine de montage à Kiel, au nord de l’Allemagne.

Au coeur du Photographe de Mauthausen, les photos prises à l’intérieur du camp par des SS, volées et cachées par des détenus, dont Francisco Boix dans le rôle central, ainsi que leur itinéraire après la Libération. Vers août 1941, s’étant déclaré photographe, Francisco Boix est affecté à l’Erkennungsdienst, le service d’identification. Cette cellule, qui emploiera jusqu’à sept détenus, est chargée de photographier chaque déporté à son arrivée – sous trois angles (face, demi-profil, profil), avec son numéro en évidence sur une pancarte tenue devant la poitrine – ainsi qu’à son décès, mais aussi les visites de dignitaires nazis, les photos d’identité des officiers SS. A ces tâches s’ajoutent vite des clichés du quotidien, le développement des pellicules personnelles des SS.

Par leurs fonctions, ces Prominenten, ou détenus de  » haut rang « , disposent d’une certaine liberté de mouvement, et ne sont surveillés que par un seul SS. Ainsi, dès février 1943, selon Francisco Boix, le chef SS de l’Erkennungsdienst, Paul Ricken, reçoit l’ordre de Berlin de détruire tout le matériel, mais il ne s’exécute qu’en petite partie. Il en a vite assez et demande à deux détenus, Francisco Boix et Antonio Garcia, de finir le travail. L’opération dure plusieurs jours, durant lesquels les deux prisonniers préservent des preuves précieuses d’avant 1943. Puis, le corpus s’accroît au cours des deux années et demie suivantes. Les clichés sont dissimulés dans différents endroits du camp, jusqu’à la Libération. Pour sauvegarder le lot, une partie est exfiltrée à partir de l’automne 1944. La mission est confiée à deux jeunes Espagnols chargés d’apporter les repas au Kommando Poschacher (une entreprise qui possédait une carrière et employait des détenus), depuis le camp jusqu’au village, et qui, de ce fait, jouissent d’une liberté limitée. Les images sont alors confiée à Anna Pointner, une jeune habitante du village, qui les conserve dans son jardin jusqu’à la Libération.

Le 5 mai 1945, Boix figure parmi les deux mille survivants espagnols du camp libéré par les Américains. Avec un Leica, il immortalise l’arrivée de la première patrouille de reconnaissance américaine et les folles journées qui suivirent.

Ces plus de 2 000 photographies constitueront autant d’éléments à charge contre le régime nazi lors du procès de Nuremberg et de Dachau, où Francisco Boix sera le seul Espagnol à venir témoigner. Il meurt en 1951, à l’âge de 31 ans, malade depuis son retour de Mauthausen.

Le livre de Benito Bermejo rend hommage à celui dont le nom et les photographies étaient tombés dans l’oubli.

Par Soraya Ghali

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