Le jambon espagnol, l’artichaut italien

Christian Makarian

L’actualité donne raison à l’historien Fernand Braudel lorsqu’il différenciait les deux péninsules, l’ibérique et l’italienne, le Bouclier et la Botte. Au-delà des caractéristiques géographiques, éminemment méditerranéennes, ce qui rapproche ces deux pays le cède à tout ce qui les éloigne l’un de l’autre. Pas seulement parce que le parlement catalan a voté l’indépendance, le 27 octobre dernier, et que le Sénat espagnol a immédiatement répliqué en approuvant la mise sous tutelle de la Catalogne.

 » L’Italie est comme un artichaut qu’il faut manger feuille à feuille « , disait très subtilement Metternich,  » dessinateur  » réactionnaire de l’Europe post- napoléonienne. L’Espagne évoque plutôt un jambon entrelardé et charnu, que l’on tranche avec une lame exemplaire et d’une main ferme. Alors que la crise politique entre Madrid et Barcelone prend un tour dramatique et imprévisible, le référendum consultatif qui vient d’avoir lieu en Lombardie et en Vénétie, le 22 octobre, marque la différence entre les deux approches de la spécificité régionale.

A la question  » Souhaitez-vous que votre région dispose de plus d’autonomie ? « , le oui l’a emporté à 95 % en Lombardie et à 98 % en Vénétie. Même si le taux de participation a atteint respectivement 37 % et 57 %, ce qui rend le scrutin en partie insignifiant, c’est largement suffisant pour faire entendre à Rome l’écho d’une protestation profonde. En l’occurrence, ces deux régions représentent 30 % du PIB national ; elles versent à l’Etat central 82 milliards de plus d’impôts et de taxes qu’elles n’en reçoivent au titre des diverses prestations et répartitions (60 milliards pour la Lombardie, soit 6 000 euros par habitant ; 22 milliards pour la Vénétie, soit plus de 4 000 euros par habitant). Une situation qui, depuis le début des années 1990, a permis à une formation politique, la Ligue du Nord, de s’implanter et de prospérer. Dans son catalogue idéologique, on trouve invariablement europhobie, xénophobie, égoïsme régional, refus de la solidarité nationale, mais, clairement, c’est l’argent qui est le nerf du combat. Pour preuve, après le référendum du 22 octobre, le président de la Vénétie, Luca Zaia, a réclamé que les neuf dixièmes des recettes fiscales de sa région soient placées sous gestion directe et qu’elles échappent ainsi aux bureaucrates de Rome.

Mais on aurait tort de s’en tenir à ces comptes d’apothicaire pour prendre la juste mesure du malaise transalpin. Luca Zaia n’a rien d’un économiste, loin de là ; c’est un politicard très habile qui a saisi la fibre du passé et qui la tisse patiemment. Il existe en Italie une amère nostalgie qui se nourrit de l’incroyable incurie de la pléthorique et incompétente administration romaine. Lors du référendum de décembre 2016, portant sur une réforme constitutionnelle voulue par Matteo Renzi, et qui a fait chuter ce dernier, la Vénétie avait voté non – un camouflet infligé à Rome. On voit ainsi, à chaque scrutin, ressurgir de vieilles identités enfouies.

Au milieu du xixe siècle, Charles-Albert, roi de Sardaigne, prince de Piémont, duc de Savoie, lançait un slogan appelé à un grand succès :  » L’Italia fara da se (L’Italie se fera toute seule) « . Il donnait ainsi l’élan à une construction nationale, que plusieurs Etats européens essayèrent alors de contrer. La maison de Savoie, dont le blason figura sur le drapeau italien jusqu’en 1946 (abolition de la monarchie et retrait des armes royales), devint le symbole de tout le pays ; en 1914, tous les soldats, milanais ou calabrais, montaient au feu au cri de  » Savoia ! « . Quant à la Lombardie-Vénétie, elle fut bel et bien un bref royaume (1815 – 1866), fabriqué de toutes pièces par l’Autriche (sacré Metternich !), rayé de la carte, en 1866, par l’unité italienne. Mais de là à en garder une dent contre Rome… Pourquoi tout ce qui se passe en Italie est-il définitivement plus succulent qu’ailleurs ?

christian makarian

 » Pourquoi tout ce qui se passe en Italie est-il définitivement plus succulent qu’ailleurs? « 

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