Theo Francken en uniforme de la Wehrmacht : le photomontage d'Ecolo J a indigné le secrétaire d'Etat. © BELGAIMAGE

Le nazisme (et le reste) expliqué à Theo Francken

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

A-t-on raison de traiter Theo Francken de nazi ? Non. Est-il d’extrême droite ? Est-il un facho, un collabo, un flamingant ? Et son parti, alors ? Essayons de nommer les choses, à l’aide d’un lexique politique.

? Extrême droite n’est pas un gros mot. Il s’emploie pour caractériser les formations et les gens qui se situent le plus à droite d’un système politique. Ce n’est pas un gros mot, c’est même une qualification scientifique, mais la qualification est méchante. Les scientifiques se disputent pas mal sur sa définition. La plus convaincante vient de Norvège, d’où, depuis son bureau de l’université d’Oslo, le grand politiste Bernt Hagtvet a extrait huit critères à envisager lorsque l’on diagnostique une formation ou une personne : le rejet de la démocratie représentative, la dimension populiste, la valorisation de la nation, l’ethnocentrisme, le pessimisme culturel, les thématiques sécuritaires, un certain goût pour la violence, et l’hostilité envers le communisme et le libéralisme. Sont d’extrême droite ceux et celles qui placent une croix, gammée ou pas, dans chacune des huit cases. Son article ( » Right-Wing Extremism in Europe « ), Bernt Hagtvet l’écrivait en 1994. Sept ans avant la fondation de la N-VA, et seize ans après la naissance de Theo Francken. Ce n’était pas mal vu. Même si c’est méchant.

– Nazi est un très très gros mot. Il s’emploie pour caractériser les formations et les gens qui se réclament du nazisme allemand, une contraction du mot- valise national-socialiste, inventé par Hitler, Adolf, et mis en application dans les années 1930 et 1940. Hitler n’était pas socialiste. Il haïssait le socialisme. Il était nationaliste et d’extrême droite, mais avait trouvé que ça ferait bien de faire croire que son nationalisme était socialiste. Le bilan chiffré du nazisme, confirmé par les plus rigoureux instituts de monitoring, est assez parlant : avec à son actif un génocide et une guerre mondiale à 50 millions de morts, l’idéologie nationale-socialiste est ce qui se rapproche le plus du mal absolu. C’est pourquoi les continuateurs explicites de l’oeuvre d’Hitler sont plutôt rares de nos jours, et pourquoi le point Godwin, qu’atteignent ceux qui traitent leur contradicteur de nazi, est si redouté des débatteurs. Aux nazis s’oppose tout le monde : la gauche et la droite, le centre et les côtés, le nord et le sud, les jeunes écologistes chevelus et les secrétaires d’Etat N-VA au crâne rasé. Et donc tout le monde a le droit de déposer plainte contre celui qui le traite de nazi. Voila pourquoi il vaut mieux ne traiter personne de nazi, même quand on en a très envie : c’est rarement mérité, et jamais

Il y a quelques années, Theo Francken se faisait appeler u0022Leideru0022 par ses amis nationalistes. Comme Staf De Clercq

– Fasciste est un très gros mot. Il s’emploie pour caractériser les formations et les gens qui se réclament du fascisme italien, inventé par Mussolini, Benito. Le fascisme est une idéologie autoritaire d’extrême droite qui se distingue du nazisme par un antisémitisme moins obsessionnel. S’il n’a pas à son bilan de génocide – quoique les guerres coloniales italiennes fascistes industrialisèrent la sauvagerie -, son implication dans une guerre mondiale aura été notoire, et c’est pourquoi ses continuateurs explicites, certes plus nombreux que les nazis, se recensent en effectifs limités, surtout dans nos territoires septentrionaux. La caractérisation de fasciste, ou de facho, est moins inutile que celle de nazi : le facho putatif peut beaucoup moins se faire plaindre de s’être fait traiter de facho que le nazi allégué. Aux fascistes s’oppose néanmoins également tout le monde, dont Theo Francken et à peu près toute la N-VA, mais surtout tous les autres, et en particulier les antifascistes, ou antifas voire antifafs. Mais à ceux qui s’opposent aux fachos s’opposent aussi ceux qui s’opposent au  » politiquement correct « , ce qui fait que ceux-ci se font aussi traiter de fachos par ceux-là. Or, Theo Francken s’oppose aussi aux antifas, dont il a dénoncé les récentes violences contre des manifestants racistes aux Etats-Unis. Les premiers veulent retirer les statues de certains espaces publics : Theo Francken a trouvé ça révoltant. Certains des seconds foncent avec leur voiture dans la foule des premiers : Theo Francken n’en a pas parlé. C’était certainement trop politiquement correct.

– Collabo est un gros mot. Il s’emploie pour caractériser les formations et les gens qui se réclament de ceux qui ont servi les nazis allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, ces formations et ces gens étant eux-mêmes très souvent nazis ou fascistes, mais pas toujours. Par exemple, le Vlaams Nationaal Verbond (VNV) du Leider Staf De Clercq n’a pas tout de suite été collabo : il lui a fallu attendre l’occupation allemande pour cela, et il avait, avant ça, mis quelques années avant de se décider à embrasser la cause fasciste, puis nazie. Aujourd’hui, Jan Jambon trouve que ces gens-là avaient  » leurs raisons  » de collaborer avec un ordre injuste, et Theo Francken, qui dépose plainte quand on le traite de nazi, fête les 90 ans d’un vieux monsieur qui avait collaboré avec les nazis. Aux collabos s’opposaient les résistants qui, eux, n’étaient jamais ni nazis ni fascistes. Mais aujourd’hui que tout le monde aime dire qu’il résiste à un ordre injuste, tout le monde est un résistant qui s’oppose à des collabos. Dans la Belgique de 2017, le PP considère Zakia Khattabi comme une collabo et Mischaël Modrikamen comme un résistant. Dans celle de 2014, Benoît Lutgen prenait même les réformateurs pour des collabos et les siens pour des résistants (et mordant).

– Flamingant n’est pas un gros mot. Il s’emploie pour caractériser les formations et les gens qui estiment que les Flamands n’ont, en Belgique, pas assez de pouvoir. Tous les flamingants ne sont pas d’extrême droite, ni nazis, ni fascistes, ni même collabos : il y a eu des flamingants socialistes dans la Belgique d’hier, et il y a même, dans la Belgique d’aujourd’hui, des antifas flamingants. Aux flamingants s’opposent non seulement les belgicains, en voie de disparition, mais aussi ceux qui trouvent que les Flamands ont aujourd’hui assez de pouvoir. La qualification de flamingant n’est pas infamante. Pourtant, lorsqu’elle s’applique à ceux qui s’identifient à ceux parmi les flamingants qui choisirent l’extrême droite, le nazisme, le fascisme, la collaboration ou les quatre ensemble, elle peut se révéler fort salissante. Il y a quelques années, Theo Francken animait, avec quelques amis, dont l’actuel porte-parole de son parti, l’actuelle numéro 2 du gouvernement flamand et l’actuel chef de groupe de son parti, un petit groupe de copains qu’ils appelaient le Vlaams-Nationale Vriendenkring (VNV), dont il était le Leider, tout juste comme le flamingant, collabo, fasciste, nazi d’extrême droite Staf De Clercq. Mais, disait-il, c’était pour rire.

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