En juin 2016, l'Islande bat l'Angleterre lors de l'Euro 2016. Tout un pays exulte... © Alex Livesey/Getty Images

Football et politique : l’Islande, le petit volcan conquérant

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Treizième volet : comment l’Islande a fait chavirer l’Europe en 2016, avant de devenir le plus petit pays par sa population à se qualifier pour un Mondial.

C’est le coup de coeur de l’Euro 2016. L’Islande, petit pays de 335 000 âmes, fait sensation en atteignant les quarts de finale de la compétition pour sa première participation. Sur le terrain, ses joueurs font preuve d’une combativité peu commune. Et à la fin des matches, leur communion avec leurs supporters enchante : c’est le fameux  » clapping  » entamé sur la pelouse, relayé dans les tribunes. Une salve d’applaudissements lente, dont l’accélération crescendo donne des frissons. Un cérémonial digne du  » haka  » néo-zélandais, cette danse guerrière qui sidère l’adversaire. Les Islandais ne sont pas des Vikings pour rien.

« Ne me réveillez pas ! »

Le 27 juin 2016, à Nice, l’Islande défie l’Angleterre, un monument. Le pays du football est le modèle absolu des fans nordiques, qui soutiennent tous une équipe du top anglais. Parce que l’Islande est à ce point petite qu’elle a besoin de regarder ailleurs : il y a, dans cette île, davantage de volcans (130) que de joueurs professionnels (une centaine). C’est David contre Goliath. Disproportionnée, la lutte commence sur un mode attendu : Wayne Rooney ouvre la marque après quatre minutes de jeu. Mais, trop confiants, trahis par un gardien fébrile, les Anglais se laissent déborder par l’enthousiasme de leurs adversaires : Ragnar Sigurdsson et Kolbeinn Sigthorsson renversent la vapeur. 2-1, score final. Le  » clapping « , ce soir-là, a une saveur particulière.  » Ne me réveillez pas ! « , hurle le commentateur de la télévision islandaise, Gudmundur Benediktsson.

Cette défaite de l’Angleterre est une métaphore du Brexit : quatre jours plus tôt, les Britanniques ont voté pour la sortie de l’Europe, leur équipe nationale suit le même chemin. Ce pourrait être un passage de témoin, aussi. L’Islande a rêvé un temps de rejoindre l’Union, au point d’avoir déposé sa candidature en 2009 avant de la retirer quatre ans plus tard, à la suite d’une alternance politique. Depuis, la classe politique souffle le chaud et le froid, sur fond de défiance européenne, mais a promis de soumettre la reprise des négociations à référendum. Le vent de l’Euro de football plaide en faveur de ce rapprochement : un dixième de la population islandaise a fait le voyage dans l’Hexagone pour supporter son équipe. Une ferveur inimaginable. Même l’élimination par la France en quarts sur un score sans appel – 5-2 – ne ternit pas cette aventure transformée en rêve. Et en réhabilitation nationale.

Car économiquement, l’Islande revient de très loin. En 2008, la crise financière engendrée par les prêts hypothécaires pourris venus des Etats-Unis, les fameux subprimes, mène le pays au bord de la faillite. Devenu une place forte financière, il subit de plein fouet l’effondrement des filières de banques étrangères. L’Etat doit les sauver. Mais la tempête souffle contre les politiques. Les citoyens protestent bruyamment en menant une  » révolution des casseroles  » semblable à celle déclenchée en Argentine quelques années auparavant. K.-O., le pays entre dans une longue période de résilience. En février 2009, la sociale-démocrate Johanna Sigurdardottir devient la première cheffe de gouvernement homosexuelle. L’Islande rembourse ses dettes, procède à des réformes, renoue avec la croissance en 2011, tandis qu’une assemblée composée de citoyens rédige une nouvelle Constitution. L’éruption du volcan Eyjafjöll, en avril 2010, symbolise cette période d’agitation, provoquant l’annulation de plus de 100 000 vols en Europe en raison de son nuage de cendres. Les jeunes émigrent par milliers. Le football devient un moyen de résistance à cette crise multidimensionnelle.

Manifestation, en novembre 2008, à Reykjavik, contre le sauvetage, par l'Etat islandais, de filières de banques étrangères.
Manifestation, en novembre 2008, à Reykjavik, contre le sauvetage, par l’Etat islandais, de filières de banques étrangères.© HALLDOR KOLBEINS/belgaimage

« Nous sommes une famille »

Cette nation de pêcheurs sait ce que signifie l’ardeur à la tâche et possède la détermination collective nécessaire pour se relever des mauvaises saisons. Un important programme de coaching est mis en oeuvre. De futurs entraîneurs vont se former en Angleterre, faisant de l’Islande l’un des pays abritant le plus grand nombre de coachs au kilomètre carré : un pour 825 personnes, contre un pour 11 000 en Angleterre. Le résultat suit. Des jeunes pousses de l’académie Breidablik – l’équivalent de la Masia à Barcelone – commencent à percer. A l’image de Gylfi Sigurdsson, qui rejoint celle de Reading à 18 ans avant de faire les beaux jours des clubs du top anglais. Le pays investit judicieusement dans des infrastructures permettant aux jeunes de pratiquer leur sport favori, partout, par tous les temps. Des terrains sont installés le long des écoles, des pelouses synthétiques défient la neige, couvertes pour l’hiver.  » C’est le paradis du football « , s’extasient les connaisseurs.

La génération de l’Euro 2016 est la première à bénéficier de ce programme. Portée par un coach suédois adulé en Islande, Lars Lagerbäck. Juste une transition : après la folle aventure française, il part entraîner la Norvège. Son adjoint, Heimir Hallgrimsson, le remplace. Non sans hésiter : comment faire mieux après cette prouesse inédite ? Mais l’homme, qui reste dentiste à temps partiel, fait partie de ces Islandais qui veulent croire en leur destinée.  » Tout le monde est ami, tout le monde se bat l’un pour l’autre, insiste-t-il. Vous ne pouvez pas faire cela rien qu’avec des individualités. Nous sommes une famille.  » Qui multiplie les exploits : l’Islande s’est qualifiée pour la Russie en remportant un groupe relevé, devant la Croatie, l’Ukraine, la Finlande et la Turquie.

La Coupe du monde 2018 sera la première de ces Vikings. Le plus petit pays à participer à une phase finale, encore, battant le record établi en 2006 par Trinité et Tobago (1,3 million d’habitants). Pour y arriver, le 9 octobre 2017, l’Islande a battu un autre Petit Poucet improbable, le Kosovo, reconnu par la Fifa, mais pas par toute la communauté internationale (23 pays européens sur 28, à ce jour). Deux buts marqués par Gylfi Sigurdsson et Johann Berg Gudmundsson, qui évolue lui aussi en Angleterre, à Burnley, annoncent de nouveaux  » clappings  » au pays de Poutine. Politiquement, une coalition de centre-gauche, à orientation écologiste, a repris le pouvoir en novembre dernier après une série de scandales. Avec, à sa tête, l’ancienne ministre de l’Education, Katrin Jakobsdottir. L’occasion, ces prochains mois, de perpétuer ce modèle pour la jeunesse qui fait de l’Islande une équipe à suivre.

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