Le pays vert

Cette immense masse de glace, gelée sur 3 000 mètres de profondeur, la plus grande île de la planète, grande comme quatre fois la France, curieusement nommée le Groenland, est en train de devenir l’un des plus grands enjeux géopolitiques. A priori, ce n’est pas une terre riante : une température toujours inférieure à zéro, sauf dans une mince zone côtière du sud-ouest, habitée par 57 000 habitants (dont 88 % d’Inuits, peuple arrivé au xiiie siècle) qui battent tous les records d’alcoolisme et de suicide. Plus influencée par le Canada que par l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, la région est administrativement rattachée au Danemark, qui finance les deux tiers de son PIB par une subvention de 400 millions d’euros en échange de l’installation, à Thulé, d’une importante base de l’Otan. Et pourtant, les habitants de cette terre inhospitalière ont fait un pas de plus vers leur indépendance : après s’être, en 1985, éloignés de la Communauté économique européenne, à laquelle venait d’adhérer le Danemark, les électeurs du Groenland viennent de décider, à 75 %, de se considérer comme autonomes par rapport au Danemark, lui laissant néanmoins le contrôle de la politique étrangère et de la défense.

S’ils ont agi ainsi, c’est parce que le réchauffement climatique pourrait rendre ce pays plus habitable, qu’une voie navigable ouvrirait alors la route du pôle, et surtout que seraient exploitées des ressources minières peut-être considérables mais non encore comptabilisées dans les réserves mondiales : le Groenland pourrait en effet posséder de 30 à 90 milliards de barils de pétrole et 47 milliards de mètres cubes de gaz naturel et de gaz liquéfié, soit près du quart des réserves d’hydrocarbures du monde ! Il posséderait aussi de nombreux minéraux (or, niobium, tantale, uranium, fer et diamant). Selon un accord passé récemment, les revenus de ces gisements seront, au-delà de 12 millions de dollars, partagés à égalité avec le Danemark. Ce qui veut dire que, très vite, si de telles ressources sont découvertes, le Groenland aura intérêt à l’indépendance. Mais, comme il n’aura pas la capacité administrative de la gérer, bien des scénarios sont possibles : une invasion d’une population venue d’un pays tiers pour s’approprier ces ressources, ou une guerre entre riverains, tels l’Otan et la Russie, pour en prendre le contrôle. Décidément, l’Europe n’est pas encore sortie de l’Histoire.

j@attali.com

de Jacques Attali

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