Román Torres devient héros en qualifiant son pays dans les dernières minutes. © RODRIGO ARANGUA/belgaimage

Football et politique: le Panama, le nouveau paradis artificiel

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le Vif/L’Express montre, à travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde de football 2018, combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Troisième épisode : comment le Panama s’est miraculeusement qualifié pour la Russie, une première dans son histoire, et comment son président surfe habilement sur les vagues du succès.

« Dieu est Panaméen.  » Le titre barre la Une du quotidien El Siglo du 11 octobre dernier et, à vrai dire, on a tendance à le croire. La qualification du Panama pour la Coupe du monde 2018 en Russie est une première dans l’histoire de ce petit pays d’Amérique centrale et ses quatre millions d’habitants la vivent comme un rêve éveillé. Elle leur vaut même un jour de congé, décrété par le président Juan Carlos Varela, élu en 2014. Ce miracle, acquis de haute lutte, avec un arbitre conciliant, un buteur de légende et un magnifique  » goooooool  » à la télé, symbolise leur fierté retrouvée.

L’exploit sportif, forgé dans les ultimes minutes du dernier match contre le Costa Rica, est d’autant plus spectaculaire qu’il a été obtenu, à distance, au détriment du géant américain, ombre tutélaire du pays depuis toujours. Les Etats-Unis, battus au même moment par le minuscule Trinité-et-Tobago, manquent la phase finale d’un Mondial pour la première fois depuis 1986. Le Panama, lui, aperçoit la lumière céleste grâce à une erreur et une prouesse. Sur un corner, l’arbitre guatémaltèque Walter López Castellanos accorde le premier but de l’égalisation contre le Costa Rica, alors que la balle n’a clairement pas franchi la ligne. Mais le but de la victoire, lui, est somptueux : profitant d’une déviation de la tête, le capitaine panaméen Román Torres fonce vers le but, résiste à la charge d’un adversaire et pilonne dans les filets. Pas mal pour un défenseur central !

Tandis que le  » goooooool  » du commentateur résonne sans fin, Torres court saluer la foule en délire. A 31 ans, c’est un bad boy assagi, avec ses dreadlocks, ses tatouages et sa carrure de rugbyman. Un ange gladiateur. Il écope d’une carte jaune pour avoir retiré son maillot en guise de célébration. Telle est la règle, étrange : n’est-ce pas grâce à de tels moments hors du temps que le football est devenu une religion, partout ? On ne pouvait trouver de héros plus approprié que Román Torres pour symboliser l’entrée du Panama dans une nouvelle ère. Né à Panama City, le futur capitaine de l’équipe nationale avait tout juste 3 ans lors de l’intervention militaire américaine décidée en 1989 par George Bush père pour renverser le dictateur Manuel Noriega. Aujourd’hui, Torres finit sa carrière aux Seattle Sounders après de belles années en Colombie. Et se réjouit que la vie soit désormais  » meilleure et plus prospère  » pour les citoyens de son pays. Amen.

Pistolero

Indépendant de la Colombie depuis 1903 seulement, malmené politiquement pendant des décennies et transformé en enjeu stratégique à cause du canal qui porte son nom, le Panama a débuté tardivement son essor footbalistique. Longtemps, le peuple lui a préféré le base-ball. La première participation de l’équipe nationale aux éliminatoires du Mondial ne date que de 1978. La création d’un championnat national digne de ce nom n’a eu lieu que dix ans plus tard. Ajoutez à cela qu’au coeur de l’Amérique centrale, il n’est guère évident d’échapper à un destin dramatique en raison des violences dues à la guerre des gangs de la drogue, et vous comprendrez à quel point le Panama revient de loin.

Gary Stempel, entraîneur britannique d’origine panaméenne, peut en témoigner. Durant les années 1990-2000, il a entraîné les équipes d’âge de la fédération, pour finalement diriger l’équipe première en 2008-2009.  » Tous les jeunes étaient issus de milieux très pauvres, raconte-t-il. A l’âge de 15 ans, la plupart d’entre eux étaient déjà pères, certains avaient fait de la prison. Un de mes joueurs se nommait Pistolero et je peux vous dire que cela n’avait rien à voir avec le football : il avait cette réputation depuis l’âge de 13 ou 14 ans.  » En Amérique centrale, la violence peut survenir à tout moment : l’un des principaux internationaux du pays, Amilcar Henriquez, a été assassiné en sortant de sa maison de Colón, en avril 2016, par des adolescents au mobile inconnu. En hommage à ses 82 sélections, les dirigeants de l’équipe nationale ont supprimé le numéro 21 qui lui appartenait. Après de telles souffrances, on comprend mieux la saveur particulière que revêt la qualification pour le Mondial russe des Canaleros (les hommes du canal) ou de la Marea Roja (Marée rouge) – au choix, ce sont les deux surnoms de l’équipe.

Panama, ce
Panama, ce  » paradis fiscal  » où un quart de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté.© Zoya Stafienko/getty image

Panama Papers

Sportivement, ce n’est pas une formation de stars. La plupart sont trentenaires et jouent dans des ligues de faible niveau, au Panama, au Guatemala, au Pérou, voire aux Etats-Unis ou en Colombie pour les meilleurs. Il y gagnent des salaires moyens. Le foot est un sport de contrastes. Lors des Panama Papers, cette vaste affaire de fraude fiscale révélée l’an dernier, le nom de Lionel Messi a été cité parce qu’il possédait une société offshore dans ce petit paradis fiscal.  » Leo  » a assuré que son entreprise n’avait  » jamais eu de fonds « . Mais il est bien une morale à cette histoire : les paradis fiscaux ne profitent pas, en premier lieu, à ceux qui y résident. Aujourd’hui encore, un quart des Panaméens vivent toujours sous le seuil de pauvreté.

Juan Carlos Varela ne s’en laisse pourtant pas compter.  » Je ne suis pas sûr qu’on ait baptisé les Panama Papers de façon adéquate, dénonce-t-il. Il eut été plus approprié de les nommer du nom du cabinet d’avocats Mossack Fonseca, dont les bureaux sont partout dans le monde.  » Elu en 2014 sur un programme de transparence, le président a profité des révélations du Consortium international des journalistes d’investigation pour vanter dans le monde entier les vertus économiques retrouvées du pays, redevenu un phare touristique aux côtés du Costa Rica. En juin dernier, Varela a inauguré le nouveau canal de Panama : l’ouvrage élargi, redevenu priorité du Panama fin 1999, accueillera davantage de bateaux, pour continuer à engendrer un tiers du PIB national. Et tant pis si le coût du chantier a largement explosé.

Il paraît qu’un bonheur n’arrive jamais seul. En 2018, Varela accompagnera Román Torres et les siens en Russie. L’homme surfe habilement sur les vagues du succès. C’est cela aussi, le nouveau Panama.

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